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L’actionnariat salarié, une parade contre la crise

L’actionnariat salarié, une parade contre la crise

L’actionnariat salarié offre moult avantages aux PME, dont le financement par renforcement des capitaux propres et l’amélioration de la structure et des ratios financiers.

Ce mécanisme favoriserait l’accès futur à l’endettement bancaire à des taux d’intérêt bas.

Le programme de l’Employee Stock Ownership Plan, une formule américaine, s’avère particulièrement intéressant pour sauver les entreprises marocaines en crise de liquidité, engendrée par la pandémie de la Covid-19.

Sara Elouadi, enseignante-chercheure à l'Université Hassan II de Casablanca, fait le point.

 

Propos recueillis par M. Diao

 

Finances News Hebdo : L'actionnariat salarié est peu développé au Maroc. Qu'est-ce qui bloque selon vous ?

Sara Elouadi : Effectivement, l’actionnariat salarié (AS) connait peu d’essor au Maroc, comparativement aux pays européens. Il est presque exclusivement pratiqué au Royaume par les banques, les entreprises de télécommunications et les filiales des multinationales étrangères pour lesquelles l’usage de l’épargne salariale est solidement ancré dans les entreprises mères.

Nous attribuons ce manque d’intérêt à deux raisons principales. La première réside dans la méconnaissance des retombées positives de l’actionnariat salarié sur la performance individuelle et organisationnelle. A cet égard, les chefs d’entreprises marocaines sont très peu sensibilisés en la matière et ignorent les vertus de l’inclusion financière des employés.

La seconde raison la plus cruciale à notre avis, en est le retard qu’accuse la législation marocaine en matière d’épargne salariale. Car ce n’est qu’en 2013 qu’un texte de loi consacrant des incitations fiscales a été voté et jugé insuffisant par les entreprises.

En effet, de nombreuses études mettent en relief le rôle positif que jouent les incitants fiscaux dans le développement de l’actionnariat salarié. Selon le dernier baromètre (2019) de la Fédération européenne de l’actionnariat salarié, l’épargne salariale en Europe atteint un nouveau rebond historique dû essentiellement à une prise de conscience politique, concrétisée par des décisions et des allégements fiscaux en faveur de l’actionnariat salarié.

La France se hisse au premier rang, en Europe, en matière de démocratisation de l’actionnariat salarié, et se distingue par un nombre total de 3,2 millions d’actionnaires salariés, suivie par le Royaume-Uni avec moins de deux millions. Tandis que la troisième position est occupée par l’Allemagne avec près de 700.000 actionnaires salariés.

Ces résultats honorables, en France, s’expliquent par un cadre législatif avant-gardiste. En effet, une vieille tradition de réconciliation entre le capital et le travail y a été instaurée depuis l’ordonnance fondatrice du général De Gaulle en 1967.

Egalement, la France est le seul pays qui oblige les entreprises à plus de 50 salariés à mettre en place un dispositif de participation, et se distingue par l’adoption d’un outil 100% français et unique appelé le Fonds commun de placement d’entreprise (FCPE), qui recueille les sommes de l’épargne salariale pour les investir en achat d’actions et joue ainsi un rôle d’intermédiation.

Somme toute, l’expansion de l’AS au Maroc nécessite un engagement mutuel du gouvernement, des entreprises, des prescripteurs professionnels (experts-comptables et conseillers financiers) et des branches syndicales afin d’instaurer cette formule équitable du partage de la valeur créée. Et actionner, ainsi, un levier viscéral des comportements organisationnels visant l’accroissement de l’inclusion, l’implication et la performance des entreprises.

 

F.N.H. : Quels sont les avantages avérés pour les PME marocaines très souvent sous-capitalisées de recourir à l'actionnariat salarié ?

S. E. : L’actionnariat salarié offre moult avantages aux PME, dont le financement par renforcement des capitaux propres, l’amélioration de la structure et des ratios financiers et favorise, par conséquent, l’accès futur à l’endettement bancaire à des taux d’intérêt bas, et ce selon plusieurs études internationales.

