La grande dépression, la grande angoisse et la grande promesse. Douze artistes présentent à Alyss’art Galerie leurs œuvres à l’esthétique rigoureuse et du moins dramatique.
A travers les siècles, l’humain a vu son état de santé se dégrader, ses maladies se multiplier : de perte en perte et, pour finir, la valse des bien-aimés(es). Reste qu’il soit un héros. Cet homme hors du commun dont l’Antiquité a fait un demi-dieu; ou ce personnage qui, dans un roman, mène et oriente l’action, qu’il soit ou non l’auteur d’actes héroïques…
Curieusement, il arrive que ce personnage primordial soit présenté comme un antihéros, sa vie passant dans une certaine passivité, par dégoût de l’existence ou par une résignation devant un but à atteindre dont il lui paraît assez vite qu’il est inaccessible. «Il y a des destinées qui finissent on ne sait où, comme les oueds dans le sable», une définition que donnait Jules Romains des vies sans consistance.
Une autre part est pourtant ainsi laissée dans l’ombre, qui éclaire et nourrit le reste : la part de l’artiste. Rigoureuse, passionnée, sceptique… En ces temps de tourmente apocalyptique, et alors que gronde la menace latente, l’expo «Chronique du monde qui vient…», aussi bien qu’elle engage un dialogue opportun sur le monde de demain, elle montre des œuvres telle une lueur d’«espoir».
Face à la désillusion, Abdeljalil Saouli, Hakim Benchekroun, Madiha Sebbani, Saad Nazih, Mehdi Ouahmane, Hicham Matini, Malek Sordo, Nafie Ben Krich, Ramia Beladel, Sabrina Lahrach, Amina Rezki et Monia Touiss ont réagi de manières diverses : certains ont cherché notre «monde» dans le passé, d’autres l’ont inventé. C’est une autre vie, tantôt révolue tantôt fantasmée, que les douze artistes ont présenté dans leurs œuvres. Comme la littérature et le cinéma, elles/ils offrent à voir une critique sans fard.
Chacun à sa manière, ces artistes disent en creux l’inépuisable réservoir d’imagination qu’est le monde, son pouvoir d’effrayer et de rassurer. Elles/ils martèlent surtout qu’il, aussi, il pense… Il est grand temps, suggèrent-elles/ils, de nous défaire des séparations arbitraires entre l’humain et les différents règnes du vivant. Et, pourtant, d’arrêter notre grand saccage.
Au sortir de l’exposition, il faut se rendre à l’évidence : on n’y croise pas des masses de sujets. Ils ne sont pas absolument absents, non. Il est possible d’au moins penser les entendre réagir à nos pas, émettre de petits bruits. Puis se taire. Car, comme dans la forêt, les animaux restent cachés.
Or, c’est toute la joliesse de l’expo de ne pas nous taper sur la tête avec ses grandes idées (car elle en a), mais de nous laisser parvenir à nos propres conclusions, comme à celle-ci : le monde est entre autres le lieu de l’invisible (ou d’un visible ?!).
Qui aime bien châtie bien. Autant que les yeux, c’est l’estomac et le bon goût que les œuvres réunies mettent à l’épreuve. Si bien qu’elles peuvent provoquer quelques haut-le-cœur.
Du début à la fin de l’expo, tout se ressemble un peu trop. Toutes et tous traduisent cette infatigable capacité du monde à se réinventer. Pour le meilleur et pour le pire.
Par R.K.H