Deux ans et demi après son adoption, la loi 19-12, fixant les conditions de travail et d'emploi des travailleuses et travailleurs domestiques, est entrée en vigueur ce 2 octobre.
Elle reste inconnue de l’opinion publique et est contestée par les défenseurs des droits des enfants.
Au Maroc, la loi 19-12 constitue une avancée majeure en matière de protection des droits d’une population qui a toujours été dans l’ombre. Elle entend réguler et encadrer la relation entre les domestiques et les maîtres de foyers. Elle concerne également des mineurs en «phase transitoire», âgés entre 16 et 18 ans. Publiée le 22 août 2016 au Bulletin officiel après son adoption par le Parlement, la loi est entrée officiellement en vigueur le 2 octobre dernier. Elle va permettre, pour la première fois, d’établir un contrat de travail entre un travailleur domestique et son employeur.
Méconnaissance de la loi
Si dans les médias la loi a eu beaucoup d’écho, pour le citoyen lambda, elle est passée presque inaperçue. Pour s’en rendre compte, il suffit de faire un tour à la très célèbre place des Nations unies, en plein centre de la capitale économique, et de poser la question aux passants. L’écrasante majorité des personnes interrogées avouent ne pas être au courant de l’entrée en vigueur de cette loi.
«Quoi ! Des contrats de travail entre une bonne et son employeur ? ça m’étonne», nous répond un jeune homme surpris par la «nouvelle». Le plus souvent, les personnes sondées ont manifesté de l’enchantement. «C’est bien que des «bonnes» soient protégées par la loi», nous dit une maman.
En revanche, en ce qui concerne la disposition sur le travail des mineurs, les avis sont partagés.
«De toutes les manières, que les mineurs travaillent dans des foyers, c’est une pratique courante. Tout le monde le sait. Pour aider leurs familles à supporter ces temps difficiles, je pense qu’il est intéressant que des contrats soient établis entre des employeurs et des enfants n’ayant pas d’autres moyens que de travailler», argumente une trentenaire.
D’autres ne sont pas du même avis. «J’ai une fille qui a 15 ans. Il m’est inconcevable de la voir travailler et faire de la vaisselle, ranger des affaires et passer la journée à faire le ménage. De même pour les petites de son âge», compatit une autre mère de famille.
«La place des enfants est à l’école»
Meriem Othmani, présidente du Collectif associatif pour l’éradication de l’exploitation des «petites bonnes», est catégorique : «la loi est intéressante pour les adultes mais ne doit nullement inclure les mineurs. A cet âge, ces enfants ne doivent pas travailler. Leur place est à l’école».
«Les mineurs ne peuvent assumer des responsabilités, comme prendre en charge des enfants, des personnes âgées ou des handicapés», nous déclare Omar Saadoun, responsable du pôle lutte contre le travail des enfants, au sein du Collectif.
«De même, transporter des objets lourds et utiliser des produits chimiques va certainement affecter leur état de santé», a-t-il ajouté.
Le département de Bassima Hakkaoui, ministre de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement, a réagi en nous apportant quelques précisions : «le travail à effectuer ne doit pas sortir de la liste exhaustive prévue par l’article 2 de la loi. En effet, cette dernière vient limiter et circonscrire la liste des travaux qui entrent dans le cadre du travail domestique, contrairement au passé où l’employée de maison effectuait tous les travaux en même temps». Il appartiendra à l’inspection du travail de vérifier si les termes du contrat sont respectés.
Sur ce point précis, Omar Saadoune rétorque : «L’inspection du travail n’a pas de dispositif adéquat pour faire son travail. En clair, pour inspecter au sein d’un foyer, il faut une décision légale, ce qui n’est pas précisé», explique-t-il.
Aux yeux des défenseurs des «petites bonnes», le volet du consentement pose aussi problème. En effet, la loi implique le consentement du travailleur mineur sous la responsabilité d’un tuteur. «Un mineur, quel qu’il soit, reste à la merci de son employeur. Il est incapable de le confronter en raison du besoin», analyse le responsable du Collectif.
Un volet non moins important inquiète les acteurs de la société civile : le développement des réseaux des intermédiaires, qui profitent de la vulnérabilité des familles en besoin, en particulier dans le monde rural : «la loi veut rendre légitime et légaliser les pratiques des intermédiaires spécialisés dans le recrutement des petites bonnes issues des régions les plus reculées du Maroc», prévient Omar Saadoune. Dans ce sens, elle n’apporte qu’une réponse à caractère coercitif. «Le texte de loi est clair dans ce sens, dans la mesure où toute personne physique qui intervient en tant qu’intermédiaire pour recruter un travailleur domestique, même majeur, est punie d’une amende de 25.000 à 30.000 DH».
Le ministère tient à rappeler que pour lutter contre le travail des enfants, il existe d’autres mesures préventives. Il s’agit «des programmes de protection sociale et d’aide financière directe aux parents, et ce dans le cadre du Fond d’aide à la cohésion sociale dont entre autres, le programme «Tayssir», le programme «Un million de cartables»».
Selon les associations, des dizaines de milliers de filles âgées de 8 à 16 ans travaillent comme domestiques au Maroc.
R. A