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Parution : Mamoun Lahbabi publie «De peine et de cendre» aux Éditions Orion

Parution : Mamoun Lahbabi publie «De peine et de cendre» aux Éditions Orion

Sans déroger à la fusion de l’imaginaire et du réel, le mode littéraire où baignent tous ses romans, Mamoun Lahbabi effectue cette fois une immersion plus prononcée dans la réalité. La raison est annoncée en incipit : il raconte l’histoire d’un ami disparu.

Lecture de ce roman à la sensibilité à fleur de peau.

 

Une errance hagarde dans un hameau déserté, une main généreuse qui se tend, une enfance heureuse dans une famille d’adoption chaleureuse, une adolescence agitée par les premiers questionnements de l’origine…, et le trouble envahissant de l’identité.

 

Tel est le cours de la vie de Badis qui s’engage dans la quête de ses origines. Dans le chemin semé de plis qu’il s’apprête à affronter, il dispose d’indices approximatifs mais surtout d’une volonté qui fleure un intarissable parfum d’acharnement.

 

Car il ne s’agit pas de nostalgie ou d’un désir de retrouvaille, mais d’une question cardinale en ceci qu’elle porte sur la source même de la vie, cette origine qui imprime l’identité et façonne le temps à vivre. Il ne s’agit pas de regret et de mélancolie à l’égard d’un temps inconnu, mais de reconstitution d’un passé, ce socle sur lequel repose pour toujours le temps d’après. Il ne s’agit pas non plus d’une résilience destinée à apurer une souffrance, mais bien d’un raccordement du passé au présent afin de donner sens à l’avenir et goût à l’existence.

 

Même si l’auteur ne sombre à aucun moment dans l’affliction, le roman baigne dans une atmosphère ombrée de tristesse. A l’intérieur des mots, et en dépit des moments heureux, est tapi le sentiment d’une vie déchiquetée par le déracinement.

 

De peine et de cendre est un roman pénétré du chagrin de l’auteur qui s’interdit toutefois les épanchements qui trahiraient la peine d’un ami broyé par la maladie. Dans ce roman, il n’y a pas de capitulation face à la cruauté du destin.

 

Dans une écriture sans concession ou faux-semblant, l’auteur invite le lecteur à s’interroger sur le fil continu ou rompu du temps. Est-il possible de le traverser amputé d’un morceau ? Le présent doit-il nécessairement posséder le passé ? Le passé est-il indispensable à l’avenir ? La mémoire peut-elle s’exonérer de commencement ?

 

De peine et de cendre est un roman, certes, mais aussi et peut-être surtout un hommage. Afin d’être le scribe scrupuleux de cette quête identitaire, Mamoun Lahbabi s’applique à ne manquer aucun épisode du long parcours chaotique de Badis. Il ne s’impose aucune impatience pour dire. Il s’immobilise aux différentes scènes et arme son stylo pour partager l’état d’âme de ce personnage qui avance dans un épais brouillard sans jamais ciller.

 

Dans ce dix-neuvième roman, je reconnais le phrasé appliqué de cet auteur qui, cette fois, réunit la langue et la pensée au service d’une quête primordiale.

Aux Éditions Orion. Mars 2023. 250 pages. Disponible en librairies.

 

Extrait 
«Raconter ma vie, clouer mes jours sur la page blanche. Il m’a fallu longtemps pour y parvenir. Trop longtemps peut-être. Ou bien l’ai-je fait trop tôt, je ne sais plus. Me fallait-il piétiner mes douleurs, m’enfoncer davantage dans l’abîme d’une mémoire déchiquetée et scander par le caractère d’imprimerie la souffrance d’avoir vécu sans exister ? Je n’en avais ni le désir, ni la puissance. Pour cela, il eut fallu qu’une ondée d’oubli s’insinue dans mes souvenirs. Pas l’oubli comme effacement, mais l’oubli comme répit dans un purgatoire afin de reprendre souffle le temps d’une percée dans le présent. Il eut fallu que mon âme s’apaise, qu’un instant seulement coule en moi l’envie de devenir pour accorder au temps qu’il me reste à vivre le privilège d’être. Il eut fallu que je cesse de creuser dans ce passé inaccessible, de buriner inutilement le temps pour en extraire une origine charriant à jamais une insondable hypothèque. Il eut fallu que je renonce à mon temps originel, cette partie de moi qui m’échappe et m’escorte telle une ombre ineffaçable ; que je me contente des seules amarres d’un présent volatile répandu sans laisser de trace ; que je répudie de mes talons une terre imaginée dont je devinais le parfum et que je porterai jusqu’à mon dernier soupir.»
 

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