Ensuite, l’actionnariat salarié peut constituer un argument d’attraction et de rétention des salariés les mieux qualifiés. Et enfin, l’actionnariat salarié renvoie un signal positif fort au marché financier quant à la croissance et la santé financière de l’entreprise susceptible d’améliorer sa crédibilité et sa réputation auprès des stakeholders.

Car l’achat d’actions par les salariés est considéré comme une marque de confiance à l’égard de sa croissance et de sa pérennité. Néanmoins, il est judicieux de préciser qu’il n’y a pas un seul modèle pour instaurer l’AS, mais trois. Nous allons les définir et expliquer ainsi les avantages de chaque formule. Le premier modèle se déploie via l’achat d’actions par les salariés à des conditions préférentielles, notamment une décote sur le prix avec ou sans abondement.

Cette configuration appelée Employee Share Purchase Plans (ESPP) concerne notamment les grandes entreprises cotées en Bourse. La deuxième formule concerne les plans de stock options destinés aux salariés et aux dirigeants des entreprises. Il s’agit d’un droit d’achat d’actions attribué aux salariés à un prix d’exercice avantageux fixé à l’avance pour une échéance donnée.

Ce dispositif est appliqué, également, par les start-up qui le présentent, notamment, comme un second pilier du dispositif de rémunération afin de compenser le risque et rétribuer la performance individuelle des salariés fondateurs. Cette formule constitue un facteur de développement des start-up, car elle permet d’attirer les meilleurs profils et renforce ainsi l’attractivité et la rétention des meilleures compétences.

A ce titre, ce modèle peut engendrer une réelle dynamique entrepreneuriale susceptible de booster la création d’emplois et d’insuffler une nouvelle vigueur à l’économie marocaine endommagée par l’épidémie. Le programme ESOP (Employee Stock Ownership Plan) constitue la troisième formule et intéresse essentiellement les PME et les entreprises non cotées.

Cette formule américaine est sans doute la plus opportune pour les entreprises et les salariés. Il s’agit d’un rachat par endettement permettant aux salariés de posséder une partie ou la totalité du capital de leur entreprise sans investissement financier; c’est la configuration Management Buy-Out du Leverage Buy-Out. Cette formule connait un fort engouement aux Etats-Unis et concerne près de 14 millions de salariés. Ce dispositif s’avère particulièrement intéressant pour sauver les entreprises marocaines en crise de liquidité engendrée par la pandémie de la Covid-19.

La pertinence des plans d’ESOP à l’américaine est liée au fait que le financement est assuré par les banques, et les salariés ne sont pas obligés d’investir leurs économies en achat d’actions. Aussi, le caractère inclusif des plans d’ESOP constitue un facteur de stabilité, de motivation et de fédération des salariés.

 

F.N.H. : Dans les pays développés, quels sont les leviers activés pour encourager le développement de l'actionnariat salarié ?

S. E. : En période de récession économique, la reprise des entreprises par les salariés revêt un avantage primordial, car elle permet de sauver les pertes d’emplois, éviter les faillites d’entreprises en drainant des liquidités sans le recours aux aides étatiques.

En Espagne, par exemple, le modèle des sociedades laborales - sociétés de travailleurs associés- est fondé sur l’actionnariat salarié. Il constitue un programme de sauvetage des entreprises en difficulté, et a permis une forte création d’emplois dans tous les secteurs d’activités.

Le modèle des SCOP françaises (Société coopérative de production) constitue une forme hybride entre l’entreprise et la coopérative; le management s’apparente à celui des entreprises commerciales, mais le capital et le pouvoir sont partagés de façon équitable entre les salariés associés. Ce sont des entreprises dans lesquelles les salariés détiennent au moins 51% du capital, et se distinguent par la primauté donnée à la rémunération salariale et l’investissement à long terme au détriment de la rémunération du capital.

Les SCOP se caractérisent par un système démocratique en matière de prise de décision fondé sur le principe une voix pour chaque salarié, indépendamment de la proportion d’actions détenues. En Italie, la coopérative sociale instaurée par la loi Marcora 49/1985 a pour objectif d’aider les salariés en chômage technique ou ceux issus d’entreprises en difficulté à se regrouper en coopératives afin de reprendre leurs entreprises et ainsi sauvegarder leurs emplois. Ce mécanisme existe toujours et constitue un instrument majeur pour la promotion de la croissance économique italienne.

