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Un jour, une œuvre : La Lettre à Qotbi

Un jour, une œuvre : La Lettre à Qotbi

Poète aux toiles vertigineuses et graphomane excessivement illuminé. Les débuts de Mehdi Qotbi restent encore largement méconnus. Il vécut de métiers divers, mais son truc, c’était la peinture.

Tout faire par amour, pour rendre à la vie ce qu’elle nous a donné. Préférer, si cela se présente, un titre honorifique à une récompense matérielle, choisir l’harmonie plutôt que la célébrité, voilà qui définit bien Mehdi Qotbi, né à Rabat en 1951.

Sa philosophie : ça ne veut rien dire si ce n’est pas une vie avec l’art et la manière. Reconstituer l’itinéraire d’une existence aussi dense que celle de Mehdi Qotbi relève d’une gageure insurmontable. Tout au plus, pourrions-nous en évoquer à coup d’aile les aspérités. Et elles sont foisonnantes.

Hormis ses connaissances, peu savent que l’enfance de Mehdi Qotbi a été jalonnée entre séparation des parents, privations, frustrations et chagrins qui se succèdent. Ceci dit, heureusement la certitude que quelque chose allait transformer une existence dénuée de signification animait toujours l’enfant. Quoiqu’il ne sût pas quoi. Un jour, il regarda des soldats défiler. Sitôt fasciné par leur uniforme, l’idée de devenir militaire lui traversa l’esprit. Il s’imaginait dedans. Dans l’uniforme.

Les petites histoires font parfois bien comprendre les grandes. En voici une amusante : âgé de douze ans, il fit, avec un culot hallucinant, irruption dans la maison de Mahjoubi Ahardane, alors ministre de la Défense nationale, pour solliciter son soutien. Comme intervenir en sa faveur pour qu’il accède au lycée militaire de Kénitra. Stupéfait par l’audace de l’enfant, le ministre finit par lui exaucer son vœu.

Et voilà Mehdi déboulant de sa quiétude mélancolique dans les rigueurs militaires. Il rencontre la peinture tel un hasard favorable. Elève au lycée, on lui ordonna de réaliser une fresque. Le résultat dépasse les attentes des commanditaires. Mais rétif à toute discipline militaire, ne l’admettant guère, l’enfant mit les voiles, aussitôt, sur un coup de tête.

Retour à la case départ

Mehdi n’osait pas rejoindre la famille, car le papa, sévère comme tous les pères de cette époque, lui inspirait une grande crainte. Se retrouvant, alors, sans feu ni lieu, il satisfait ses besoins en enchaînant des petits boulots. Un court passage en tant que coiffeur qui le fait bâiller d’ennui, suivi d’un saut dans la rédaction du Petit Marocain comme stagiaire, puis se met au service d’une famille bourgeoise comme bon à tout faire.

L’adolescent, âgé de seize ans, se débrouillait. Il se réconciliait par la peinture. Une nouvelle passion dont il se jeta, dans les bras, avec ferveur. Et à telle enseigne que c’est par elle que viendra son salut. Le peintre Jillali Gharbaoui, impressionné par les toiles de Mehdi, lui donne un coup de pouce en en faisant vendre deux, et l’encourage à poursuivre sa démarche picturale.

Coucou, l’étranger

Mehdi Qotbi s’inscrit en 1969 à l’école des Beaux-Arts de Toulouse et obtient son diplôme en 1971 où il fut le plus jeune candidat en France. Il poursuit également des études à l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Paris en 1972/1973.

En voici une autre histoire amusante qui fera bien comprendre les grandes : Il franchit la frontière avec en poche quelques francs fournis par l’ambassadeur d’Italie. Une personne de marque que Mehdi avait rencontrée chez ses anciens employeurs bourgeois. Lorsqu’on lui refusa sa première demande pour effectuer des études de Beaux-Arts à Rome, parce qu’il ne possédait pas le bachot, un secrétaire d’Etat à l’Intérieur, rencontré chez les Ahardane, lui fait obtenir un passeport. Qotbi choisit de s’impliquer dans l’exploration de la lettre calligraphiée aussi bien pour sa signification et ce qu’elle offre comme variations graphiques et cursives infinies. Mehdi est un poète, en ce sens qu’il s’évertue à déclamer les lettres pour les faire affleurer et les enfermer dans la durée non dans un recueil, mais sur toiles. Phrases, mots, lettres arabes s’enchevêtrent, se confondent, se fondent. Une symbiose poétique qui est la marque d’un talent insigne. Parfois, des signes presque imperceptibles viennent s’y glisser. Ils sont rebelles à toute tentative d’interprétation. Il serait vain de s’évertuer à débusquer la signification latente de l’œuvre. Mehdi Qotbi a été honoré de plusieurs distinctions : Commandeur de l’Ordre de la République de Hongrie, Commandeur de la Légion d’honneur (France), Commandeur des Arts et des Lettres, Officier du Mérite national français, Officier de l’Ordre du Trône (Maroc) et Chevalier des Palmes académiques (France). En 2011, il a été nommé président de la Fondation nationale des musées du Maroc.

Mais quand on (re)pense à l’enfant qu’il avait été et ce qu’il a réalisé, c’est dire que le plus grand péché c’était de perdre espoir. Tendres espoirs.

Ils ont dit :

Adonis : «En regardant pour la première fois le travail de Mehdi Qotbi, je me suis dit je ne vois pas une calligraphie bien qu’il utilise les terres ; je ne vois pas non plus de la peinture, bien que les éléments en soient utilisés. Ce que je vois me rappelle, plutôt, la calligraphie-peinture

Mohammed Khair-Eddine : «Pour lire Qotbi, il faut d’abord savoir lire le tressaillement du sable fin des déserts. Et pour voir correctement ses couleurs, tracées en signes nouveaux, il faudrait recourir à la connaissance des éclats diamantaires…»

Gaudibert : «Peintures écrites, écritures peintes, calligraphies désécrites, poèmes de signes, danses de graphies, délires calligraphiques, transe d’écritures, autant de vocables qui peuvent convenir aux œuvres de l’artiste marocain Mehdi Qotbi

Abdelkébir Khatibi : «Qotbi travaille souvent à partir d’un seul phonème (arabe en général), à partir d’une décomposition de l’alphabet, ou plus exactement de la solitude de la lettre, comme si, dès le commencement du geste pictural, la lettre désirait se dégager de toute langue et de son procès de signification

Marc Le Bot : «Des mots, il ne garde que la lettre; et cette lettre qu’il choisit dans l’alphabet arabe, il la répète en l’écrivant dans tous les sens : de haut en bas, de gauche à droite, en diagonale et à l’envers, si bien que son sens s’annule. Quant aux couleurs dont il la trace, leurs teintes voisines s’appellent ou, au contraire, leurs teintes opposées se repoussent, si bien que se forment des zones colorées où aucune écriture ne saurait s’identifier

 

Par R.K.H

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