◆ L’Etat dépense sans compter, multipliant les mesures de soutien aux particuliers et entreprises.
◆ La dernière mesure prise par le Comité de veille économique est jugée «injuste».
◆ La sauvegarde des emplois reste une priorité.
Par D. William
Dans sa volonté de maintenir l’économie nationale à flots, l’Etat marocain s’est montré particulièrement généreux depuis le déclenchement de la crise sanitaire. Il multiplie les initiatives en faveur non seulement des particuliers, mais également des entreprises, surtout les TPME, des structures réputées assez fragiles et qui le sont devenues encore davantage avec cette crise.
C’est pour sauver le Maroc d’un naufrage économique certain que l’Etat, à travers le Comité de veille économique (CVE), dépense sans compter pour soutenir et accompagner ces petites entités qui constituent 95% du tissu productif national, mais également pour venir en aide aux salariés.
Les dernières mesures prises ont été annoncées le 8 mai courant. Ainsi, pour les particuliers dont les revenus ont baissé du fait de l’état d’urgence sanitaire décrété, il a été décidé que l’Etat et le secteur bancaire prendront en charge l’intégralité des intérêts intercalaires, générés par le report des échéances des crédits logement et consommation pour la période s’étalant entre mars à juin 2020.
«Cette mesure est valable pour les personnes ayant des échéances mensuelles de crédit allant jusqu’à 3.000 DH pour les crédits logement et 1.500 DH pour les crédits consommation, y compris ceux contractés auprès des sociétés de financement», fait savoir le CVE.
Si cette mesure permet de donner une bouffée d’oxygène aux personnes éligibles, elle est jugée néanmoins discriminatoire par certains observateurs.
Le professeur universitaire et président du Directoire du Centre indépendant des analyses stratégiques, Driss Effina, ne dit pas autre chose. Selon lui, il y a «une injustice à ce niveau, car on ne peut pas être sélectif en limitant le plafond des crédits, qu’ils soient immobiliers ou à la consommation». «C’est l’Etat qui a décidé le confinement et l’arrêt des activités et c’est à lui d’en assumer les conséquences», estime-t-il, précisant que d’autres pays ont pris en charge totalement les intérêts intercalaires.
A peu près même son de cloche pour Youssef Oubouali, professeur de droit fiscal et de gestion, qui déplore que «dans sa communication, le gouvernement a dès le départ manqué de transparence et de précision, créant dès lors des interprétations différentes chez les banques et les organismes de financement». «Il a été décidé que tous les intérêts intercalaires doivent être supportés par l’Etat et les banques. Par la suite, de nouvelles projections ont fixé les conditions pour bénéficier de ces mesures, et ce afin de soulager le fonds dédié à lutter contre la pandémie. Les simulations ont en effet abouti à un grand montant, ce qui devrait entraîner une forte pression sur le fonds, alors qu’il existe d’autres dépenses très prioritaires», fait-il savoir.
Rappelons, à ce titre, qu’environ 400.000 personnes devraient bénéficier du report des échéances de crédits.
Urgence pour les TMPE
La seconde mesure prise par le CVE concerne la mise en place d’un nouveau dispositif cou- vrant l’ensemble des segments des entreprises composant le tissu national. Ainsi, Damane Oxygène sera revu et assou- pli, avec une amélioration des conditions d’accès au finance- ment pour le redémarrage, en faveur des TPE, PME et des entreprises de taille intermédiaire (ETI).
Il sera prorogé jusqu’au 31 décembre 2020 et aucune sûreté ne sera désormais exigée. De plus, les entreprises réalisant un chiffre d’affaires de plus de 500 MDH seront intégrées dans un dispositif approprié pour le financement de la relance.
Ces largesses de l’Etat sont légitimées par le fait que ces entreprises sont actuellement dans le dur. Les résultats préliminaires d'une enquête de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) intitulée «Quels sont les impacts de la pandémie Covid-19 sur votre entreprise ?», rendus publics récemment, montrent en effet que 815 entreprises interrogées (sur 1.740) ont vu leur activité, pendant les trois premiers mois, baisser de plus de 50%, et 301 entreprises ont déclaré une baisse entre 30% et 50%.
De même, les entreprises sondées craignent la perte de 165.586 emplois, soit 55% de leurs effectifs.
Par ailleurs, les derniers chiffres officiels disponibles font état de 134.000 entreprises (sur 216.000 affiliées à la Caisse nationale de sécurité sociale) au Maroc en difficulté, avec pour conséquence 900.000 salariés en arrêt de travail temporaire au mois d’avril.
Les dispositions prises et les sommes colossales injectées éviteront-elles des faillites en cascade de TPME, particulièrement parmi celles opérant dans tourisme, l’hôtellerie, la restauration, l’export...? Permettront-elles d’empêcher que des dizaines de milliers de salariés basculent dans le chômage et la précarité ?
Difficile à dire pour l’instant, mais «il faut craindre» que cela n’arrive, avertit l’économiste et ancien ministre, Abdeslam Seddiki, qui a mis en avant la fragilité de ces entreprises.
Dans une interview qu’il nous a accordée, il estime, à ce titre, que le gouvernement doit tout faire «pour sauver l’entreprise et éviter des faillites en série. Car une faillite, c’est de la richesse en moins et du chômage en plus (www.fnh.ma)». Driss Effina est dans la même logique, suggérant même de jouer sur d’autres leviers, comme «la commande publique qui est en berne actuellement, même si on a décidé de l’activer».
Pour sa part, si Youssef Oubouali juge que toutes ces mesures prises devraient donner un sérieux coup de pouce aux entreprises, il reste néanmoins sceptique au niveau pratique : «pour une raison ou une autre, plusieurs entreprises devraient rencontrer des difficultés pour bénéficier de ces dispositions». ◆
Driss Effina égratigne le Comité de veille |
Le Comité de veille économique (CVE) a été mis en place pour suivre de près l’évolution de la situation économique à travers des mécanismes rigoureux de suivi et d’évaluation, et d’identifier les mesures appropriées en termes d’accompagnement des secteurs impactés par la crise sanitaire. Il a ainsi eu à prendre plusieurs mesures très fortes pour soutenir l’économie nationale en cette période délicate. Mais Driss Effina est un brin critique envers le CVE, estimant «que ses membres sont issus majoritairement du secteur public et privilégient la logique comptable et budgétaire et non économique». En outre, se désole-t-il, «ce comité ne comprend pas de membres de la société civile pour défendre toutes les parties, et les partis politiques sont effacés et n’arrivent pas à imposer leurs points de vue ou, du moins, entamer un débat sur les mesures adoptées». Rappelons que, outre le ministère des Finances, le CVE compte parmi ses membres 7 autres ministères, en plus de Bank Al-Maghrib, GPBM, CGEM, la Fédération des Chambres marocaines de commerce, d'industrie et de services et la Fédération des Chambres d'artisanat. Ce Comité pourrait s’adjoindre, si nécessaire, d’autres acteurs publics ou privés. |