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Un jour, une œuvre : Jbala so psychedelia

Un jour, une œuvre : Jbala so psychedelia

Réédition en vinyle d’«Apocalypse Across the Sky», de The Master Musicians of Jajouka, enregistré en 1992 par le producteur Bill Laswell.

 

 

         

 

«Jajouka Mechhoura (célèbre) O Bdak Lwali Maaroufa (et grâce à ce Saint, elle est connue)», chante une femme dans «A Ala Lilla (Ô quelle nuit)». Jajouka, les trois syllabes qui composent le toponyme, par leur bizarre résonance, induisent le curieux en erreur. Il s’apprête à jouir d’«on ne sait pas quoi», il tombe sur un climat inimaginable.

A commencer par la route qu’il emprunte. Pas longue (282km, depuis Casablanca, si l’on passe via l’A1); jamais ennuyeuse, il faut l’avouer. Arrivé à Ksar El-Kébir, il entrevoit le bout du tunnel. Plus qu’une vingtaine de kilomètres qui serpentent au travers des montagnes du Ahl Srif. Le regard se repaît d’une suite interrompue de paysages, aussi enchanteurs que contrastés : champs fertiles, vallées verdoyantes, sols ingrats… Une longue écharpe de verdure s’étend à perte de vue.

Le paysage consiste en une ligne de hauteurs presque imposantes. Le village, présentant un décor rude de maisons couvertes de tôle ondulée, laisse s’épancher à son pied des rites de guérison, au son d'une musique de transe soufi, âpre comme le climat du Rif. C’est Jajouka : un bled béni de Dieu, selon la coutume.

L’histoire des musiciens de Jajouka est vieille comme le village articulé autour du sanctuaire de Sidi Ahmed Sheikh qui, pour certains, est arrivé de Perse en 1.300 et, pour d’autres, en l’an 800, afin de propager l'Islam dans le nord marocain. Des pèlerins affluent de tout le pays pour honorer le tombeau et en recueillir la Baraka. Les cérémonies sont rythmées par une musique perpétuée par la famille Attar, en exerçant les pouvoirs thérapeutiques légués par Sidi Ahmed Sheikh.

Beaucoup sont les Dj qui triturent et broient les sons de ces bardes marocains vivant au pied du Rif, dans les montagnes au sud de Tanger, et en font de joyeux samples. Car ils se trouvent irrésistiblement happés par les sons envoûtants de la lira, la flûte de bambou, ou de la ghaita, le hautbois du Maghreb, aux rythmes transcendants du luth-tambour ou du majestueux bendir.

Mais voyons voir, Joujouka ou Jajouka ? C’est facile. Il y a d’un côté les Master Musicians Of Joujouka, menés actuellement par Ahmed Attar (cousin de Bachir) et fort de trois disques produits par Frank Rynne sur le label Sub Rosa ; et de l’autre côté les Master Musicians Of Jajouka, dirigés depuis que le leader charismatique et hadj Abdessalam Attar s’en est allé en 1983, par Bachir, l’un de ses jeunes fils à qui il a transmis les clés de la tradition.

Alors que The Master Musicians of Jajouka perpétuent la tradition léguée par hadj Abdessalam Attar, une nouvelle formation s'est constituée suite à un désaccord avec le leader : The Master Musicians of Joujouka. Conduits par Ahmed El Attar, les Joujouka revendiquent la même légitimité historique. Les tensions sont vives dans le village, à telle enseigne que chacun organise son festival.

Par ailleurs, Mick Jagger, qui est allé enregistrer avec les Master Musicians Of Jajouka, dans un palais tangérois, «Continental Drift», un titre de l'album «Steel Wheels» des Rolling Stones en 1989, aurait dit qu’ils constituaient «l’un des groupes les plus inspirants sur le plan musical dans le monde». Le poète beatnik William Burroughs décela dans cette musique aux rythmes violents et aux sonorités psychédéliques un «groupe de rock’n’roll vieux de 4.000 ans».

Entre chants, ghaitas, bendirs et liras, ou en encore violons, luths et darboukas, les Master Musicians of Jajouka font résonner des boucles rythmiques tantôt transcendantales tantôt atonales, de manière à produire une matière à la fois oppressante et apaisante.

«Apocalypse Across the Sky» est un pur enregistrement où, durant plus d’une heure, on assiste aux diverses transes d’un cérémonial auquel il est impossible de résister. Composé de treize pistes, ce rayonnement musical couvre un vaste spectre sonore et reflète toute la richesse chromatique de cette musique aux profondes nuances, tantôt planantes, tantôt percutantes, toujours vibrantes.

Au fil des écoutes, l’évidence s’impose : The Master Musicians of Jajouka est un aimant puissant aux rythmiques obsédantes, souffles tournoyants et voix entêtantes. Transe garantie.

 

Par R.K.H

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