Le nouveau modèle de développement selon L. Daoudi

Le nouveau modèle de développement selon L. Daoudi

 

Dans cette tribune, Lahcen Daoudi, ministre des Affaires générales et de la Gouvernance, apporte sa contribution au débat sur le nouveau modèle de développement. Il est question, entre autres, d’activité « travaillistiques», d’eau, de phosphates, de croissance durable, et de revenu social minimum.

 

 

 

Un modèle de développement est par nature complexe ; il est multidimensionnel et exige des approches pluridisciplinaires.

Le débat est lancé au Maroc sur ce sujet. Il peut être abordé sous divers angles. Cette contribution vise à mieux mettre en relief ce qui pourrait être les priorités à long terme et où s’imbriqueraient les choix à court et moyen termes.

Il n’est pas aisé aujourd’hui pour les citoyens marocains en général, et les acteurs économiques en particulier, de se reconnaître au sein des politiques sectorielles pour identifier, de manière précise, les priorités du Maroc. Or, la contrainte d’efficience voudrait que l’ensemble converge vers les mêmes objectifs.

Cette situation découle de la multiplicité des programmes sectoriels, dont la sommation ne permet pas leur appréhension et encore moins la réunion des conditions et composantes d’un développement harmonieux.

Il est donc nécessaire de décliner les déterminants ou les clés du développement socioéconomique du Maroc, tout en distinguant l’expliquant et l’expliqué, les choix et les contraintes.  Indépendamment de l’importance d’un secteur ou d’un autre comme l’énergie, le tourisme, l’offshoring… et, tout en ayant présent à l’esprit tout l’intérêt qui doit être porté à la gouvernance, nous pouvons agréger l’ensemble des axes pour les ramener à cinq priorités qui, elles-mêmes, sous tendent d’autres priorités de second ordre.

Il est question de trois piliers relativement distincts que sont la croissance, la promotion de l’emploi et les filets sociaux et de deux domaines transversaux, à savoir le capital humain et la ressource en eau. Ces propositions peuvent être représentées selon le schéma ci-après.

Comme tout schéma, celui-ci est réducteur dans la mesure où il fait abstraction des interdépendances entre les cinq priorités qui, évidemment, s’imbriquent les unes dans les autres. Autrement dit, ces axes concourent tous, avec les différentes branches et secteurs, à la croissance et à l’emploi mais dans des proportions différentes.

 

I. Le capital humain

 

Il est évident et admis par tous que le capital humain constitue la première condition de développement économique de tout pays. Ceci étant dit, la formation doit s’aligner sur les priorités du pays; c’est une autre évidence ! Au Maroc, tous les diagnostics concluent à un grand décalage entre celles-ci et les profils mis sur le marché de l’emploi. C’est là le plus grand défi à relever dans les années à venir. Le diagnostic étant établi, le temps est à l’action.

 

II. L’eau

 

L’eau est un second déterminant du développement. Elle a un caractère aussi transversal que les ressources humaines, sans pour autant apparaître à l’échelle des politiques sectorielles en raison, entre autres, de la diversité des intervenants.

Les diagnostics sont alarmants. Le Maroc, qui disposait d’une parade efficace en raison de la politique des barrages, se trouve aujourd’hui avec des déficits croissants.

Les causes, dont la faible pluviométrie et les changements climatiques, sont là aussi bien connues. Le dessalement massif de l’eau de mer et le détournement de l’oued Sebou et autres mesures s’imposent de manière urgente. La mobilisation de fonds importants n’est pas facile, mais le prix de tout retard sera chèrement payé. Sans eau, il n’y a pas de vie.

 

III. Les moteurs de la croissance

 

Le Maroc a devant lui de belles perspectives s’il relève le défi des ressources humaines et de l’eau. En supposant ces contraintes levées, il sera aisé pour le Royaume de se positionner sur un sentier de croissance durable, supérieur, à moyen terme, à 5%, avec la fin des grands déficits commerciaux. Les moteurs de cette croissance seront, en grande partie, les nouveaux métiers du Maroc, les phosphates et le Plan Maroc Vert.

 

1. Les nouveaux métiers

 

A titre d’exemple, il est attendu que le Maroc atteigne, à partir de 2019, une production annuelle d’au moins 650.000 voitures. L’impact ici, comme c’est le cas pour l’aéronautique et d’autres activités, sera beaucoup plus visible sur le taux de croissance et sur sa balance commerciale que sur le niveau de l’emploi. Ces activités, à grande valeur ajoutée, sont plus capitalistiques que «travaillistiques». L’emploi dans ces secteurs exige un certain niveau de technicité, dont la complexité sera grandissante. L’attractivité du Maroc se renforcera en accroissant le rythme de formation des ingénieurs et techniciens et en améliorant le climat des affaires.

