Voilà que rebondit le débat sur cette probléma-tique: la préparation d’un nouveau modèle éco-nomique en Algérie.
Voilà que rebondit le débat sur cette probléma-tique: la préparation d’un nouveau modèle éco-nomique en Algérie. Effet d’annonce ou véritable changement de cap ? En tout cas, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, vient d’en annoncer les contours pour le mois d’avril. Une «task-force», formée d’éco-nomistes et d’experts, est à l’oeuvre pour proposer une armature économique sur la base de deux pistes : la réduction des effets de la crise actuelle et l’appréhension de l’avenir économique. Il faut dire que les motifs d’inquiétude ne manquent pas aujourd’hui : tant s’en faut. Globalement, ce qui a fait défaut c’est l’absence d’une vision stratégique à long terme en particulier lors des deux décennies écoulées. Ainsi, le modèle était articulé autour de trois axes : la forte dépendance aux hydrocarbures, les fortes dépenses publiques et l’extension de l’Etat social. Le taux de croissance du secteur industriel s’est situé en moyenne autour de 4,3% pour la période 2004-2014 contre 6,3% pour l’agriculture. Conséquence : le marché intérieur a été faiblement couvert par la production industrielle nationale. Si bien qu’à prix constants, 1dinar algérien (DA) de PIB nécessite 0,46 DA d’importation contre 0,23 DA en 2000. Si le secteur des hydrocarbures a permis d’engranger des recettes exceptionnelles durant une longue période, pareille situation a été beaucoup plus un handicap qu’un catalyseur pour le développement économique; elle a conduit pratiquement à évacuer et à étouffer toute velléité de diversification économique. Au plan macroéconomique, l’Algérie a choisi une croissance tirée par la dépense publique. L’Etat est ainsi le principal moteur des investissements publics, mais aussi privés, avec diverses aides à la création d’entreprise, des taux d’intérêt bonifiés et des exonérations fiscales. Selon la Banque d’Algérie, sur la période 2000-2014, ces investissements publics se sont situés autour de 13% du PIB en moyenne – ils sont de 4% dans les pays OCDE, 5% en Amérique latine et moins de 8% dans les pays asiatiques. Mais de tels investissements sont lestés par des phénomènes négatifs : surcoût, réévaluation, gaspillage et corruption. Selon la Banque mondiale, le plan de consolidation et de soutien à la croissance (PCSC) de 55 milliards de dollars a pratiquement quadruplé avec 200 milliards de dollars. Dans le secteur des transports, les réévaluations ont dépassé les 20%. Seuls 10% de cette enveloppe du PCSC ont été dédiés au soutien au développe-ment économique contre plus de 40% pour les infrastructures de base. Dans le programme quinquennal 2010-2014, seuls 20% des 286 milliards de dollars mobilisés ont été réservés à l’appui au secteur économique. Il y a plus. Ainsi, l’effort public a été énorme – autour de 6% du PIB – à travers les dépenses fiscales et exénérations ainsi que les aides à l’investissement. Il se prolonge encore avec les multiples opérations d’assainissement et de mise à niveau des entreprises publiques économiques. Pour la période 2009-2014, le ministre de l’Industrie et des Mines, Abdesselam Bouchouareb, a précisé qu’une enveloppe de 320 milliards de DA avait été consacrée à ce plan. Une situation structurelle récurrente depuis des décennies. Dans le secteur bancaire, Fatiha Mentouri, ancienne ministre déléguée à la Réforme financière, a donné le chiffre de 1.250 milliards de dollars, soit 6 à 8% du PIB, débloqués par le Trésor pour l’assainissement du portefeuille des banques et leur capitalisation. Le secteur privé n’est pas en reste avec un rééche-lonnement de 30 milliards de DA. De grands efforts financiers, donc, mais qui n’ont pas permis de réunir les conditions d’une économie fondée sur la rente des hydrocarbures. Les défis économiques à relever à long terme sont connus : réduction des subventions publiques, amélioration de l’environ-nement des affaires et de l’investissement, diversification de l’économie, création d’emplois dans le secteur privé. Le nouveau gouvernement issu de la réélection de Bouteflika en avril 2014 pour un quatrième mandat s’est engagé dans ce sens. Il reste à traduire ces promesses par des mesures conséquentes et opé-ratoires. Développer le secteur privé ? Les entraves restent for-tement contraignantes : difficultés d’accès au crédit, complexité de l’environnement réglementaire, lourdeur des procédures de création d’entreprise. Le chômage s’est stabilisé autour de 10% mais il atteint 25% des