Pour son solo-show, l’artiste tangérois dévoile, jusqu’au 23 janvier, un art d’où sourdent le désenchantement, le mal-être et l’angoisse.
Par R. K. H.
À propos d’Ilias Selfati, on pensait avoir tout dit, tout vu, tout entendu. Et pourtant, le voilà qui se révèle à nouveau ailleurs, radicalement contemporain, à force de ne vouloir se restreindre à rien – ni périodes, ni écoles, ni mouvements -. Il échappe à ces mises en boîte afin de couper l’herbe sous le pied aux classifications hâtives. À la galerie Mohamed Drissi, l’exposition montée avec le jeune curateur Achraf Remok, «Dreaming in a Wonderful Forest», en témoigne
. Le titre fournit l’entrée en matière: ici, il sera question de «rêver», mais de «rêver dans une magnifique forêt». De quelles images de la forêt disposons-nous ? Celle qui est la sève des contes et légendes, des rites païens et des mystères ? Des artistes nous en donnent une vision aérienne, lisse et exotique, réalisée à l’aide de gros moyens techniques. «Dreaming in a Wonderful Forest» en est l’antithèse. La forêt n’est pas cependant qu’une question métaphorique, et dans le corpus de l’artiste, elle constitue une ligne de force depuis de nombreuses années.
Quoique des silhouettes chevalines ou un dripping de fleurs flottent dans les œuvres, cette exposition n’entend pas simplement donner à voir de vastes étendues de terrains couvertes d'arbres et où vivent une multitude d’espèces animales ainsi que végétales. Une magnifique forêt serait alors l’incarnation même de la notion philosophique d’un monde qui irait toujours vers le meilleur. Et pour qu’il aille mieux, il faudrait que l’Homme délaisse les croyances archaïques, les superstitions et les figures de l’irrationnel qui peuvent être perçues comme autant de formes d’ignorance, d’oppression et de violence.
L’humaine condition
Plus qu’à la beauté de la forêt, cette expo s’intéresse à l’Humain; celui torturé ou qui simplement se laisse faire et exploiter. Sur l’une des images iconiques de Marylin Monroe, une citation biblique qui suggère que la star aurait été dévorée par les loups d’Hollywood : «Behold, I send you out as sheep in the midst of wolves (Matthew 10:16 –ndlr)». Sur une autre composition, l’évocation d’un destin tragique, celui de Jean-Michel Basquiat, artiste unique dont l’élan fut trop tôt décapité… Ilias Selfati n’a pas d’intérêt morbide pour ces damnés, embourbés dans une spirale de mensonges, de soumission… et pour qui la mort sera leur seule libération, mais pointe les faits, les dissèque de la manière la plus juste. L’idée de cette expo serait de prendre un temps de réflexion, de faire le point sur ce qui a fait du monde ce qu’il est aujourd’hui, pour mieux envisager la suite. Il s’agit ici de méditer sur l’état de notre monde et, au-delà, de réfléchir sur nos façons de vivre. On peut donc «rêver» encore «dans une magnifique forêt». On peut encore rêver d’un monde meilleur.
On peut encore désirer, avec simplement du carton, papier, encre, acrylique, fusain, peinture à l’huile ou pastel, partager avec d’autres une «Wonderful Forest». On peut encore, avec un peu de modestie, comme Ilias Selfati le fit, porter sur le monde un regard sensible aussi. On peut encore… Sans nul doute, l’expo «Dreaming in a Wonderful Forest» est l’une des plus belles, mais la plus différente surtout – les tableaux ont délaissé les cimaises pour s’adosser aux murs et trôner sur des encyclopédies -. Sans nul doute aussi, elle sera une magnifique et bouleversante découverte pour ceux qui n’ont pas encore eu la chance de découvrir le travail de Selfati, un artiste si singulier.