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Galeristes, entre morosité et espoir

Galeristes, entre morosité et espoir

Face au confinement, les galeristes font un saut dans le vide. Nous en avons interrogé quelques-uns qui doivent faire face à l’arrêt brutal des expos.

 

Témoignages de Abla Ababou (Abla Ababou Galerie) et Hicham Daoudi (Comptoir des mines), joints par téléphone durant ces jours de confinement.
 

 

Propos recueillis par Reda K. Houdaïfa.

 

Finances News Hebdo : À quoi avez-vous pensé quand vous avez réalisé que la situation devenait sérieuse ?

Abla Ababou : J'ai pensé comme tout le monde qu'on vivait une situation incroyable, inenvisageable au 21ème siècle. J'ai dû fermer la galerie avant même que le décret ne soit prononcé, parce que je venais d'arriver moi-même de France…  Et donc j'ai fermé la galerie quelques jours avant que les autorités ne le décident.

Avez-vous l’impression de vivre un moment tout à fait inédit ?

A. A. : Un moment inédit évidemment ! On a vraiment beaucoup de mal à s'imaginer qu’en plein XXIème siècle il y ait un virus qui sorte comme ça au milieu de nulle part et que la médecine actuelle soit impuissante. Et le fait qu'on soit tous cloitrés à la maison est une situation complètement hallucinante.

 

F.N.H : Comment avez vous vécu la décision ?

A. A. : J'ai trouvé que c'était une solution sage et obligatoire, surtout qui a fait ses preuves en Chine et qui est en train de les faire aujourd'hui en Italie. Il n'y a pas d'autre solution à part celle de se confiner. Alors, respectons la loi, protégeons notre prochain. Je trouve que c'est une opération citoyenne et on devrait tous s'y tenir.

Hicham Daoudi : On essaie déjà de voir comment on va survivre. On n’est pas forcément à l'abri durant cette période, parce que nous avons des employés, des charges, et donc nous essayons de réfléchir à comment faire face. Nous piochons dans nos réserves, essayons de vendre ce que nous pouvons vendre, de régler les artistes… Même si nous sommes passés au télétravail, nous continuons à proposer les œuvres d'arts et à promouvoir nos artistes.
Il existe aujourd’hui des plateformes numériques destinées à l'art, comme celle de la foire d'Art Dubaï auxquelles nous nous sommes adressés afin de nous aider à toucher le public et faire découvrir l'art marocain.

 

F.N.H. : Avec les mesures de confinement imposées, les galeristes ont dû ajourner des évènements préparés de longue date. Quel avenir pour les expos prévues juste avant la fermeture?

A.A : L’expo actuelle est effectivement restée accrochée malgré le fait qu’elle devait s'achever justement à la fin de ce mois-ci (mars). Je vais évidemment la prolonger un petit peu en attendant des temps meilleurs.

H. D. : Nous avions une expo de Fatiha Zemmouri qui venait de démarrer, et nous devions avoir une grande expo de Hassan Bourkia. Celle-ci est décalée et c'est dommage, parce que c'est une expo qui a pris deux ans de préparation. Nous étions très enthousiastes à l’idée de pouvoir montrer les recherches de cet artiste qui, pour nous, est l'un des grands artistes de notre scène contemporaine. Malheureusement, ce plaisir n'est que décalé et nous espérons  découvrir Bourkia.

 

F.N.H : Comment vivez-vous cette période de confinement ?

A. A. : Cette période se passe extrêmement bien, même si c'est un peu indécent de le dire. Cela me permet de prendre mon temps, de me recentrer sur moi-même, de pouvoir écrire, lire, regarder des films…, toutes ces choses que je n'arrivais plus à faire faute de temps.


Mais cette série d’annulations et de fermetures assèche la trésorerie des galeries. Beaucoup auront du mal à encaisser une telle baisse du chiffre d’affaires, puisque la décision risque de se prolonger sur plusieurs semaines, voire mois. Ce qui menace leur survie.


 

F.N.H. : Quel impact ce confinement a-t- il sur la galerie ?

A. A. : C’est évident que fermer la galerie a un impact économique assez négatif. Mais je me dis que c'est nécessaire. En tout cas, là, je prépare mes futures expositions, même si la programmation a été effectivement perturbée.

