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Parution : «Les Hommes de la nuit» de Mustapha Guiliz aux Éditions Orion

Parution : «Les Hommes de la nuit» de Mustapha Guiliz aux Éditions Orion

 
Après «Le Monde d’Ibrahim», toujours aux Éditions Orion, Mustapha Guiliz poursuit son œuvre littéraire avec un nouvel opus, intitulé : «Les hommes de la nuit».

 

Par Abdelhak Najib 
Écrivain-journaliste 

 

 

 

Ce roman relate l’histoire d’une génération aux prises avec les difficultés de vivre dans un monde de plus en plus rigoureux pour des jeunes désarmés et sans repères pour s’ouvrir non les portes du ciel, ce qui serait trop demander, mais celles de cœurs. C’est un roman sur la fragilité de notre monde et de notre humanité. Le destin est collectif, les solutions sont individuelles mais le résultat est le même, dysphorique. Comment se tirer d’affaire quand tout le monde condamne, voire même hypothèque l’avenir ?
 
«Comme dans une invocation, comme dans un ultime appel à l’aide, il lève les yeux vers le ciel et vit le plafond sale de la cuisine; puis les baisse sur son frère. Sa gorge est traversée par le couteau effilé qu’il voit scintiller pour une dernière fois, mais maculé de sang cette fois-ci. Sa trachée artère scintille du sang chaud qui gicle. Il porte la main à sa gorge comme s’il voulait arrêter le flot de sang qui se déverse depuis sa blessure. Il comprend que la vie le quitte. Il se vide de son sang; un sang  luisant, chaud, qui déborde maintenant et s’écoule sur son buste, arrive à sa taille. Ses yeux se portent vers son frère comme s’il lui adressait un ultime reproche sur ce qu’il vient de commettre.»
 
Il y a la nuit du cosmos et il y a la nuit des hommes ou quand les hommes deviennent des faiseurs de la nuit et qui persévèrent dans la passion tout aussi absurde qu’inexplicable des ténèbres et de la nébulosité. Comment les reconnaître ? Ils ont les mains libres pour déjouer les pièges de la conscience, à commencer par la leur. La nuit qu’ils chérissent, parce qu’elle les couvre de son manteau, devient une fatalité, et on est contraint d’en subir  les affres. La société elle-même ne consacrait-elle pas la nuit comme porteuse de conseils ? Dans ce roman, elle décide de la destinée des hommes. Il y a une sagesse erronée chez les personnes maléfiques; elle est machiavélique et elle s’invite à tous les compartiments de la vie pour en régir jusqu’au souffle. Tout se couvre de la nuit. Chacun y creuse son terrier ou son antre pour se soustraire à tout contrôle. C’est le triomphe des philosophies particulières qui sont en définitive une autre appellation d’une casuistique des plus éhontées, mais modernisée.


Ce roman invite moins à réfléchir qu’à rêver. Car la réflexion bute contre l’insignifiance. Manque de parangon qui régirait la vie commune pour en faire un festin où l’on invite tout le monde. Du bonheur, nulle idée de son existence ; peut-être n’est-il pas encore inventé ? Il s’ensuit une idée vague qui fait détourner les consciences ailleurs. Il domine dans les ambiances de ce roman une anarchie des cœurs qui obnubile les vues. Mais le texte fait mieux : il invite le lecteur et en fait un témoin des vilenies commises par des agents, comme on dit en grammaire.

 

Dans un style fortement visuel, le narrateur fait le procès qu’un romancier peut faire à la société qui l’a vu naître. Il y a de l’acharnement, de toutes parts pour s’acquitter de sa mission. L’auteur sonde l’âme humaine pour nous en révéler les vérités immuables sur le bien et le mal. Personne n’est dupe de l’altération de la vérité. Les destins spoliés, les vies brisées et une lamentable médiocrité qui frappe les esprits. Aucune solution pérenne n’est à l’ordre du jour. Même la lucidité qui découle de la vue fait défaut chez une population (au sens sociologique) agissant comme sous l’effet d’un narcotique.

 

Les personnages butent contre les vitres du réel. Partout l’abus des puissants ou de ceux qui se croient tels. Partout on manque à l’esprit d’éthique et de la responsabilité. Le romanesque progresse par évènements; il y a lieu de remarquer l’extrême complexité des personnages à la sensibilité d’écorchés vifs et qui n’ont plus de choix. Ils sont cernés par un je ne sais quoi qui les condamne à une médiocrité viscérale.

 

Le narrateur s’immisce dans les  sentiers intimes pour livrer un témoignage de cette débandade régie par une loi de composition interne unique : celle de l’arrivisme malvoyant. Il s’associe aux destinées pour dresser le constat d’une faillite humaine dont il ne s’étonne plus. Il ne faut pas juger, il faut montrer, disent les théoriciens de l’art romanesque. «Les Hommes de la nuit» ne rapporte pas une connaissance infaillible des hommes. Ce n’est pas dans ses prétentions. Mais une certaine connaissance est toujours possible. Et elle est peut-être la meilleure. Une société vivant son époque livre rarement ses secrets que l’on ne peut juger qu’en fonction des résultats et des trajectoires. Mais le propre de la littérature n’est pas de se pencher sur les délits ni encore sur les crimes. Elle peut cependant sonder les limites des douleurs et en faire une allégorie qui la rend sensible, visuelle et même audible. Avec ce roman, la littérature qui interroge le réel, s’offre par des moyens inédits les possibles d’une transposition artistique des plus brillantes.

 

*Aux éditions Orion. 260 pages. 100 DH. Mai 2023. Disponible en librairies.

 

 

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