Le plafonnement des marges des distributeurs pourrait intervenir dès mars.
Après la libéralisation du secteur, cette intervention publique témoigne, une fois de plus, d’un déficit de gouvernance.
Lahcen Daoudi s’explique.
Par David William
La libéralisation du secteur des hydrocarbures ressemble de plus en plus à une intrigue policière, dont on ne connaît pas encore le dénouement final. A force d’annonces contradictoires, tout le monde est plongé dans le flou. Mais une tendance, voire une décision se dessine : le plafonnement. Mais de quoi ? De la marge des distributeurs.
A en croire, Lahcen Daoudi, ministre chargé des Affaires générales et de la Gouvernance, le gouvernement a déjà pris sa décision dans ce sens. S’il le confirme maintenant, il l’avait néanmoins laissé entendre, en novembre dernier, devant les parlementaires, en faisant savoir que l’Exécutif s'engage à contrôler les marges bénéficiaires réalisées par les compagnies d'hydrocarbures. Les modalités ne sont pas encore décidées.
«J’attends l’avis du Conseil de la concurrence qui tombera dans les tout prochains jours, le 14 février précisément», nous informe le ministre, en espérant que ce plafonnement intervienne «au mois de mars».
Dans ce contexte, l’avis du Conseil de la concurrence (CC) est bien évidemment très attendu et va forcément peser sur l’ampleur de la décision que prendra le gouvernement.
Rappelons, à ce titre, que lors de l’installation des membres du CC en décembre dernier, le président de cette instance, Driss Guerraoui, avait affirmé que Daoudi avait saisi le Conseil «sur un avis afférent au plafonnement des marges bénéficiaires des pétroliers».
Comment est-on arrivé là ?
La libéralisation du secteur des hydrocarbures a été entamée en 2015 dans un contexte où le cours du baril de pétrole était au plus bas, tournant autour de 50 dollars. Le prix de l’or noir étant par essence volatile, fortement influencé par les tensions géopolitiques mondiales, un retournement de tendance sur les marchés internationaux allait forcément avoir un impact sur les prix à la pompe au Maroc. Et c’est ce qui s’est produit.
En juin 2018, le haut-commissariat au Plan (HCP) publiait ainsi une note pour souligner que les prix moyens des hydrocarbures ont augmenté de 9,1% depuis leur libéralisation totale en 2016.
Mais il n’y a pas que ça. Si la libéralisation a permis à l’Etat de faire des économies de l’ordre de 35 Mds de DH par an, représentant les frais de compensation, il semble qu’elle a tout autant beaucoup profité aux distributeurs. Et pas de manière… très catholique parfois.
Un certain nombre de dérives ont été en effet pointées du doigt, en mai dernier, par la mission d'information parlementaire consacrée aux prix des hydrocarbures. Une mission intervenue dans un contexte social très tendu, marqué notamment par la campagne de boycott ciblant certaines entreprises (dont un opérateur majeur dans le secteur des hydrocarbures), au motif que les prix des produits qu’elles commercialisent étaient élevés.
La préservation du pouvoir d’achat des ménages était dès lors devenue une priorité pour tous les acteurs politiques, quitte à en faire un usage pour le moins démagogique. Surtout que, informe le HCP, les carburants représentent environ 2,6% des dépenses des ménages.
Et dans son rapport, cette mission parlementaire n’y est pas allée avec le dos de la cuillère. Elle a ainsi dénoncé une «activité suspecte dans le secteur» : le carburant supposé être vendu dans nos provinces du Sud avec des exonérations fiscales, était en réalité distribué dans d’autres régions du Royaume.
Cette fraude organisée, reconnue d’ailleurs par des professionnels interrogés par la mission, a ainsi permis aux distributeurs d’augmenter leurs marges.
Le rapport a aussi mis en évidence la vente clandestine en dehors des circuits légaux et à bas prix. Et ce, tout en appelant à la création d'un observatoire chargé du suivi des pratiques commerciales et de la diffusion des données relatives aux prix des carburants dans toutes les stations-service, tout en les mettant à la disposition du public.