 

2. Les phosphates

 

Aujourd’hui, le groupe OCP investit massivement pour pouvoir répondre à la demande mondiale, de plus en plus grandissante, des phosphates et de leurs dérivés. Aussi, pourrait-on tabler sur des exportations de l’ordre de 70 milliards de dirhams en 2019 et autour de 100 milliards en 2021. Dans ce cas également, la croissance économique, comme la balance commerciale, s’en trouveront améliorées. Toutefois, l’exploitation et la valorisation des phosphates, autant capitalistique que «travaillistique», sont aussi un grand pourvoyeur d’emplois.

Le Groupe constitue donc une forte locomotive économique et sociale. Davantage encore, cet organisme est appelé dans un proche avenir à s’imposer comme principal acteur mondial dans son domaine.

 

3. Le Plan Maroc Vert

 

Le Maroc est, certes, un pays plus rural qu’agricole si on le compare à beaucoup d’autres pays, mais il n’empêche qu’il dispose d’un grand potentiel, surtout si la contrainte de l’eau est progressivement levée. La valeur des exportations agricoles a plus que doublé depuis le lancement du Plan Maroc Vert en 2008, avec un taux de croissance annuelle moyen de 6% à 7%. A l’image des phosphates, le Plan Maroc Vert est, certes, un moyen de booster la croissance économique, mais aussi un grand pourvoyeur d’emplois.

 

IV. Les activités «travaillistiques»

 

Le grand défi social du Maroc est, sans équivoque, le chômage des jeunes. Le pays a besoin d’une politique inclusive plus agressive. Si les nouveaux métiers du Maroc absorbent une certaine frange des jeunes, la grande masse n’arrive pas à intégrer le marché du travail.

L’effort en matière de création d’emplois est contrebalancé par la destruction d’autres emplois faute, entre autres, d’une politique d’accompagnement des PMI et PME en difficulté. Pour pallier cette défaillance, une attention particulière doit être accordée aux activités «travaillistiques».

Il est évident que le  secteur minier, dont les phosphates, est un grand pourvoyeur d’emplois. L’agriculture, elle aussi, s’inscrit dans le même registre, mais elle est de plus en plus handicapée par la rareté de l’eau. Tout effort à ce niveau générerait plus d’emplois agricoles qualifiés et non qualifiés, tout au long de la chaîne. Il est donc nécessaire et urgent de décliner un programme ambitieux pour l’eau, à l’image de la politique des barrages ou des énergies renouvelables, non seulement pour élargir les superficies irrigables, mais aussi pour préserver celles qui le sont déjà, comme les régions du Souss et de Berkane.

La déviation des eaux de l’oued Sebou et la multiplication des sites de dessalement de l’eau de mer doivent être élevées au rang des priorités dans la programmation pour les années à venir, y compris l’alimentation des villes côtières.

La PME, la PMI, la pêche, l’artisanat, le tourisme, l’auto-emploi … sont, évidemment, autant de secteurs susceptibles d’absorber une bonne partie des jeunes à la recherche d’un emploi. Si la croissance, dont on a parlé précédemment, se précise, il va falloir accroître le soutien aux secteurs et activités «travaillistiques», car plus on créera d’emplois, plus on réduira la pauvreté et moins on aura besoin de filets sociaux.

 

V. Les filets sociaux

 

Ces filets sont une composante de la protection sociale. Ils sont définis par la Banque mondiale comme étant «des programmes de transferts non contributifs axés d’une manière ou d’une autre sur les populations pauvres ou vulnérables». Face à ces populations, le Maroc a accumulé, au cours des années et dans le désordre total, toute une panoplie de programmes. Ces différents programmes, n’obéissant pas à une vision préétablie, manquent de cohérence entre eux. De ce fait, leur rendement est loin d’être optimal autant en termes financiers que de ciblage. Ce manque de coordination génère aussi des surcoûts de gestion.

La politique de ciblage en cours d’élaboration permettra de réorienter les flux vers les couches les plus méritantes. Celles-ci s’élargiront dans l’avenir, avec l’arrivée de dizaines de milliers de personnes touchées par la vieillesse et sans aucune protection sociale ni solidarité familiale. Il est donc urgent, si on estime que la stabilité du pays est en jeu, d’accélérer la mise en place d’un outil performant, non seulement pour rationaliser l’existant, mais aussi et surtout pour la mise en place d’un système de revenu social minimum, susceptible d’aider à l’éradication de la pauvreté monétaire.

Le Maroc de 2020 devra rompre avec l’état de pauvreté actuelle. La suppression inévitable de la Caisse de compensation doit être précédée par la mise en place d’un nouveau système basé sur la politique de ciblage et la fusion des différents filets existants.

En conclusion, le débat visant un nouveau modèle de développement doit impérativement décliner les priorités de manière claire et synthétique. L’approche sectorielle n’aurait de grand intérêt que si elle est intégrée dans des priorités. Nos propos ne remettent donc pas en question les orientations sectorielles, mais le fait que leur sommation ne réunit pas toutes les composantes d’un réel développement économique et social. C’est là, sans doute, l’une des limites du modèle actuel. ■

 

 

 

 

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