Maroc-USA : l’ALE, 13 ans plus tard…

Maroc-USA : l’ALE, 13 ans plus tard…

 

Durant la période 2006-2017, le commerce bilatéral a plus que triplé, passant de 11,7 à 39,7 Mds de DH.

Le ministère de tutelle défend le bilan de l’accord, mais des opérateurs marocains appellent à sa révision.

 

Par M. Diao

 

Le Maroc est résolument engagé dans un processus d’ouverture économique irréversible. Un parti pris corroboré par la conclusion de plusieurs accords commerciaux au cours de ces dernières années. Un peu plus de 13 ans après l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange (ALE) entre le Maroc et les USA, il est judicieux de se pencher sur l’impact de cet instrument sur le commerce bilatéral des deux pays partenaires qui ont signé dès 1995 un accord-cadre portant sur le commerce et l’investissement.

La particularité de l’ALE signé en 2004 réside dans sa portée globale. En effet, l’ALE couvre, entre autres, le commerce de biens, de services, l’investissement, les marchés publics, les droits de la propriété intellectuelle et les questions sociales et environnementales.

Interrogé sur l’apport de l’ALE dans la dynamique commerciale entre le Maroc et les USA, le ministère de l'Industrie, du Commerce, de l'Investissement et de l'Economie numérique apporte une réponse tenant compte de la réalité.

«Depuis l’entrée en vigueur de l’ALE, de nouvelles opportunités économiques et commerciales se sont offertes, à travers l'accroissement du commerce et de l'investissement», assure-t-on du côté du ministère dirigé par Moulay Hafid Elalamy. Et de souligner que «des réalisations notables ont favorisé le commerce et la création d'emploi de part et d’autre. Toutefois, les deux parties conviennent que l'ALE offre un potentiel considérable encore inexploité et qu’elles doivent s’investir davantage dans la promotion du commerce et des partenariats bilatéraux».

 

Raffermissement du commerce bilatéral

La réalité des chiffres prouvent que l’ALE a boosté substantiellement les échanges commerciaux entre le Maroc et les USA.  Durant la période 2006-2017, le commerce bilatéral a plus que triplé passant de 11,7 Mds de DH à 39,7 Mds de DH.

D’après les chiffres communiqués par le ministère de tutelle, en 13 ans, les exportations marocaines vers le pays de l’Oncle Sam ont plus que triplé avec un montant de 9,8 Mds de DH en 2017 contre 2,3 Mds de DH en 2006. Les produits nationaux qui ont profité de l’ALE sont les engrais naturels et chimiques (50%), les phosphates (8%) et les préparations et conserves de poissons et crustacés (5%).

Même son de cloche pour les importations qui ont également été multipliées par trois pour culminer à 29,9 Mds de DH en 2017 (contre 9,5 Mds de DH en 2006). L’on note que le Maroc affiche un déficit commercial de l’ordre de 20,1 Mds de DH avec les USA en 2017.

 

Un accès au marché américain plus aisé

La plupart des produits non agricoles du Maroc, y compris ceux de la pêche ont un libre accès au marché américain.

«Le gros des échanges de produits agricoles est désormais exempt de droits de douane et de taxes. Les produits les plus sensibles bénéficient de préférences tarifaires dans la limite d'un contingent tarifaire annuel», assure le ministère.

Notons que depuis 2015 et suite à l’élimination des barrières tarifaires, tous les produits industriels marocains sont exempts de droits de douane. Résultat des courses, certains secteurs à l’instar du textile-habillement et du cuir sont devenus plus compétitifs sur le marché américain. Ceux-ci y ont d’ailleurs réalisé des croissances annuelles remarquables.

Dans le même ordre d’idées, la flexibilité sur les règles d’origine des articles textiles a été prévue afin de permettre aux industriels marocains de s’approvisionner, partout dans le monde, tout en bénéficiant des préférences tarifaires de cet accord.

Cette flexibilité arrivée à terme a porté sur un contingent de 30 millions de mètres carrés par an. Pour rappel, le Président américain Donald Trump a émis une proclamation, le 21 décembre 2018, annonçant l’approbation de la modification des règles d'origine pour certains produits de textile sollicités par la partie marocaine.

Par ailleurs, d’après la tutelle, l'ALE a permis de renforcer la protection de la propriété intellectuelle, faciliter les flux d’investissement et d’offrir la possibilité d’accéder aux marchés publics pour les entreprises des deux pays. Il convient tout de même de faire remarquer que les entreprises marocaines sont de plus en plus enclines à opérer dans des aires géographiques plus proches (Afrique, Europe, etc.).

Enfin, pour renforcer la compétitivité et améliorer le climat des affaires du Royaume, les deux pays ont signé en 2013, à l'occasion de la visite du Roi Mohammed VI aux États-Unis, deux accords visant à faciliter les échanges et à simplifier les procédures douanières entre les deux pays.

