Heureux Rbatis qui se sont mis sous la dent un morceau de choix, la rencontre-débat autour de la bande dessinée, «Drôles de révolutions», de l’écrivain et artiste Youssouf Amine Elalamy, et du dessinateur Yassine Hejjamy, éditée par Le Fennec. Et elle a été offerte, en un lieu, ce qui intensifie le plaisir, so cosy : Café la scène.
Par R. K. Houdaïfa
Le rendez-vous méritait le détour. Pour plusieurs raisons. La première tient à la beauté du verbe et la pureté du style dans les textes. «Je trouve chez lui une forme d’humour noir, grinçant et décalé que je partage. A la seule différence qu’il les exprime (les personnages -ndlr) à travers une sorte de finesse littéraire tout en restant simple, tandis que j’ai toujours fait parler mes personnages dans un registre plus oral, brutal et direct (dixit Yassine Hejjamy)» (1).
La deuxième réside dans la facture remarquable des dessins. C’est-à-dire pour reprendre les mots de Youssouf Amine Elalamy : «la manière dont (Yassine) arrivait à distinguer ses personnages les uns les autres, sans jamais tomber dans le cliché du personnage arabe (2)». La troisième raison se trouvait liée à la portée pédagogique de la rencontre, qui illustre la bonne tenue de la bande dessinée marocaine, gage de sa réputation constamment honorable. Longtemps dédaignée arbitrairement, inconsidérément, inconcevablement, cet art sort peu à peu de l’ombre pour se mettre en lumière grâce à une génération d’artistes marocains particulièrement doués et vigilants.
Pour rappel, il fut un temps, quand les «artistes» se faisaient courtiser par les galeristes – et les éditeurs-, les artistes, bédéistes, frappaient vainement à toutes les portes, il faut le préciser; ils étaient condamnés à conserver leurs planches sous le boisseau, faute de possibilités de les montrer. «Drôles de révolutions» se compose de micro-récits liés les uns aux autres et non d’une narration linéaire, comme c’est souvent le cas dans les romans. On peut commencer à le lire du milieu, de la fin, puis remonter au tout début. Et comme ce livre est très rythmé, on peut passer avec beaucoup de fluidité d’un personnage à l’autre. Point de cadre spatial spécifié. On comprend, à travers les dessins, qu’il s’agit d’un pays arabe, mais on ne précise pas lequel. L’important n’est pas tant le pays où se déroulent ces révolutions, mais la radiophonie des sociétés du monde arabe, avec leurs contradictions et leur schizophrénie.
De la simple manifestante à l’illustre dictateur, en passant par le psychanalyste et le vendeur de chawarma, «Drôles de révolutions» se présente ainsi comme une aventure humaine en 60 pages, où chacun des 18 personnages se met à nu, donne à voir ses pensées, ses secrets les plus intimes et se rêve autrement. Ce qui est mis en avant, c’est justement ce à quoi ils pensent, ce qui se passe dans leur tête quand ils sont en train de manifester dans la rue. Vies saccagées; portraits de personnages en dérive; boulets rouges sur les dictatures; des cris, des pleurs, des prières; traumatisme d’enfance; frustrations personnelles, qu’elles soient sociales ou sexuelles… : il y a tout cela dans les planches de «Drôles de révolutions». Les scènes sont si justes qu’elles résonnent en nous. Et les joies comme les déboires deviennent les nôtres.
(1) et (2) : extraits de l'interview réalisée par Soundous Chraibi, parue dans "Qitab" le 30 mars 2023.