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Un jour, une œuvre : «Les territoires de Dieu», d’Abdelhak Najib

Un jour, une œuvre : «Les territoires de Dieu», d’Abdelhak Najib

Burlesque et rocambolesque. Ces adjectifs semblent tombés pile poil pour qualifier le roman d’Abdelhak Najib. Par ailleurs, lorsqu’il s’y décide, il parvient  à nous faire déclencher un éclat de rire par page. Il y en a 280 !

 

Par R. K. H

Ecrire «Les territoires de Dieu», pour Abdelhak Najib, est une gageure. «L’idée semblait au début simple. Mais elle était périlleuse aussi. Il fallait revenir sur mon passé, revivre des choses que je n’avais pas forcément envie de me rappeler. Mais il fallait se remettre encore une fois en jeu, ressusciter ce désir originel du passé. Il fallait renouer avec cette révolte inquiète pour me propulser corps et âme dans le présent avec une lecture conditionnée par le passé. Ecrire, "Les territoires de Dieu", c’est aussi prendre le risque en revivant mon fantasme, de faire tomber l’illusion et de me retrouver nu face au réel»! Un pavé lancé dans le creuset casablancais: «Hay Mohammadi, avec sa cohorte de visages, son poids historique et sa place dans le paysage humain marocain». Pari gagné.

Dans cette excroissance plantée sur la mégapole, la violence est d’ores et déjà un style de vie, une façon d’exprimer une colère vide et sans espoir. Ce sont les résidents, eux-mêmes déshérités et vulnérables, qui en font les frais. Vols, viols, culte de la force, machisme, mépris du droit, rythment amèrement le quotidien du quartier. Des fous de Dieu, Hay Mohammadi est généreusement fourni. Sinon de délinquants. Plus ils se ghettoïsent, mieux ils fleurissent, faisant feu de toute détresse, endoctrinant à tour de bras et vouant aux gémonies les amoureux de liberté.

Comment définir le radicalisme – à défaut de la foi- pour tenter de répondre à la question : pourquoi le radicalisme ?  Voilà l’ambition d’Abdelhak Najib, qui mélange blagues à la fois salaces et mélancoliques, pimentées d’un zeste d’ironie et de mesures sarcastiques. Mais au fond, «c'est un cri profond et sans compromis contre toutes les formes de radicalisme ; un roman au vitriol contre toutes les formes d'extrémismes, contre l'instrumentalisation et la manipulation par les dogmes et les démagogies.»

Abdelhak Najib livre un roman qui vous fera rire aux éclats, certes, tout en faisant marcher les neurones, car, derrière la dérision, il nous fait réfléchir à une question grave. Tout y est, mais surtout l’âme mélancolique, acidulée et débridée d’un Ould L’Hay (enfant du quartier Hay Mohammadi).

«Les Territoires de Dieu» raconte la vie de quatre enfants à Hay Mohammadi. Quatre gamins qui en veulent, qui ne se laissent pas faire, qui résistent à tout et veulent à tous prix s’en sortir.»

Ces personnages jouent leur peau et se débattent dans toute la toile. Plus ils s’agitent et plus ils sont poisseux, collés à leur destin qui va les dévorer telle une Universelle Aragne. «Ils y parviennent par le rêve, la créativité, le sexe et surtout grâce à leur soif immense de liberté.»

Roman plus ou moins politique, pavé dans la mare du radicalisme, du moins érotique si vous voulez, qui embrasse le tragi-comique… Il y a tout cela dans «Les Territoires de Dieu»; et surtout, beaucoup, beaucoup, beaucoup de l’auteur qui réussit le tour de force de se mettre à poil tout au long des pages qui constituent le roman.

Ecrit dans un style qui est un pur plaisir, Abdelhak estime avoir «rendu compte d’une époque, d’un quartier, d’une catégorie humaine, d’un état d’esprit, d’une vie qui va au-delà des frontières de ce pays. Le Maroc devient du coup un prétexte pour parler de ce destin humain qui est aujourd’hui bafoué, où les repères manquent, sans valeurs, mais avec une injustice qui écrase tout le monde comme dans un engrenage implacable, un rouleau compresseur qui ne rate personne.  Sans oublier que Hay Mohammadi est un haut lieu de la mémoire collective marocaine, une parcelle de terre qui a donné de grands noms auxquels je rends hommage aussi dans cette histoire d’amour et de fureur.»

Le style d’Abdelhak ressemble d’ailleurs à une salve. Les phrases crépitent, s’enchaînent -un moment- sifflent. Vous essayez de suivre, de comprendre, fasciné par ce monde où l’amour saupoudré d’érotisme, religion et politique se tiennent par la barbichette.

Le rêve d’un quartier (Hay Mohammadi) a désormais tourné au cauchemar ? Au bout du roman, vous finissez rompu, convaincu que vous n’avez pas tout compris, mais fasciné par la maîtrise d’Abdelhak. Toutes les situations dans ce roman sont des échappées pour creuser d’autres brèches dans la fatalité maussade des jours. Sorte de sinuosités de la mémoire. Vous aussi, vous serez manipulés. Non par le politique ou le religieux, mais par l’auteur lui-même.

«Les territoires de Dieu», Abdelhak Najib, Editions Orion, 280 p., 100 dh

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