Accès aux marchés publics: «La surface financière de certaines petites entreprises les disqualifie matériellement»

Accès aux marchés publics: «La surface financière de certaines petites entreprises les disqualifie matériellement»

Les marchés publics permettent aux petites et moyennes entreprises de croître, de diversifier leurs activités et de renforcer leur compétitivité et leur stabilité financière. Au Maroc, l’accès de cette catégorie d’entreprises à la commande publique demeure, selon les professionnels, encore limité, et ce pour de nombreuses raisons. Entretien avec Khalid Doumou, économiste et expert financier.

 

Propos recueillis par M. Ait Ouaanna

Finances News Hebdo : Tout d’abord, quels sont les principaux défis liés à un accès équitable des différents acteurs économiques à la commande publique au Maroc ?

Khalid Doumou : La problématique de la légitimité et de la primauté de l’accès des divers opérateurs économiques à la commande publique est un questionnement qui ne date pas d’hier. Ce dernier ramène à la question de l’analyse comparative de l’efficacité et de l’efficience de la gouvernance entre opérateurs économiques publics et semi-publics, et opérateurs privés (GE-ETI, TPME et TPMI, coopératives et personnes physiques). Et ce, lorsqu’il s’agit de créer de la richesse nationale, ou d’effectuer des missions d’intérêt public idoines au profit de nos concitoyens de toutes classes sociales confondues. L’Etat a injecté en 2023 une masse financière de quelque 300 milliards de dirhams pour les dépenses d’investissement public émanant notamment des collectivités territoriales, des entreprises et établissements publics et du budget d’investissement de l’État. Il s’agit en effet de dépenser intelligemment ces deniers publics qui représentent aux environs de 21,5% du PIB marocain. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’Agence nationale de gestion stratégique des participations de l’État (ANGSPE) a vu le jour. Cette dernière vise, entre autres, à évaluer les performances du portefeuille public et à dégraisser, si nécessaire, les 273 établissements et entreprises publiques (EEP), en liquidant les canards boiteux existants.

 

F.N.H. : La ministre de l'Économie et des Finances, Nadia Fettah, a récemment indiqué que la part des marchés publics attribués aux petites et moyennes entreprises (PME) a atteint 35% en 2023. Quelle lecture faites-vous de ce chiffre ?

Kh. D. : Ce ne sont pas que les critères financiers qui priment dans le décrochage des marchés publics, mais plutôt d'autres indicateurs qui entrent en jeu dans le dossier administratif et le dossier technique déposé auprès du donneur d'ordre. D'une part, il faut souvent disposer de références clients intéressantes pour décrocher de gros marchés, ce qui est difficile quand on a du mal à travailler pour le compte de l'Etat. Ensuite. Pour ce qui est des qualifications du capital humain, on se rend compte que ce sont les grandes entreprises (GE) qui concentrent la majorité des compétences techniques et des éminences grises qui peuvent mener à bien des dossiers complexes, et cela pour la seule raison que ces compétences ont un coût important. Et pour finir, la surface financière de certaines petites entreprises, compte tenu de la difficulté qu’elles connaissent pour l'accès au crédit bancaire, les disqualifie matériellement, et elles ne peuvent ainsi pas soumissionner à certains marchés à forte intensité capitalistique.

Par ailleurs, la part de 35% annoncée par la ministre englobe l’ensemble des achats publics conclus sous forme de contrats d’investissement, à titre onéreux, par les pouvoirs publics avec les opérateurs économiques pour une durée déterminée et ayant pour objet l’acquisition des prestations de travaux, de fournitures ou de services. Il est à noter que les trois grands principes qui régissent la commande publique sont le principe d’égalité de traitement des candidats à l’attribution d’un contrat de la commande publique, le principe de liberté d’accès à la commande publique et le principe de transparence des procédures. Pour parvenir à cette transparence, l’État dispose de moyens juridiques de contrôle, de sanction ou de rappel à l’ordre, et de moyens opérationnels tels que la formation, la divulgation et la digitalisation qui permet de bien cibler les recherches. Pour ce qui est de la préservation de l’égalité des chances face à la commande publique, la digitalisation des procédures et le recours accru aux systèmes d’information occupent une place de choix dans ce processus. Il est également bon de savoir que dans le cadre de l’encouragement du «Made in Morocco» de la TPME marocaine, chaque maître d’ouvrage est tenu de consacrer 30% de son marché à titre de son budget annuel à cette catégorie d’entreprise. Que ce soit lors des procédures de lancement, d’attribution ou de sélection des appels d’offres, c’est le mot transparence qui est le plus souvent évoqué. Pour ce qui est de l’égalité de traitement des opérateurs face à la commande publique, la balance penche toujours largement en faveur des GE qui raflent encore, à peu près 2/3 des adjudications publiques, notamment car elles disposent de directions de veille des marchés publics et de conformité juridique, et des garanties financières. Celles-ci leur permettent de soumissionner même pour de très gros marchés requérant une très large surface financière et des compétences techniques pointues, quitte à créer des groupements ad hoc pour des marchés spécifiques qui pourraient sortir quelque peu de leur périmètre de compétences naturelles.

 

F.N.H. : Selon vous, quelles mesures doivent être mises en place afin de faciliter l’accès des PME à la commande publique ?

Kh. D. : Plusieurs types de mesures permettent aujourd’hui à des PME d’avoir accès à la commande publique, dont le quota de 30% évoqué plus haut. Mais là où le bât blesse, c’est dans des points, tels que l’asymétrie de l’information et la difficulté d’accès au financement idoine, même lorsque la compétence technique ou technologique est indéniablement au rendez-vous. Les travaux de la Commission nationale des investissements, qui travaille sur les conventions d’investissement nouvelles et les avenants nécessaires, sont également souvent méconnus du grand public. Alors que la Charte d’investissement, opérationnalisée conformément aux hautes directives de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu l’Assiste, est justement faite pour accélérer la dynamique de l’investissement privé au Maroc. Pour pouvoir soumissionner de manière concluante dans des appels d’offres publics ouverts, il faut faire de la veille stratégique, et ce pour dénicher les marchés dans lesquels notre apport peut être à la hauteur des attentes du maître d’ouvrage qui a lancé une consultation ouverte au public. 

 

 

 

 

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