L’écrivain nourrit l’artiste. Nous nous demanderions si chaque tableau compose un roman. Intense plaisir que celui de s’abandonner à l’ivresse distillée par une certaine couleur noire. Un noir accordé avec un rouge éblouissant, mais aussi avec des tracés délicats de blanc.
L’ensemble constituant un univers chromatique tellement fascinant qu’il risque de détourner l’essentiel à l’as. Un tas de choses se diluent dans l’espace coloré qui laisse flotter deux têtes, deux visages ambigus, à la fois doubles et semblables, qui se confondent et s’étreignent en vain, criant de présence.
Corps anonymes, ombres désincarnées, silhouettes soumises, lacérées, contorsionnées, distordues, triturées... Les mystérieux personnages sont d’une mélancolie pathétique et émouvante, dégageant un profond sentiment de mal-être et d’inquiétude. Dans sa peinture, Mahi se préoccupe exclusivement de ses semblables. La figure humaine est le seul motif qui hante sa peinture.
Encre-t-elle une vision sombre et vigilante de l’humain ? En rameutant des ombres accusatrices, en extrayant des ténèbres des fantômes, Binebine exhume les blessures infligées à l’humanité, et fait éloge à la douleur infinie. Un cri de l’insupportable.
Techniquement, Binebine utilise des matériaux qu’il repère et combine à sa guise et en fonction de ses intentions. L’artiste multifacette aime aussi manier divers pigments naturels, récipients d’huile de lin, pains de cire d’abeille qu’il fait fondre avant d’en étaler de fines couches sur les panneaux qu’il s’apprête à peindre.
Cela multiplie à l’infini les couches de couleur, illumine le tableau et lui confère une transparence unique à nulle autre pareille. La recette ? Sa «cuisine», comme il a tendance à répliquer par un sourire sonore.
Par R. K. H.