A l’initiative de l’ANAM, une étude du cabinet Actuariat Global met en garde contre les risques pesant sur l’AMO à l’horizon 2025. La CNSS s’en sort bien. La CNOPS devra enregistrer son premier déficit dès 2018. Pour maintenir l’équilibre, la CNOPS sera contrainte à revaloriser ses taux de cotisation de 5 à 6,20 % pour les actifs et de 2,50 à 3,10% pour les pensionnés.
Le régime de l’Assurance maladie obligatoire (AMO) serait-il en danger ? Voilà une question qui taraude les esprits des décideurs ces derniers temps au Maroc? Le gouvernement aura beau afficher le nombre sans cesse croissant des bénéficiaires du Ramed et de l’AMO, mais rien jusqu’ici ne nous rassure sur la pérennité financière de ces deux régimes. Voyons voir quel sera l’impact d’un certain nombre d’évènements qui, à coup sûr, viendront chambouler la donne et les calculs des dirigeants des deux principaux organismes de prévoyance sociale au Maroc : d’un côté la CNSS pour le secteur privé et, de l’autre, la CNOPS qui gère l’AMO du secteur public.
Commençons par l’AMO gérée par la CNSS. La caisse dirigée par Saïd Ahmidouch doit absolument s’adapter à l’évolution de son propre écosystème. Elle devra faire avec une révision des tarifs de certains actes, l’extension du panier de soins, le passage du taux de remboursement des soins ambulatoires de 70% à 80%, la révision des prix et de la liste des dispositifs médicaux et, enfin, l’intégration de la population qui jouit encore d’une assurance maladie auprès des compagnies d’assurances (les salariés bénéficiant du fameux article 114 de la loi sur l’AMO). En intégrant l’ensemble de ces mesures, tiennent à rassurer les experts du cabinet Actuariat Global, le régime AMO-CNSS va gagner en force, dégageant en moyenne 12,6 milliards de DH au niveau de son solde global entre 2015 et 2025. Mieux encore, ajoute l’Agence nationale de l’assurance maladie, le fonds de placement du régime doublera sur la même période permettant de constituer une solide réserve.
Même dans un scénario de statu quo, la CNSS fait preuve d’une grande résilience, contrairement à la situation chez la CNOPS. En effet, si rien n’est fait entre-temps, et si l’on se contente des mesures déjà actées (intégration de 32 médicaments coûteux, baisse des prix des médicaments, transfert des médicaments de la pharmacie CNOPS vers les CHU), le solde global de la caisse dirigée par Abdelaziz Adnan ne cessera de se dégrader. Elle devra enregistrer son premier déficit dès 2018 (-300 millions de DH), puis -1,57 milliard de DH en 2025. Selon l’étude actuariale, en termes de taux de cotisation, le régime AMO-CNOPS reste équilibré jusqu’en 2017 avec les niveaux actuels (5% pour les actifs et 2,50% pour les pensionnés), mais il risque de faire appel aux excédents cumulés (près de 8 milliards de DH) entre 2018 et 2020. Cela dit, à partir de 2021, prévient Actuariat Global, le régime CNOPS aura besoin d’un reparamétrage des cotisations pour maintenir son équilibre, avec un taux d’équilibre estimé à 6,20% pour les actifs et à 3,10% pour les pensionnés. Une autre solution envisageable par l’étude consiste à déplafonner les cotisations, ce qui pourrait drainer plus de 400 millions de DH de cotisations supplémentaires par an. Cela permettrait surtout de repousser le déficit jusqu’en 2019 et de constituer des fonds de placement qui assureront la viabilité du régime au-delà de 2025.
Maintenant, si l’on tient compte d’un certain nombre de mesures attendues, (le passage à la tarification nationale de référence pour les soins dentaires, l’intégration de nouveaux actes, la révision des prix, le basculement de la population des caisses de certaines entreprises publiques l’article 114), la situation de la CNOPS se complexifiera davantage, devenant déficitaire dès l’application de ces mesures. Les fonds de placement vont progressivement s’amenuiser jusqu’à l’épuisement total en 2024, toujours selon l’étude. Dans ce cas précis, pour pouvoir maintenir l’équilibre, il va falloir revaloriser les taux de cotisation de sorte à atteindre un taux de 6,7% pour les actifs et 3,35% pour les pensionnés entre 2021 et 2025.
