◆ Les Éditions Orion publient un livre de 400 pages dédié aux femmes. L’ouvrage, intitulé «Le temps des femmes libres», rend hommage à plus de 100 femmes de différents horizons, qui s’illustrent par leurs parcours et leur impact au sein de la société.

◆ Entretien avec Abdelhak Najib, écrivain, journaliste et éditeur.

Finances News Hebdo : La question qui s’impose d’emblée est la suivante: pourquoi un livre sur les femmes et pourquoi maintenant ?

Abdelhak Najib : Nous sommes partis d’une autre question pour donner corps à cet ouvrage. Qu’est-ce que la femme marocaine ? A-t-elle une spécificité en comparaison avec d’autres femmes dans le monde ? Comment est-elle perçue aujourd’hui dans un Maroc qui se dit en mouvement et en mutation ? Qu’en est-il de l’équité ? De l’égalité ? Où en sommes-nous avec la violence, les stigmatisations, le machisme, la soumission, la domination et les rêves avortés de l’émancipation ? Les femmes sont-elles réellement plus indépendantes aujourd’hui ? Et qu’entendonsnous par indépendance ? Sont-elles plus libres ? Ou est-ce que la liberté a pris des tournants flous et confus qui faussent toutes les données ? Et qu’en est-il du monde rural ? Qu’en-est-il de toutes ces femmes dont personne ne parle ?

Ces femmes qui triment, qui gèrent des familles, qui luttent à chaque instant pour la survie, en silence, sans jamais se plaindre ? Qu’en est-il des femmes oubliées ? Y aurait-il des catégories de femmes ? Celles dont on doit toujours parler parce qu’elles sont en vue, et celles condamnées à ne jamais prendre la parole ? Voilà en somme les interrogations qui s’imposent pour prendre le pouls d’une société à plusieurs vitesses. Chercher des réponses implique une lecture à plusieurs degrés d’une problématique complexe. Il faut décortiquer les atavismes qui refusent de céder du terrain à cette «pseudo» évolution des rapports entre femme et homme dans ce pays.

Il faut décoder les mécanismes presque génétiques qui régissent les motivations des hommes dans leur relation aux femmes et inversement. On parle ici de sexualité, du pouvoir de l’argent, de la domination sociale, du poids des traditions qui consacrent une certaine idée d’être femme en rapport avec cette idée d’être homme. Il faut également se pencher sur la religion et ses imbrications au quotidien à la fois dans la manière d’appréhender juridiquement les affaires des femmes (héritage, entre autres).

Sans oublier la place politique de la femme, son poids, sa force de frappe, sa représentation (en 2020, le gouvernement marocain reste très largement composé d’hommes, malgré les beaux discours sur l’égalité des chances, la moudawana et autres slogans). C’est à la lumière de toutes ces interrogations que nous avons décidé d’offrir ce livre d’art à toutes ces femmes qui incarnent aujourd’hui une autre manière de voir le monde et d’y agir.

F.N.H. : En somme, cet ouvrage est aussi une réponse au marasme ambiant en mettant les bons profils au-devant de la scène et d’attester de la valeur des femmes battantes, qui sont aux prises avec leur société, sans concessions et sans compromis ?

A. N. : C’est exactement cela. Pour nous, faire un tel diagnostic de la société suppose aussi de nous arrêter sur de nombreuses attaques en règle et au quotidien dont les femmes sont victimes, et ce dans toutes les villes et les localités marocaines. Une recrudescence de la violence qui pose question : pourquoi les relations conflictuelles se sont-elles exacerbées ? Est-ce l’effet grossissant des réseaux sociaux et leurs dérives incontrôlées et incontrôlables ?