 

Hausse des IDE américains au Maroc

Sous l’effet de l’ALE, les flux des IDE américains dans le Royaume ont connu un accroissement notable durant la période 2012-2016, passant de 1,86 à 2,70 Mds de DH. «Un record a été réalisé en 2015 avec une hausse considérable des IDE américains au Maroc. Ces derniers se sont chiffrés à 4,25 Mds de DH à cause notamment des investissements réalisés dans les secteurs de l’énergie et des mines, l’industrie et les grands travaux», révèle le département de tutelle.

Ainsi, plus de 120 sociétés américaines (dont des majors mondiaux) sont présentes au Maroc. Celles-ci sont pourvoyeuses de plus de 100.000 emplois directs et indirects. A l’évidence, cette forte présence traduit le grand potentiel du Royaume dans certains secteurs, tels que l’éducation (PIIMT, George Washington Academy), les technologies de l’information (IBM, Microsoft, Dell), l’énergie (Kosmos Energy, TPI Composites), le textile (Fruit of the Loom, Gottex), la sécurité et gardiennage (Brinks), le secteur bancaire (Citi Bank Maghreb), l'offshoring (Tele Tech), l'aéronautique (Boeing, Hexcel, Alcoa), l'automobile (Delphi, Lear, Adient, …), et l’énergie (Eaton Corporation).

 

L’heure d’opérer des réajustements ?

Interrogé sur l’opportunité d'opérer des réajustements pour que cet accord soit davantage profitable au Maroc, la tutelle rétorque : «Le réajustement de l’ALE suppose sa renégociation, ce qui n’est pas à l’ordre du jour des deux parties». Toujours est-il que d’après la même source «les réunions du Comité mixte de suivi de la mise en œuvre de l’ALE, tenues régulièrement entre les deux parties, offre l’occasion d’assurer le bon fonctionnement et l’optimisation de la mise en œuvre de l’accord, pour qu’il soit davantage profitable aux opérateurs économiques».

Concrètement, cet examen se fait via le traitement des questions en suspens liées à l’accès aux deux marchés respectifs, notamment en matière de textile, de produits agricoles, de normes sanitaires et phytosanitaires, des services, de l’investissement ainsi que le renforcement de la coopération en matière de travail, et d’environnement. A cet effet, des sous-comités sectoriels se réunissent de façon régulière. ◆

 


Hassan Sentissi, président de l'Association marocaine des exportateurs (ASMEX)

«L’ALE Maroc-USA devrait être revu»

 

Finances News Hebdo : En tant que président des exportateurs marocains, estimez-vous que l’ALE entré en vigueur en 2006, a permis d’exporter davantage aux USA ?

Hassan Sentissi : L’ALE avec les USA n’a pas vraiment bénéficié, à l’instar des autres accords, aux exportateurs marocains. Ce sont les exportateurs américains qui en ont bénéficié le plus. Les exportateurs marocains sont orientés beaucoup plus sur les marchés de l’Union européenne vu la proximité, l’historique, et la maîtrise des normes. L’accès au marché des USA nécessite une adaptation par rapport aux exigences normatives et aux habitudes de consommation. S’ajoute à cela la taille du marché par rapport à notre tissu, composé essentiellement de PME et de TPE. Cela dit, quelques entreprises qui sont comptées sur le bout des doigts, ont réussi à pénétrer ce marché et se sont positionnées sur des niches importantes : agroalimentaire, pêche, habillement, produits de terroir, etc. Mais nous aimerions voir ce nombre augmenter. L’ALE a permis, par ailleurs, d’attirer des investisseurs américains au Maroc.

 

F.N.H. : Après 16 ans d’existence n’est-il pas venu le moment de revoir cet ALE afin de tenir compte de la nouvelle structure des exportations marocaines ? 

H. S. : Absolument, je pense qu’il est temps d’évaluer les retombées de cet accord, d’en tirer les enseignements et de prendre en considération les résultats de l’étude menée par l’Asmex pour le recensement de l’offre exportable nationale.

L’accord devrait être revu afin de prendre en considération la structure des entreprises marocaines. Le secteur privé devrait être associé aux négociations pour exprimer sa position et ses attentes.

 

F.N.H. : Quelle lecture portez-vous sur la spécificité du marché de l’Amérique du Nord et quelles sont les chances des exportateurs marocains d’y faire leur place (USA, Canada) ?

H. S. : Actuellement, le marché de l’Amérique du Nord se compose de niches pour les exportateurs marocains. Nous pouvons y développer nos parts de marchés en mettant en place un accompagnement spécifique pour nos exportateurs à travers :

• Une formation de nos membres sur l’accès au marché nord-américain et qui a été entamée en 2018 par l’Asmex via un séminaire sur l’accès au marché canadien.

• L’accompagnement pour l’enregistrement des entreprises et la maîtrise des normes de qualité, d’environnement.

• L’encouragement des consortiums pour pouvoir répondre à des demandes qu’une seule PME ne pourrait jamais honorer.

• L’accompagnement sur le plan logistique (lignes directes, groupage, etc.).

• Le renforcement de la présence des exportateurs en participant à des salons spécialisés pour la promotion des produits marocains. ◆

 

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