L’article 114, le flou reste total
Soyons clairs et appelons les choses par leurs vrais noms. L’assurance maladie obligatoire n’a, en réalité, d’obligatoire que le nom. Plusieurs entreprises privées ainsi qu’un certain nombre d’établissements publics continuent à naviguer hors AMO. Les salariés de ces entités bénéficient encore d’une assurance maladie soit auprès de compagnies d’assurances (secteur privé), soit auprès des mutuelles et caisses internes (secteur public). Dans le jargon de l’AMO, on les appelle la population de l’article 114 qui, rappelons-le, leur avait réservé un délai de grâce de cinq ans avant de basculer vers soit la CNSS, soit la CNOPS. Ce dispositif dérogatoire a longtemps fait couler beaucoup d’encre, chacun l’interprétant à sa manière, sachant que ce délai de cinq ans ne devrait commencer à courir qu’une fois les décrets d’application du dispositif AMO publiés. Plus de dix ans après sa mise en application, rien n’a changé ou presque. La période transitoire a été entre-temps tacitement reconduite. Lors d’un long Conseil d’administration tenu vers fin 2014, scindé en deux séances, le directeur de l’ANAM avait annoncé l’idée d’un projet d’amendement de la loi devant repousser le délai de grâce de trois nouvelles années. Où en est ce projet ? Contactée par nos soins, l’ANAM a refusé de donner suite à notre requête.
De tous les établissements publics visés par l’article 114, seul l’ONCF a franchi le pas en forçant l’adhésion de la mutuelle des cheminots (déjà déficitaire) au sein de la CNOPS sans avoir à payer aucun ticket d’entrée, grâce notamment à l’appui de l’ANAM qui, après s’être saisi directement du dossier, avait émis un avis favorable au basculement «forcé» de l’ONCF. Plus d’une trentaine d’autres établissements publics devraient emboîter le pas à l’ONCF et migrer vers la CNOPS, mais la facture risque d’être salée.
Selon le cabinet Actuariat, le basculement des salariés et des pensionnés de l’ONCF, l’OCP et l’ONEE (ces trois organismes représentent 87% de la population de l’article 114 dans le secteur public) risque d’occasionner un surcoût annuel de l’ordre de 180 millions de DH et de créer un déficit du régime AMO dès la première année d’intégration. Une situation totalement contraire à celle qui vaut pour le secteur privé, dont la population de l’article 114 est estimée à 1,72 million à l’horizon 2025. Mais contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, leur basculement constituera un gain pour le régime AMO et l’on s’attend à une amélioration sensible de la santé financière de ce régime géré par la CNSS. La question reste tout de même posée quant à l’impact de cette migration et au manque à gagner que les compagnies d’assurances seraient amenées à subir !
Comment éviter le pire ?
Ne se limitant pas au seul exercice de diagnostic et de projection sur les dix prochaines années, le cabinet Actuariat avait également pour mission de dresser une série de mesures censées garantir l’équilibre financier du régime. D’abord, les experts pointent du doigt les charges liées aux traitements des affections longue durée (ALD) et des affections longues et coûteuses (ALC) qui, à leurs yeux, risquent de représenter les deux tiers de l’AMO du secteur public à l’horizon 2025. «L’ANAM, le ministère de la Santé et les organismes gestionnaires peuvent mettre en place un observatoire ou un centre d’études dédié à la veille sur l’évolution du phénomène et à la recherche de solutions innovantes et adaptées au contexte marocain», suggère l’étude en encourageant les décideurs de la politique du médicament à avoir une vision réalisable pour une bonne maîtrise des prix des médicaments liés au traitement des ALD/ALC.
Il y a lieu également non seulement de promouvoir la production locale des génériques, mais d’imposer des mesures radicales permettant d’augmenter progressivement la part des génériques dans les habitudes de consommation médicale des Marocains. Outre la définition d’un seuil de maîtrise du poids des médicaments dans la charge globale du régime, on notera aussi l’idée d’investir dans le contrôle médical avec des objectifs quantifiés, même si cela nécessitera des ressources humaines et matérielles non négligeables, car le retour sur investissement s’avère aussi intéressant. Pour optimiser les rendements financiers des placements (hors CDG), l’étude recommande la mise en place d’une gestion actif-passif au sein des régimes, en définissant une allocation stratégique d’actifs, réalisée sur la base des résultats du bilan actuariel et arrêté périodiquement (au moins tous les trois ans). Enfin, en ce qui concerne la CNOPS, le déplafonnement ou l’augmentation des cotisations, estime le cabinet Actuariat, pourrait être une solution intéressante, sachant qu’au niveau de la CNSS, la cotisation est déplafonnée malgré la fréquence des salaires élevés !
Wadie El Mouden