La fiscalité locale n’est pas pourvoyeuse de suffisamment de ressources financières pour permettre aux collectivités locales de jouer pleinement leur rôle d’acteur du développement.
En marge du 13ème Colloque international sur les finances publiques, le Trésorier général du Royaume livre des solutions qui concourent au renforcement des finances locales. Un chantier complexe, qui nécessite audace et persévérance.
Propos recueillis par M.D
Finances News Hebdo :
La fiscalité locale est pénalisée par une kyrielle de dysfonctionnements. Que faire pour l’adapter aux exigences de rentabilité et d’efficacité ?
Noureddine Bensouda : Tout d’abord, je tiens à faire remarquer que ce 13ème colloque est une occasion de traiter des finances locales. A travers l’intervention de plusieurs experts, l’on perçoit bien qu’il s’agit d’un sujet complexe.
Aborder cette question nécessite du courage, de l’ambition et de la ténacité dans l’optique de clarifier certains principes fondamentaux. Le premier principe est de se mettre d’accord sur le niveau de la pression fiscale qui doit peser sur le citoyen au sens large du terme (entreprises, ménages, etc.).
Cet exercice permettra de déterminer ce qui est supportable pour les contribuables, car tout l’enjeu est de ne pas inhiber le désir d’entreprendre des citoyens par une pression fiscale trop forte.
L’édification d’un contrat social équilibré est nécessaire. Celui-ci doit prendre en considération les besoins de nos concitoyens, tout en permettant de générer les ressources nécessaires au financement de la collectivité et des services publics de qualité. Sur le plan universel, ces questions se posent toujours d’une décennie à l’autre, d’un siècle à l’autre, avec un renouveau.
Mais le plus important aujourd’hui, c’est de tenir compte d’un certain nombre de facteurs qui sont l’ouverture des frontières, la mondialisation, le commerce électronique et la mobilité des assiettes du fait des décisions prises par les multinationales.
Tous ces éléments peuvent avoir des impacts majeurs sur les finances publiques, en général, et sur les finances locales, en particulier. Ce qui m’amène à dire qu’une profonde réflexion est nécessaire, et ce en partant du principe que tout le monde doit contribuer à l’effort fiscal. Le respect de ce principe favorise une assiette fiscale assez large. Certains doivent contribuer plus que d’autres en raison de leur situation de patrimoine ou de revenu.
Par ailleurs, il existe un consensus sur le fait que le niveau des taux d’imposition ne soit pas pénalisant. Celui-ci doit être adapté entre ce qui se passe entre les régions, les territoires, voire les pays. En d’autres termes, la définition d’un contrat social clair permet de mettre en place des politiques fiscales qui répondent aux besoins des citoyens, tout en permettant à l’Etat et aux collectivités locales de progresser.
Au préalable, il faut initier un débat réaliste et scientifique, dans le sens de prendre en considération l’environnement, en s’appuyant sur des échantillons et des simulations, à l’instar de ce qui se fait dans les sciences exactes. En d’autres termes, l’expérimentation de certaines mesures fiscales locales dans un nombre réduit de territoires est nécessaire avant leur généralisation. Une telle pratique détermine si une disposition fiscale répond aux exigences de rentabilité pour les finances locales, sans pour autant brider le fonctionnement de notre l’économie.
F.N.H. : Lors de votre allocution, vous avez mentionné que 88% des ressources fiscales des collectivités locales proviennent des transferts de l’Etat. A quoi faudrait-il relier cette forte dépendance ?
N. B. : Je dirai que cette forte dépendance est naturelle. Elle résulte des bases d’imposition au niveau de l’Etat, qui sont beaucoup plus importantes que celles des collectivités locales.
D’ailleurs, comme l’a expliqué le professeur Michel Bouvier, historiquement, cette donne est quelque part un héritage du passé. La fiscalité locale a été réformée au Maroc en 1989, puis en 2007.
En 1989, l’Etat a cédé spontanément aux collectivités locales les taxes et redevances les moins rentables. Le texte de 1989 ayant trait à la fiscalité locale se singularise par l’existence d’une multiplicité de taxes et de redevances. Et c’est la réforme de 2007 qui a permis de procéder à un toilettage.
Toujours est-il qu’il ressort des échanges lors du colloque que la profusion de taxes et d’impôts n’est pas synonyme de rentabilité. D’ailleurs, les coûts de gestion augmentent en fonction du nombre d’impôts et taxes. D’où la nécessité de s’interroger sur l’opportunité de l’existence d’une pléthore de taxes et de redevances au niveau local.
F.N.H. : En 2018, seuls 7% des crédits au titre du budget de l’Etat étaient délégués au profit des sous-ordonnateurs régionaux, préfectoraux et provinciaux. Que traduit ce chiffre à l’heure où tout le monde s’accorde pour dire qu’il faut hâter le processus de la décentralisation, celui de la déconcentration et l’implémentation de la régionalisation avancée ?
N. B. : Ce chiffre montre qu’un écart existe entre la volonté politique allant dans le sens de la déconcentration et la réalité du terrain. Concrètement, cette donnée équivaut au pourcentage de crédits déconcentrés par les départements ministériels au profit des sous-ordonnateurs régionaux, préfectoraux et provinciaux.
Il est également utile de rappeler que 25% de ces délégations n’ont été effectués que durant le 2ème semestre 2018. Tout cela prouve qu’il n’y a pas une réelle déconcentration. Sachant que celle-ci doit être accompagnée sur le terrain.
D’ailleurs, sur le sujet, je rejoins Mustapha Bakkoury, président de la région de Casablanca-Settat, qui suggère que l’acte sur le terrain soit conforme au discours. La déconcentration doit compléter le travail effectué par les collectivités territoriales. Cette cohérence au niveau local permettra à la fois de respecter le principe de subsidiarité, d’avoir un aménagement du territoire adéquat et davantage de responsables locaux.
Par ailleurs, il est aussi important d’œuvrer au rehaussement du niveau des responsables à l’échelle des administrations déconcentrées et de faire en sorte que les collectivités locales soient bien gérées de façon optimale. En somme, l’essentiel est d’être conscient des problèmes liés, entre autres, aux crédits délégués et de la nécessité d’accompagner les collectivités locales, tout en formant leur personnel. Au niveau de la TGR et du ministère de l’Economie et des Finances, nous sommes persuadés qu’en tissant un partenariat exemplaire avec l’ensemble des acteurs, nous avancerons sur les chantiers de la décentralisation et de la déconcentration. C’est avec la politique des petits pas sur le terrain que nous avancerons sur la voie du progrès. ◆