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Un jour, une œuvre : «Etat d’urgence», de Mohamed Hmoudane

Un jour, une œuvre : «Etat d’urgence», de Mohamed Hmoudane

Manie de la langue, fabuleuse prise en charge à la fois au niveau de l'affectivité et de l'intellect, lyrisme ... Une oeuvre dont on ne sort jamais indemne...

 

Naît-on poète ou bien peut-on décider de le devenir ? Mohamed Hmoudane vient nuancer la deuxième hypothèse. La poésie correspond à sa sensibilité et embrasse sa personnalité. La poésie, c’est lui. Baudelaire, Rimbaud ou Sartre, Hmoudane rejoint les écrivains-poètes rebelles, unis dans la même exécration de la vie.

Est-elle sa forme particulière d'écriture ? Sa perception du monde ambiant ? Son attitude face au réel ?...Aucune de ses définitions ne délimitera, à-vrai-dire, réellement sa poésie.

Pour dérouler sa vision du monde, relater les faits qui ont animé notre existence, rendre compte de circonstances ou faire partager son émotion, Hmoudane arbore sa face clair et net, so trash, et procède dans une langue qui lui est particulière, se démarquant nettement de celle de tous les jours. Car, la poésie est essentiellement une expression distincte. Mordante.

Les atrocités, nulle n'aura pu les supporter à part expressivement la poésie. Car elle perçoit les non-convenues.

La poésie de Hmoudane est, bien sûr, sous-tendue par une vision du social, du réel, des éléments qui régissent notre existence. Dans «Etat d’urgence» (Virgule Editions, 90 p.), l’homme cool et déjanté donne libre cours à une langue charnue, torrentielle, parfois précieuse; un style foisonnant fait d’éléments historiques et de notations amères; une sûreté de touche qui suffirait elle seule à imposer la lecture de cette œuvre d'une insolente beauté.

Hmoudane vomit tout ce qui ne l'enchante point. Sa poésie fugue, va si vite, à telle enseigne que les rimes n’arrivent pas à l’attraper. Il s’y évade. «Etat d'urgence» est une œuvre subversive au fil duquel, se glissant dans la peau d’un survivant à un attentat, il règle ses comptes avec la grisaille du terrorisme.

Ses premiers vers portent les signes d'un massacre, profondément, une torture indigne : «Je danse bardé de blessures / Avec des cadavres depuis / Ma bouche dégoulinant de sons / Les morts comme les mots / Répandent fumée et cendre / Sur la chaussée tapissée / de douilles et de lambeaux / De chair dépecée / Je danse en cognant mes ombres / Contre les vitrines éclaboussées / De gyrophares et de sang / Vibrant à force de sirènes / Je danse comme égorgé à l’assaut / De la nuit j’ameute et enrôle / Les astres».

En rappelant, au fil des vers, la lutte acharnée pour le pouvoir que les Musulmans ne cessent de se livrer depuis près de quinze siècles, Hmoudane procède à une destruction de ce qui est établi et remet en question la dénomination des choses et leur perception.

Il livre, ici, avec une douleur digne et retenue, souvent avec une lucidité de fin observateur, un jugement implacable sur les événements décisifs, car tragiques, qui pointent la quête constante pour le pourvoir que les Musulmans n’ont jamais cessé d’entreprendre. D'ailleurs, de ces faits, Hmoudane en connaît les hauts et les bas, les points d'orgue et les couacs. 

«Et le combattant du nouveau khalifat fantasmé / Lumpen-terroriste biberonné aux jeux vidéo / Abruti béat frais émoulu de quelques caves / D’obédience wahhabite à la périphérie / De l’Histoire et des métropoles / bardé de rudiments théologiques / Et d’une poignée de mots en arabe», s’est vu tirer sur Hmoudane à coup de revolver. Le poète s'en est à peine sorti mais avec des égratignures. L’homme cool garde de ce fait une tristesse tenace et amère qui lui ronge le cœur.

Dans ce monde impitoyable où les rêves sont devenus rares, sinon pourchassés et traqués. Au milieu de tant de désarroi et de lassitude, et malgré la destruction, Mohamed Hmoudane propose une construction en nous incitant à rêver même quand le «rêve n’a plus d’ailes» et ce, «Pour l’éternité / Plus mille et une nuits».

 

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