L’évolution de l’accumulation du capital, pendant trois phases distinctes, montre que la croissance économique n’est pas à la hauteur des efforts consentis en matière d’investissement. C’est ce qui ressort de la récente étude élaborée par le haut-commissariat au Plan. En revanche, des intensifications capitalistiques dans l’industrie et l’agriculture, conjuguées à l’amélioration de la gouvernance et l’accumulation du capital humain, permettraient des gains de croissance d’environ 3%. Détails.
Dans quelle mesure le processus d’accumulation du capital physique a-t-il contribué à la croissance économique? Le Maroc a-t-il suffisamment accumulé du capital ? L’investissement a-t-il été vraiment excessif au cours des dernières années et est-il rentable et productif ? Telles sont les questions auxquelles a répondu le haut-commissariat au Plan dans une étude sur le rendement du capital physique au Maroc, présentée récemment aux opérateurs économiques et aux médias.
L’étude en question s’est basée sur l’analyse d’un certain nombre d’indicateurs, à savoir le coefficient moyen du capital, le coefficient marginal du capital, l’intensité capitalistique, la productivité du travail... Des indicateurs dont l’analyse s’est soldée par des éléments de réponse quant à l’efficacité de l’investissement. «Le diagnostic s’appuie sur les données de la comptabilité nationale et les enquêtes statistiques réalisées par le HCP», apprend-on dans la note de présentation de l’étude. Ledit diagnostic a porté sur trois phases distinctes de l’économie nationale. La première concerne le début des années 60 où l’objectif principal du pays était d’entreprendre, dans le cadre d’une politique publique volontariste, des investissements colossaux pour apurer le passif de la période coloniale, notamment en termes d’infrastructures économiques. La deuxième période est relative aux années 80 et 90 où les pouvoirs publics avaient accordé plus d’importance à la préservation des équilibres macroéconomiques et au lancement des réformes structurelles de libéralisation et d’ouverture économique, au détriment de l’investissement. Les années 2000 se sont, pour leur part, caractérisées par une nouvelle dynamique du processus d’accumulation du capital physique pour faire converger le pays vers l’émergence.
Le secteur des services : une forte intensité capitalistique
Durant la première phase, l’Etat était le principal moteur de croissance et son intervention avait pour leitmotiv de planter les jalons d’un processus de développement, au lendemain de l’indépendance du Maroc. Le taux d’investissement est passé de 13% du PIB au début des années 60, à près de 15% en 1970 et à 25,6% au début des années 80. Le constat qui se dégage est que la croissance économique, qui était en amélioration durant ces deux périodes, passant respectivement de 3,5% à 5%, n’était pas au même rythme que celui de l’accumulation du capital. Aussi, l’efficacité du capital est restée faible, étant donné que le coefficient marginal du capital (nombre d’unités d’investissement pour produire une unité supplémentaire du PIB), qui ne dépassait pas 1 au début des années 60, a atteint près de 2,2 vers la deuxième moitié de la décennie 70. «Cette situation est normale à la lumière des expériences des pays qui montrent que, lors des premières phases de développement, le capital s’accroît plus vite que le revenu, d’où un coefficient marginal de capital élevé», explique A. Lahlimi, le haut-commissaire au Plan. La richesse ainsi créée ne s’est pas traduite par un financement de ce programme de développement volontariste. «Pis encore, le solde courant, qui était excédentaire au début des années 70, s’est dégradé progressivement pour enregistrer un énorme déficit de l’ordre de 16,5% du PIB en 1977 et à terme de 12,6% en 1982, accompagné d’un déficit budgétaire de 14% du PIB», lit-on dans l’étude du HCP. L’accentuation des déséquilibres macroéconomiques a contraint l’Etat à se plier aux diktats de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international.
Dans la deuxième phase, les objectifs économiques et sociaux ont été réduits à des objectifs purement financiers. Pour y parvenir, des réformes structurelles de restructuration ont vu le jour. Elles ont trait essentiellement à la réforme des finances publiques, du commerce extérieur, la déréglementation des prix et la réforme du système monétaire et financier. Durant cette deuxième phase, le rythme de ralentissement de l’accumulation du capital était plus fort que celui de la croissance économique, se traduisant, de ce fait, par une décélération du coefficient marginal du capital.
Enfin, comme signalé par le HCP, la dernière phase s’est caractérisée par des stratégies volontaristes, en rupture avec la période du PAS, pour absorber les déficits économiques et sociaux structurels. C’est une phase qui vise à répondre aux impératifs de la libéralisation et prendre en considération la variable humaine qui était le parent pauvre du Programme d’ajustement structurel (PAS) des années 80. Le premier objectif appelle des résultats de compétitivité à court terme, alors que le second exige des investissements importants. La part du social dans le Budget est ainsi passée de près de 15 Mds de DH durant les décennies 80 et 90 à une moyenne annuelle de 32 Mds de DH durant la décennie 2000. Cette politique a induit une amélioration du capital physique, puisque l’investissement a été multiplié par trois entre 2000 et 2014. «Le stock de capital s’est accru depuis le début des années 2000 de 6,2% par an, au lieu de 4,6% observé dans les années 80-90», notent les rédacteurs de l’étude en question. Mais toujours est-il que malgré cet effort d’accumulation du capital durant la décennie 2000, la croissance économique n’était pas au même rythme de l’effort d’investissement fourni, se situant à 4,4% durant cette période. Cette évolution différenciée de l’accumulation du capital et de la richesse créée a induit une accentuation de la faible capacité de l’investissement.
Il ressort ainsi de l’analyse de l’évolution de l’accumulation du capital que la croissance économique n’était pas à la hauteur des efforts consentis en matière d’investissement. Ou, plus précisément, le capital accumulé a été d’une faible efficacité.
La poursuite du processus d’accumulation du capital au Maroc pour le situer au niveau atteint par les pays avancés requiert davantage d’investissement. Mais, dans une telle perspective et sans une croissance du produit national en mesure d’accroître l’épargne nationale, l’effort d’investissement supplémentaire requis ne trouvera pas de ressources financières nouvelles pour le soutenir.
Les services s'accaparent la part du lion
L’analyse relève également que le dynamisme de l’investissement a été porté essentiellement par le secteur des services qui a bénéficié des efforts d’investissement en infrastructures réalisés par les administrations publiques. Le taux d’investissement dans le secteur des services s’est accru de manière significative pour atteindre 45% au terme de cette phase, au moment où celui des industries est resté quasi-constant, aux environs de 29% par an durant cette phase.
Soubha Es-Siari