C’est dans ce contexte que certains parlementaires se sont rués sur la brèche pour demander, mi-mai 2018, des mesures de plafonnement, non sans fustiger le gouvernement qui n’a pas mis en place les outils de suivi et d’accompagnement dans le cadre de la libéralisation du secteur des hydrocarbures.
Le gouvernement peut-il
réguler ?
Voilà donc là où l’on en est : après la libéralisation, le gouvernement veut réguler. Cela montre, tout au moins, que le processus de libéralisation du secteur des hydrocarbures a été très mal préparé. L’on revient alors à ce que nous avions écrit la semaine dernière : le déficit de gouvernance.
Mais, dans un marché libre, une intervention publique pour la fixation des prix serait en inadéquation avec la loi sur la concurrence et la liberté des prix. Sur ce point, Daoudi rassure. «D’abord, il s’agira de fixer un plafond et non de toucher aux prix. Ensuite, il s’agit d’une mesure transitoire», précise-t-il.
«Une mesure définitive sera prise par la suite, de façon consensuelle, à l’issue de la réunion tripartite entre le gouvernement, les sociétés de distribution et les stations-service», note Daoudi, qui se fait l’«avocat des stations-service». D’autant, ajoute-t-il, que «ce sont le maillon faible de la chaîne et doivent être soutenues». De quelle manière ? La formule sera arrêtée à l’issue justement de ladite réunion.
En attendant, que font les distributeurs ? Ils attendent impatiemment l’avis du Conseil de la concurrence et la décision gouvernementale. Mais s’opposent déjà à cette idée de plafonnement des marges qui, selon Adil Zaidi, président du Groupement des pétroliers du Maroc, serait «un retour en arrière pour un secteur libéralisé».
Surtout, estime-t-il, «ce ne serait pas rassurant pour les professionnels du secteur qui se sont engagés dans un vaste programme d’investissement de 10 milliards de DH». D’ailleurs, ajoute-t-il, «ces investissements ont atteint un taux de réalisation de plus de 50% et sont conformes aux engagements signés avec le gouvernement au niveau du stockage, de l’extension, de la modernisation du réseau et de la qualité des services et produits».
Mais si tant est que l’Exécutif se résout à réguler, les mécanismes qui seront utilisés pour plafonner les marges ne sont pour l’instant pas clarifiés. Sur quels leviers va jouer le gouvernement ?
Pour Daoudi, «cela ne sera pas un problème. Nous maîtrisons parfaitement ce dossier et connaissons très exactement la structure des prix».
Selon la mission parlementaire, le système des prix comprend deux tranches : la première, qui est stable, liée à la taxe intérieure de consommation et la taxe sur la valeur ajoutée, ainsi qu'une autre tranche relative au prix mondial du produit et coûts d'importation et de distribution.
Le HCP indique, pour sa part, que les opérateurs du secteur avancent que le prix de vente du gasoil est constitué de près de 50% du prix d’achat, 35% de taxes et 15% de marges commerciales.
A noter qu’une fois la décision actée, le plafonnement des marges des distributeurs sera rigoureusement suivi et contrôlé. «Les pénalités en cas de non respect du plafonnement et de récidive peuvent aller jusqu’à 300.000 DH», assure Daoudi. ◆
Prix à la pompe : Ce que dit le HCP
Dans son étude d’impact publiée en juin dernier, le HCP précise que les prix à la pompe, devenus très corrélés à partir de 2016 aux cours mondiaux du Brent (93%), dépendent du taux de change du Dollar et des coûts de revient des importateurs, des distributeurs, du stockage et des marges commerciales. Toutefois, leurs variations restent, relativement, moins corrélées (90%).
Les hausses et les baisses des prix du raffiné importé sont répercutées sur les prix internes à la pompe, avec un décalage de 15 jours, mais cependant pas avec la même ampleur, constate-t-il, soutenant que la fluctuation des cours des produits raffinés ne se répercute pas exactement sur les prix à la pompe.