jeunes et 16% des femmes. Les négo-ciations d’adhésion à l’OMC trainent et le processus d’intégra-tion au commerce mondial marque le pas. Le FMI a prévu une croissance de 3.9% en 2016 contre 3% en 2015. L’inflation se situerait autour de 4%. Pour la balance des comptes courants, les prévisions sont négatives : - 16,2% en 2016 contre -17,7% en 2015 et -14,5% en 2014. Pour 2020, elle resterait encore négative avec -9%. Le ratio de la dette au PIB, qui était de plus de 100% dans les années 2000, a été réduit à 9% (aujourd’hui) du fait surtout de la flambée des cours pétroliers (NDLR : avant la chute des cours). Mais tous les autres indicateurs sont au rouge. De quoi mettre en relief la fragilité de l’économie algérienne aux chocs internes et externes. Ainsi, les finances publiques sont dépendantes de l’évolution du cours mondial du baril de pétrole. Ainsi encore, les équilibres extérieurs se sont détériorés avec le passage d’un excédent de 3 milliards de dollars au premier semestre 2014 à un déficit de 8 milliards de dollars au premier semestre 2015. Sans oublier la balance des paiements qui a fondu à hauteur de 1 milliard de dollars. Cette volatilité tient au manque de diversification économique: l’industrie hors-hydrocarbures ne dépasse pas 5% du PIB; l’agri-culture n’atteint que 11% du PIB; l’autosuffisance alimentaire n’est pas assurée; enfin, la forte hausse des dépenses non productives avec notamment l’envol des dépenses militaires à hauteur de 10 milliards de dollars en 2015. La dépendance aux recettes des hydrocarbures ne peut que mettre en cause la paix sociale financée par la rente. En 2014, le montant des transferts sociaux a dépassé les 50 milliards de dollars, soit un tiers du PIB. L’Algérie traverse une situation de crise multidimensionnelle, économique, sociale, sécuritaire et politique. Peut-elle engager une transition vers une économie post-pétrolière pour faire face à tous ces défis ? Le FMI, le Conseil national économique et social (CNES), et le think tank «Nabni» ont multiplié les appels dans le sens d’un changement du modèle économique algérien. Ils insistent sur l’urgence de repenser le rôle de l’Etat et la logique actuelle de développement; ils mettent l’accent sur un nouveau modèle articulé autour de la diversification, de l’économie de la connaissance et du respect de l’environnement. Dans le détail, des pistes sont mises en exergue : celle de la création d’un envi-ronnement réglementaire et financier favorable à l’émergence et à la promotion d’une culture d’entrepreneuriat, notamment dans des secteurs innovants et à forte valeur ajoutée; celle aussi d’une diversification verticale et horizontale de l’économie reposant sur la mobilisation et l’engagement de tous les acteurs de la société (Etat, patronat, syndicats et associations). Quel en est l’enjeu ? Concilier efficacité économique, équité et cohésion sociale, et ce autour d’un nouveau pacte social. C’est une erreur stratégique, en effet, que de continuer à raisonner sur un modèle de consommation linéaire axé sur les énergies fossiles traditionnelles (pétrole et gaz). Le monde aujourd’hui se prépare activement à une transition énergétique entre 2020/2030. D’où l’urgence – en Algérie et ailleurs – d’une nouvelle politique éco-nomique pour les années à venir. La croissance forte en Algérie ? Elle n’est pas impossible même si en l’état actuel du «système», elle reste improbable. Elle suppose la conjugaison de plusieurs facteurs : une économie du savoir et une éducation de maîtrise de la connaissance, le goût de l’entrepreneuriat en lieu et place de la rente et du fonctionnariat, des innovations technologiques, une concurrence efficace, la fin de toute forme de monopole, un système financier assaini, une sécurité juridique et la réforme de la justice, une politique moralisation publique et de lutte contre la corruption, enfin l’épanouissement de nouveaux secteurs-clés comme le numérique, la santé, la biotechnologie, les industries de l’environnement,… Voilà qui conduit à cette interrogation de principe tellement pré-gnante : le «système» en place peut-il conduire ce changement ? Est-il lui-même réformable pour opérer cette révision déchirante en vue d’un nouveau modèle économique ? N’est-ce pas le créditer d’une propension réformatrice ? Par nature, il n’a d’autre label, en effet, que la gestion du statu quo, avec l’état des lieux d’une crise financière, économique, sociale et politique mise à nu par la forte contraction du cours des hydrocarbures.
Mustapha Sehimi
Professeur de droit, politologue