Les Etats-Unis, pays pionnier en matière de développement et de démocratisation d’actionnariat salarié, se caractérisent, notamment, par l’ampleur et l’efficacité des incitants fiscaux qui facilitent l’instauration et la diffusion des plans de participation.

Ainsi, l'Employee Retirement Income Security Act (ERISA) de 1974 est une loi fédérale qui fixe des normes minimales pour la plupart des régimes de retraite et consacre des avantages fiscaux à toutes les formules de participation et d’intéressement en faveur des salariés. La formule la plus célèbre est l’Employee Stock Ownership Plans (ESOP).

C’est un dispositif très proche des FCPE français, qui est alimenté par les employeurs et bénéficie d’un différé d’impôt jusqu’au départ à la retraite des salariés. Les ESOP procurent aux salariés américains un complément de revenu constitué par les versements périodiques de dividendes et à la retraite, un capital d’actions qu’ils peuvent vendre ou conserver.

Le deuxième dispositif américain d’actionnariat salarié, moins connu du grand public, est nommé «les Plans (401) K». Il s’agit d’un fonds créé par les entreprises, mais alimenté par les employés qui y apportent un pourcentage de leur salaire.

Ce fonds est encouragé par des versements de la part des employeurs plafonnés à 6% du salaire de chaque employé. Il existe d’autres formules d’intéressement aux Etats-Unis, dont les Profit Sharing Plans (PSP), qui consistent en la distribution des parts de bénéfice en actions ou en numéraire aux salariés et les Stock Bonus Plans qui se constituent exclusivement d’actions.

 

F.N.H. : Dans le contexte marocain où les banques et les grandes sociétés par exemple ont recours à l'actionnariat salarié, comment encourager les PME à adopter ce mécanisme ?

S. E. : La pandémie de la Covid-19 a plongé l’économie internationale dans une crise financière sans précédent. En effet, le confinement adopté par de nombreux pays pour endiguer la propagation du virus a engendré un coup d’arrêt inédit de l’appareil productif.

Il s’agit sans doute de la crise la plus grave de toute l’histoire de l’humanité, que ça soit en termes de chiffres ou de caractéristiques. Ainsi, en l’absence d’activité, les entreprises ne parviennent plus à assumer leurs coûts, ce qui a conduit plusieurs d’entre elles au dépôt de bilan et au licenciement des salariés.

Le Maroc n’est pas en reste et a entrepris très tôt des mesures viscérales pour lutter contre la précarité des salariés. Il a mis en place un Fonds dédié à la gestion des effets de la Covid-19 créé sur instructions royales. L’Etat a procédé à l’octroi d’aides financières directes aux citoyens impactés par l’arrêt d’activité temporaire et fragilisés par la perte de leurs revenus, qu’ils soient déclarés ou travailleurs clandestins.

Ainsi, l’Etat est confronté à un gouffre financier qui s’aggrave avec le retrait des investissements étrangers directs, la baisse des transferts en devises des Marocains résident à l’étranger et la baisse de la recette fiscale, notamment, la TVA, l’IS et l’IR.

Pareillement, de nombreuses recettes financières ont connu une forte détérioration, à savoir celles du tourisme, la baisse des recettes douanières et la chute de l’activité du secteur informel. Nous préconisons ainsi, au Royaume, un plan de sauvetage tripartite fondé sur les trois formules d’actionnariat salarié susmentionnées afin de préserver les emplois et renflouer les trésoreries des entreprises. Ensuite, l’Etat doit accompagner et promouvoir l’expansion de l’actionnariat salarié par la mise en place d’un cadre législatif incitatif, susceptible de séduire les entreprises.

Enfin, il faut faire de la pédagogie sur terrain pour informer les entreprises et les sensibiliser quant aux avantages financiers et attitudinaux de l’actionnariat salarié, et ce avec l’engagement de tous les partenaires socioéconomiques. 

 

 

 

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