◆ «Pourvu qu’il soit de bonne humeur», de Loubna Serraj, est un roman à plusieurs voix qui traverse le temps pour raconter deux vies de femmes vivant à des époques différentes et aspirant à la liberté.
Par R.K.H
Loubna Serraj s’intéresse à la quête de liberté, à ce difficile travail sélectif qui nous permet de mettre, parfois sous clef, ce qui nous dérange. Dans «Pourvu qu’il soit de bonne humeur» (éditions La croisée des chemins, 2020), Loubna se penche sur le destin perturbé de deux femmes, vivant à deux époques. Femmes perdues, frustrées d’amour et d’espoir, et que l’émancipation va libérer plus sûrement que l’écriture de roman.
Dans «Pourvu qu’il soit de bonne humeur», Loubna se penche surtout sur cette obscure transmission de la mémoire agrémentée de traumatisme entre deux générations, celle de Maya et de sa petite-fille Lilya, entre le Maroc des années 1950 et celui de 2020. «En fait, la liberté est le thème central de ce roman. L'alpha et l'oméga. Ce qui est défini ou ne peut l'être car si personnel in fine, si vital pour Maya comme pour Lilya...», souligne l’auteur.
Dédié à la vraie Maya qui a inspiré l’histoire, ce roman est un récit à plusieurs voix qui traversent le temps pour raconter deux vies de femmes, vivant à deux époques en quête constante de la «liberté».
«Le point commun, en dehors de la filiation, est la quête de liberté. Alors que Maya réussit à avoir sa bulle de liberté même dans son quotidien empreint de violence conjugale à travers son évasion dans les livres et dans sa tête, Lilya s'enferme dans une bulle de prison en ne s'autorisant pas à prendre le risque de la liberté de s'engager avec son compagnon. Inconsciemment, c'est Lilya qui appelle Maya pour qu'elle l'aide. Finalement, ce sont les deux qui vont s'aider mutuellement. Lilya lèvera le voile sur l'histoire de Maya et sur ce qu'elle a vécu. Et Maya permettra à Lilya de se rendre compte qu'elle se cloisonne et ne se donne pas les moyens de sa liberté», raconte Loubna.
Avec le sujet des violences conjugales comme toile de fond, le roman titille, sans manichéisme, d’autres thèmes comme la transmission transgénérationnelle des traumatismes, l’absence d’instinct de maternité ou encore l’engagement. «Disons qu’en dehors de la liberté, ce qui me semblait important de transmettre est qu'il n'y a pas de manichéisme. Maya n'était pas qu'une victime. Hicham n'était pas que son bourreau. C'est plus compliqué que cela.
C'est toujours plus compliqué qu'une simple opposition entre le bien et le mal. Dans le roman, les personnages ont leurs voix. Et vers la fin, tous prennent la parole : Hicham, Rhani et même Georges. Car tous ont quelque chose à dire et à dévoiler, chacun à sa manière. Il ne s'agit pas d'absoudre mais d'écouter et de se mettre totalement dans la peau de ces personnages, quel que soit le sexe ou l'âge du lecteur ou de la lectrice», explique-t-elle.
Résumer ce livre dense, âpre et subtil est une gageure, tant se mêlent à toutes les pages trahison, haine, amour, vérité et recherche constante d’identité. Loubna ausculte, avec finesse et intelligence, les liens qui, au-delà du sang, façonnent les êtres aussi fatalement que l’ADN.
Ses lecteurs lui doivent quelques nuits blanches après une plongée dans les 322 pages qui composent le roman, captivantes car efficaces. Insomnie garantie jusqu’à la dernière page. Ecrivaine, éditrice et chroniqueuse de radio, Loubna Serraj tient également un blog dans lequel elle publie ses «élucubrations» littéraires, sociales et politiques sur des sujets d’actualité. «Pourvu qu’il soit de bonne humeur» est son premier roman.
Une réussite. «Faites attention, en plongeant dans les méandres de la violence conjugale et dans les couloirs du temps !», lance-telle dans un sourire.