La facilitation de l'accès aux expressions artistiques ainsi que l'encouragement de la créativité sont, entre autres, les objectifs les plus marquants dans le domaine culturel au titre du programme gouvernemental 2021-2026.
Par R. K. Houdaïfa
Credits : Sale temps pour La Fabrique Culturelle des Anciens Abattoirs de Casablanca. Un vent dévastateur souffle sur ses cimaises. Il serait opportun de le réexploiter comme lieu d'expérimentations et d'expressions artistiques.
Autres temps, autres mœurs. Aujourd'hui, les choses se renouvellent, et il importe d'être en phase avec les mutations, c'est-à-dire d'en prendre acte.
Si les infrastructures physiques pour accueillir les espaces culturels ont été développées, leurs contenus et leur animation restent limités, ou en décalage avec les attentes des jeunes notamment, les rendant peu attrayantes. Pis encore, malgré son importance et sa qualité de source d’épanouissement par excellence, la pratique culturelle n’est pas tout à fait promue et a même baissé au niveau du système scolaire.
Les jeunes en particulier appellent à la valorisation et la multiplication des espaces dédiés à l’expression culturelle et artistique. Il est grand temps que le Maroc s’emploie à rectifier le tir et qu’il attache une importance considérable à ce secteur. En cela, le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, répète à qui veut l’entendre qu’il fera des pieds et des mains pour l’épanouissement de l’identité plurielle et la promotion de la créativité culturelle. Il n’y a pas lieu de croire que la promesse sera vaine.
Série de mesures et de procédures
Pour prendre le taureau par les cornes, le gouvernement promet de développer une politique culturelle intégrée visant à préserver l’identité culturelle nationale et favoriser l’attachement aux valeurs de la patrie ainsi que de la nation. Il ambitionne aussi de créer de grands projets structurant le secteur culturel et le rapprochement des services et des espaces culturels, d’encourager le public à prêter attention à l'art ainsi que de promouvoir et développer les arts et la littérature orale.
Tout autant, le gouvernement mettra l'accent sur l'augmentation des financements publics, la mise en place d'agences de soutien, le renforcement des infrastructures, de même qu’il s'étalera à la réalisation de l'égalité des chances pour tous les comédiens(ennes) et acteurs(trices). Il promet aussi d’améliorer la situation matérielle des intellos, artistes et créateurs et d’intégrer le capital culturel dans les institutions éducatives telles que les écoles, les médias et les lieux de vie.
Et ce n’est pas tout ! Il insiste sur la préservation du patrimoine dans toutes ses composantes; la création de formations dans le domaine de la gestion culturelle et la coordination entre les institutions de formation en la matière.
En d'autres termes, faire émerger un véritable marché du produit culturel. Les échos que nous avons eus vont dans ce sens. Un langage nouveau, une approche inédite. Mais pas encore d'actes tangibles. Et ce sont justement des actes dont les acteurs du champ culturel ont besoin pour se rassurer.
Des attentes énormes, mais aussi de l’espoir
Nous avons demandé à un acteur culturel qui préfère garder l’anonymat son avis sur le programme gouvernemental ainsi que ses attentes. Voici ce qu’il a répondu.
«A l'annonce des objectifs les plus marquants dans le domaine culturel, je n'ai pu contenir ma joie. Il faut reconnaitre que le gouvernement s'intéresse de plus en plus à la culture. J’espère qu’il sera apte à comprendre la situation des artistes et fera son possible pour l'améliorer.
S’il ne réussit pas à mettre de l'ordre dans ce secteur anarchique, alors les efforts déployés demeureront timides, d’autant plus que c’est l'amateurisme qui y règne. Et cela, par la faute du ministère de la Culture, qui n'a jamais songé à former les gens, ni à mettre le personnel compétent en la matière…
On nous rabat les oreilles avec les aides consenties. Je trouve qu'elles sont insignifiantes. En outre, les critères de choix des bénéficiaires ont besoin d'être revus et corrigés et transparents. Ce qui n'est pas le cas.»
Des griefs
«Ce qui m'attriste également, c'est de voir les lieux de spectacle se dépeupler. Le public boude le théâtre. J’attends que l’on fasse en sorte qu'il reprenne le chemin des théâtres. Ceci passe par la construction d'espaces accueillants, idoines. Ce dont nous manquons terriblement.
Il faut mettre à la disposition des metteurs en scène et des comédiens des lieux de spectacle dignes de ce nom. A un moment où les troupes fleurissent, le pays en manque cruellement. A l’exception de quelques-uns au-dessus de tout reproche, les autres villes importantes n’offrent aucun espace honorable. Je vous laisse le soin d’imaginer l’inconfort dans lequel les troupes jouent dans les villes moyennes et petites.
Autre grain à moudre, celui de la facture esthétique et thématique des pièces données à voir. Il est inouï que le ministère de la Culture, jusqu'ici, donne sa caution à des spectacles convenus, quand ils ne sont pas mièvres ou ineptes, aux dépens de pièces puisées dans des œuvres d'envergure. Qu’il cesse d'encourager ces adaptations accommodées à la sauce marocaine, et indigestes ! Qu'il accorde son intérêt aux spectacles raffinés, impertinents et audacieux !»
Et des reproches
«Le livre va mal, les lectures sont une espèce en voie de disparition. Il faut aborder frontalement ce mauvais chapitre. Ce qui n'a pas été fait jusqu'ici. Pourtant, le mal ne cesse d'empirer. Donner aux gens de la lecture exige de rendre visible le livre. En général, les Marocains sont intimidés par les librairies, ils n'osent pas en franchir les portes. Les bibliothèques, en revanche, les attirent un peu. Encore faut-il qu'ils en trouvent sur leur chemin. Il est vrai que certains quartiers en sont privés, pendant que d'autres en regorgent. Mais elles sont, par une absurdité innommable, fermées. Pourquoi créer des lieux de lecture pour ensuite les cadenasser ?
Les galeristes, quant à eux, continuent de souffrir, les artistes de broyer du noir et les gens de se désintéresser de la chose artistique, à défaut d'y être sensibilisés par le truchement de l’école et des médias. Il faut élaborer des programmes destinés aux écoliers et concevoir des émissions. Celles-ci, littéraires, sont presque absentes, et quand il y en a une, par miracle, elle s'adresse plutôt à une élite intellectuelle qu'à la masse, dont elle ne parle pas la langue…»
La danse sombre dans la déprime
«Tous les ministres qui se sont succédé n'ont montré aucun égard pour l'art chorégraphique. Je serais même étonné d'apprendre un jour qu'ils lui ont dédié le moindre budget. Je sais que la danse est mal vue dans notre société, sans doute parce qu'elle convoque le corps et que celui-ci dérange certainement à cause du trouble qu'il suscite. Mais un ministère n'est pas censé imiter l'opinion et, par voie de conséquence, sacrifier un art éclos bien avant l'avènement de l’islam et que cette religion n’a jamais condamné. Si je devais formuler un souhait, il serait double. J’aimerais qu'il ne traite pas la danse comme si c’était la cinquième roue de son carrosse ministériel. D’autre part, j’estime qu’il est indispensable de fonder des centres de danse.»
Bref
Il y a du pain sur la planche. Pourvu que le gouvernement prenne au sérieux les choses culturelles et qu'il n'oublie pas que la culture est un moteur de développement. De surcroit, un pays sans culture est un pays sans âme.