◆ Baptisée éloquemment «Ces corps sous la couleur», l’exposition envahit les cimaises d’Alyss'art Galerie, jusqu’au 28 octobre.
◆ Elle rassemble quatre artistes avec un seul thème commun ayant présidé à leurs exhibitions conjointes.
Par R. K. Houdaïfa
L’art figuratif peut être, en toute sorte, la représentation interprétée du monde réel ? De fait, le portrait donne à chacun accès à sa propre image, contribue à la reconnaissance de son identité dont il assure en quelque sorte la célébration sociale. Il est d’abord le mémorial par lequel les puissants enferment leur présence dans la durée. Seuls ceux qui ont pignon sur rue peuvent assouvir leur désir d’immortalité.
Mouvant et évolutif, le portrait subit maintes métamorphoses au gré des écoles : le portrait italien est présenté de profil, le portrait flamand est vu de face, privilégiant le regard (exemple l’homme au turban rouge de Jean Van Eyck). Le peintre allemand Cranach détache la figure de façon ornementale sur un fond sombre (voir Portrait du duc Henri le Pieux).
Rembrandt méprise la représentation fidèle et recherche la vérité intime et spirituelle du sujet grâce à sa technique du clair-obscur. Hals renonce aux images figées pour capter l’expression des yeux et des gestes. Quentin de la Tour, par son réalisme scrupuleux, aboutit à une émouvante sincérité des visages… En contrepoint du portrait, genre rémunérateur entre tous, figurait l’autoportrait, exercice égoïste par lequel les peintres satisfaisaient leur besoin d’interroger leur propre visage.
Rembrandt se posait en interrogateur, le haut du buste de profil, et la tête tournée vers le spectateur. Gustave Courbet se peignait le regard inquiet, les mains crispées dans une chevelure désordonnée… Retranscrire un visage dans toute sa vérité et son expression, voilà un domaine où la photographie se fit d’emblée un devoir de s’illustrer. Non seulement elle y parvint mais elle permit, de surcroît, l’avènement d’une «démocratie du visage». Splendeurs figuratives Dès lors, la représentation figurative se mit à péricliter; elle fut rejetée dans les limbes.
Et voilà que Issam Eddine Elouardassi, Salah Benjkan, Monia Touiss et Abdelaziz Haounati l’extirpent de sa nuit pour la remettre en vive lumière, nous offrant une galerie de corps dans des scènes d'intérieur, de foules dans l'antre d'un bistrot, de portraits que nous façonnerons selon notre symbolique, notre imaginaire, nos fantasmes. Dans cet argumentaire, présenté sous forme d’un concert de couleurs et de lumières, les peintres jouent superbement leurs partitions.
Situé à la lisière du figuratif et de l’abstrait, leur art suggère que «l’essentiel est invisible pour les yeux», pour reprendre l’aphorisme du renard du Petit Prince. Probablement par un souci de sauvegarder les «espaces du dedans» face au pouvoir asphyxiant du visible, du «c’est tout vu». Ici, la perception immédiate, littérale, n’est pas de mise, tant les «sujets» figurés ou «brumeusement» ébauchés se donnent à voir comme des métaphores interprétables.
Au-delà du plaisir du déchiffrement auquel elles convient, les œuvres forcent l’admiration par leur esthétique. Les vies captées d’Elouardassi fascinent, la dynamique des formes qui enrobe le style de Benjkan interpelle, le ludisme réfléchi de Haounati enchante et les lumineuses compositions de Monia Touiss magnétisent. L’exposition d’une peinture inclassable, cela ne se rate pas