Ou est-ce un réel symptôme d’une société qui perd le Nord, qui ne sait plus comment gérer le flux des effets d’une certaine idée de la modernité couplée à des archaïsmes anachroniques ? En tout état de cause, la situation de la femme marocaine fait très mal. Au-delà des complaisances de circonstances et des autocongratulations pour brouiller les pistes, le tableau est teinté de noir, à plusieurs endroits. Sans donner dans la noirceur tous azimuts, et en évitant toute hypocrisie, qui peut aujourd’hui, sans rougir, dire que la femme marocaine vit dans une société qui l’aime, qui la respecte, qui l’estime, qui la protège, qui la porte aux nues et qui lui donne toutes les chances de se réaliser et de jouir pleinement de son statut de femme ? Reste que des avancées ont été notées ici et là, dans plusieurs domaines certes.

Mais est-ce que le fait d’être femme ministre, femme d’affaires, patronne, grande responsable dans une multinationale efface d’un revers de la main, et comme par miracle, le regard réducteur des autres, les sédiments historiques des traditions qui ont la peau dure, et surtout le regard parfois biaisé de la femme sur elle-même et sur les autres femmes ?

F.N.H. : Tous ces profils sont une manière de résister à ces archaïsmes qui ont la peau dure...

A. N. : Evidemment. Et la preuve, c’est que nous avons des femmes qui s’illustrent dans tous les domaines. Il est clair que la femme est aujourd’hui présente à tous les étages d’une société qui s’escrime avec la modernité. Il est sûr que la femme arrache ses droits au prix de tant d’efforts et impose ses choix. Mais à quels prix justement ? On ne peut éviter cette question qui demeure sans réponse depuis plusieurs décennies : les Marocains (femmes et hommes) ont-ils conscience qu’il faut faire de la question des femmes un véritable débat pour faire une société ? Alors, où en sommesnous, aujourd’hui, des relations femme/homme au Maroc ? Quels sont les acquis de la femme aujourd’hui ? Quelles avancées pour les mentalités marocaines ?

Où en sommes-nous des violences, de l’ostracisme, des discriminations dont les femmes ont souffert et souffrent encore ? Quel avenir pour la femme marocaine à la lumière des grandes mutations que traverse la société marocaine depuis plusieurs décennies. Tous les portraits réunis dans «Le temps des femmes libres» sont une réponse claire à ces questions. La femme arrache ses droits et s’impose comme l’avenir de l’homme et de la société non seulement marocaine, mais dans le monde.

F.N.H. : Comment avez-vous choisi les profils présents dans ce livre ?

A. N. : C’est très simple. Cet ouvrage rend hommage à plusieurs dizaines de femmes, marocaines, marocaines de cœur, femmes arabes ayant un lien avec le Maroc, artistes, chercheurs, scientifiques, des femmes de talent, jeunes et moins jeunes, qui, toutes, partagent un sens commun du dévouement et du don de soi. Nous aurions pu réaliser un ouvrage de milliers de pages pour rendre hommage à des milliers de femmes, d’ici et d’ailleurs, mais pour des raisons évidentes, nous avons limité notre sélection à une centaine de figures, avec le désir de donner corps à d’autres ouvrages pour parler de toutes ces femmes qui nous inspirent, qui nous guident, qui nous nourrissent et nous ouvrent grands les champs du possible.

Comme vous l’avez noté en parcourant les profils de ce livre, nous avons privilégié de parler de femmes qui donnent l’exemple, qui s’impliquent dans la vie sociale, qui luttent et se battent pour aider les autres et apporter de la joie dans le cœur des uns et des autres : femmes médecins, femmes chercheurs, femmes scientifiques, femmes de la Nasa, femmes artistes, femmes actrices et comédiennes, femmes créatrices, jeunes talents qui vont éclore et nous surprendre, femmes célèbres dans leurs domaines respectifs et femmes qui nous promettent le meilleur.

Nous avons évité les amalgames, les mélanges des genres, le fourre-tout, où l’on mélange les véritables parcours inspirants, servant d’exemples aux autres et de pseudos célébrités de pacotille, sans envergure, sans réel impact ni sur la société ni sur tous ceux qui veulent ériger les valeurs humaines en credo et en mode de vie, pour les générations futures. Chaque parcours décrit ici est une leçon de vie. Chaque réalisation a été arrachée avec dignité et abnégation. Chaque succès, une lutte de tous les instants. Voici le fin mot de toute cette aventure.