Parents, planquez vos filles ! Voici le professeur Khalid, qui les désire jeunes et fraîches et n’aime rien tant que les mettre dans son lit, même si elles en n’ont pas très envie… Le personnage angoisse ? Détrompez-vous.
Dans «La Complainte du chêne» (Orion, 2019), Khalid est un amoureux. Et sincère. Mais de fâcheuses circonstances ont brisé son amour. La doxa ! «Il s'agit globalement d'une histoire d'amour entre un professeur, Khalid, et une élève mineure, Asmae. Cette histoire constitue la toile de fond du roman. Mais à l'intérieur de ce macro récit, il y a deux autres histoires qui évoluent en parallèle : le rêve de Khalid de devenir enseignant et son rêve de devenir écrivain».
Avant toute chose, pour ceux que le titre de ce roman intrigue, l’auteur nous apprend que «le titre initial du roman était «Deux rêves et un amour», mais j'ai opté pour «La Complainte du chêne» parce que, en plus de la valeur symbolique de l'arbre, les premières lignes de l'histoire d'amour ont été écrites sur son tronc».
Le roman s’ouvre sur un «amour interdit», certes, mais change de cap au bout de quelques pages. «On comprend dès le début que la relation sera vouée à l'échec. D'ailleurs Khalid et Asmae se séparent peu de temps après le début de leur romance. La séparation coïncide avec la fin d'année. Asmae ne se manifeste plus après les examens. Après avoir attendu quelques jours, Khalid part en France. L’histoire se passe à la fin des années 80. Il n’y avait ni téléphone portable ni Internet !».
L’histoire commence par l’apparition d’Asmae dans l’incipit et se termine par sa disparition tragique dans l’excipit. «Un mois après avoir fait l’amour avec Khalid, Asmae découvre qu’elle est enceinte, mais Khalid est déjà parti en France. Quelqu'un la demande en mariage. Elle accepte de l'épouser pour éviter le scandale à sa famille, conservatrice très à cheval sur le principe de l'honneur. Asmae ne pouvait pas attendre le retour de Khalid. Sa grossesse allait devenir plus visible et les langues vipérines allaient inéluctablement se déclencher».
Sinon, sous le joug de la doxa, les deux personnages seront exposés à la vindicte des défenseurs de l’éthique et de sa mère la religion. La relation amoureuse entre un professeur et une élève, surtout mineure, ne sera point tolérée. «C’est la doxa qui a tué cet amour. La doxa encore et toujours ! ».
Ahmed Bouchikhi dépeint dans son roman – 24ème et 100ème livre – avec un style unique; un subtil mélange de digressions savoureuses, de dialogues surréalistes, de critiques acidulées, de pincées de nostalgie, un homme non seulement balloté par deux rêves, mais aussi en liaison avec une mineure. Le roman se veut chargé de sens.
Mêlant humour et ironie, Ahmed surfe sur les formations de Khalid; ses affectations; ses joies; ses chagrins; et critique violement le système éducatif et le comportement répréhensible de certains professeurs. Ahmed décline aussi bien le rapport ou les raisons qui incitent tout auteur à commettre l’acte d’écrire, qu’il souligne les encombres pour publier un livre. Car, dès que Khalid a fini son premier manuscrit, il se heurta à un grand obstacle : le refus des éditeurs.
Ahmed se moque également de l’attitude foncièrement détachée de ceux qui dirigent certaines maisons d’éditions. Après les éditeurs, Ahmed aborde, souvent avec sarcasme, un autre problème : celui du lectorat.
«Quand Khalid rentre de voyage, il n’a plus aucune nouvelle d'elle. Il trouve alors refuge dans son métier (l'enseignement) et dans sa passion (l'écriture), mais pour moi, ce ne sont là que deux prétextes pour aborder les problèmes du système éducatif d'un côté, de la création littéraire et de l'édition au Maroc, de l'autre. Khalid évolue en vieillissant. Il cumule une grande expérience, mais après trente ans passés à écrire et à réécrire son roman, et après plusieurs refus d'éditeurs, on ignore s'il sera publié ou non. Mais cela lui importe peu. «On ne perd jamais quand on écrit. Soit on gagne, ou on apprend !». C'est avec ce clin d'œil à Nelson Mandella que se termine sa réflexion sur l'acte d'écrire».
L’auteur, tente-t-il de transgresser les normes codifiées ? Les secouer ? A cette question Ahmed répond : «Dénoncer plutôt que transgresser. La transgression est souvent frappée de sanction. Julien Sorel a été décapité et Antigone emmurée vivante, parce qu'ils ont osé violer les normes préétablies. Le roman dénonce, parfois avec humour et ironie, tout ce qui entrave la liberté et enracine l'ignorance. Si Asmae avait vécu en Norvège ou au Danemark, son histoire n'aurait choqué personne, et son amour pour Khalid aurait certainement abouti».
Ainsi le roman appelle bel et bien à la réflexion. Et comme l’histoire se déroule dans les années 80, nous nous sommes demandés si l’auteur observe un renforcement ou un changement des mœurs.
«La société marocaine a beaucoup changé en quarante ans, pratiquement dans tous les domaines. Au niveau des mœurs, il y a une grande évolution, d'aucuns y voient un relâchement. Cette évolution s'est imposée avec les revendications incessantes des libertés individuelles et avec l'avènement des nouvelles technologies d'information et de communication. Un exemple parmi tant d'autres : l'obsession de la virginité s'est beaucoup atténuée. Elle est même tombée en désuétude chez certains. L'idée dégradante qu'on se faisait de la femme s'est évincée au profit d'une image plus valorisante. Bien évidemment quelques voix dissonantes continuent de s'opposer à son émancipation, mais elles sont rares».
Par R. K. H.