Par R. K. Houdaïfa
«Qui peut citer le nom de trois rappeuses marocaines» ? C’est la question à laquelle nous nous sommes heurtés. La réponse est quasi sans appel. Si quelques-unes font de plus en plus parler d’elles, seuls ceux qui s’intéressent de très près au rap sont capables de citer leur nom. Alors que tout le monde connaît évidemment Don Bigg, Dizzy Dros ou encore ElGrande Toto.
C’est ce constat un peu amer qui nous a donc poussés à mettre à l’honneur Houda Abouz. Reconnaissons au moins à nos confrères peu inspirés que son talent justifie que l'on s'intéresse à elle. Ses allers-retours savamment dosés entre rap et chant, sa voix subtilement cassée quand les notes se prolongent, ses textes parfois engagés.
Ça pourrait suffire. Mais il serait hypocrite d'ignorer qu'elle est une femme dans un milieu où, au Maroc, la plupart des morceaux/albums sont faits par des hommes. Et que ses morceaux – foutu pour foutu, disons-le – sont très critiques sur la société marocaine d'aujourd'hui, et la condition féminine dans cette société.
S'il est d'apparence facile de ranger l'artiste dans une case, la réalité est tout autre. Rappeuse, évidemment, mais pas vraiment plus que revendicatrice tout compte fait. De l’aplomb, de la malice, de la fièvre, un tempérament franc du collier, indéniablement, capable d'embrasser l'egotrip cher au rap sans sourciller.
Parole décomplexée
Elle remplit son carnet de notes de bouts de phrase, en attrapant au vol des discussions, en captant des détails, en observant les postures des gens… Œil vif et oreilles en alerte, elle absorbe tout comme une éponge. Au centre de ses chansons, quoiqu’on y trouve son quotidien et ses voyages, on y rencontre, souvent, les femmes. Elle veut porter leur parole, dénoncer le sexisme – pas plus présent dans le hip-hop que dans la société en général–, tacler ces décérébrés qui, en commentaires sur les réseaux sociaux, la renvoient à sa position de femelle qui ose se frotter à un terrain d'individus burnés.
KickOff sonne la révolte : «Bad ass/ dowezt l7arb, droga, 7ma9 wel 7obb/ Ch7al men 7aja ma sed9atch puisque sata f blad *** [vulgarité, ndlr] (traduction approximative : personne qui déchire/ j’ai connu la guerre, la drogue, la folie et l’amour/ bien des choses n’ont pas tenu, puisque je suis une meuf dans un pays de roupettes». Houda Abouz, qui se définit comme «Khtek (ta sœur en français)», est une jeune femme emblématique de sa génération.
Nous l’avons découverte en 2018 sur la scène du festival Hardzazat à Ouarzazate, avant de la retrouver en trio au festival L’Boulevard. En 2019, elle donne à écouter son premier freestyle – qui est poignant –, et collabore avec Don Bigg, ElGrande Toto et Mr. Draganov dans le titre Hors-Série.
Dès lors, elle décide de voler de ses propres ailes. Elle franchit le pas et rappe en solo. Chose faite avec KickOff, Houdz, Ftila et Unpredictable Freestyle V2. Cette native de Khémisset a figuré sur la liste des «100 femmes les plus influentes de l’année» publiée par la BBC le 23 novembre 2020. Khtek est entrée sans frapper. Et elle n’est pas près de quitter les lieux de sitôt.