H. D. : Pour l'instant, nous ne pourrons pas faire nos évènements. Mais comme entreprise responsable, nous ne souhaitons pas que nos employés soient affectés, donc nous continuons à les accompagner dans ces moments particuliers. Nous essayons de préparer nos projets artistiques autrement. Par ailleurs, nous veillons à ne pas consommer complètement nos réserves, qui n'étaient d’ailleurs pas énormes, au risque de nous mettre en grande position de fragilité dans les prochaines semaines.

Notre inquiétude est de ne pas être contraints de fermer le Comptoir des mines qui emploie 12 personnes et collabore avec 17 entreprises.

 

F.N.H : Qu’est-ce qui vous aide particulièrement à traverser cette période ?

A. A. : Ce qui m'aide à tenir pendant ce confinement, c'est avant tout l'écriture, une passion que j'ai depuis toujours. Cette période me permet enfin d'avoir du temps. J’essaie de garder mon souffle pour les choses qui me tiennent à cœur.

H. D. : Ce qui nous aide à traverser cette période, c'est notre foi. La foi en l'humanité.

Que tout le monde puisse rebondir, croire qu'on est capable de traverser cette période. Les gens sont des consommateurs d'arts et de culture. Aujourd'hui, pendant le confinement, tout le monde lit, regarde des films, repense à des expressions artistiques... Donc le monde aura encore plus besoin de culture. Je pense que l'homme ne peut pas être qu'une machine économique ou un outil économique; il est aussi un intellectuel pensant qui a besoin aussi de s'évader dans la culture. Je pense qu'après ce sera encore plus marquant.

 

F.N.H. : Et alors comment faites-vous pour maintenir une relation avec votre public ?

A. A. : Le téléphone existe. Les vidéoconférences aussi. J'ai quelques réservations d'œuvre… Même si plusieurs choses ont été retardées, comme ma prochaine expo. Une exposition de design qui s’avère maintenant un peu compliquée à réaliser, car les corps de métier se sont arrêtés aussi.

J'attends de rouvrir pour revoir mon public. Mais, en attendant, je suis les artistes par vidéo pour voie un peu l'évolution de leur travail.

 


Les expositions ajournées à cause du coronavirus se cherchent un avenir. Les œuvres étaient là, mais les visiteurs ne les verront pas.

Le COVID-19 met clairement en évidence la nécessité de la culture pour les communautés. Des musées et d'autres institutions culturelles, désormais fermés au public, ont généreusement ouvert leurs portes en ligne, proposant des visites virtuelles gratuites de leurs collections.
Art Basel Hongkong est la première foire 100% virtuelle pour galeristes et collectionneurs confinés.


 

H. D. : Les plateformes virtuelles existent depuis un certain nombre d'années, mais aujourd'hui elles vont prendre une importance considérable. Des gens qui s'intéressent à l'art ne pouvant plus se rendre dans les galeries, pourront alors passer par ces canaux. Ces canaux deviennent aujourd'hui les portes d'entrées aux galeries.

 

F.N.H. : Sur les expos virtuelles, vous y voyez un pis-aller ou l’avenir du marché de l’art ?

A. A. : Une exposition virtuelle, c'est bien car elle permet de démocratiser l'art et d’entrer dans les foyers à travers les ordinateurs et les téléphones. Quoique rien ne remplace une véritable exposition, comme rien ne remplace une véritable œuvre d'art qu’on peut toucher ou contempler dans un environnement précis.

H. D. : Ça va être mixte. Le numérique est un outil complémentaire. La crise du covid-19 va avoir un grand impact sur les notions de voyage dans le futur. Je pense que les gens voyageront moins pendant un certain temps. Les publics internationaux découvriront plus les artistes à travers ces plateformes, et les publics locaux et nationaux auront toujours le privilège de rencontrer les artistes et d'assister aux évènements… Mais la montée en puissance des plateformes de promotion en ligne ne va jamais remplacer le contact entre le et les artistes.

F.N.H. : Plusieurs PDF et catalogues d'artistes en libre accès ont remplacé presque toutes les expos différées, voire annulées. Soutiendriez-vous une telle stratégie en ligne ?

A. A. : Les expositions en ligne, pourquoi pas ?! Les catalogues en ligne, pourquoi pas aussi ?! J'en faisais bien avant le confinement. Je trouve que ça préserve l'environnement en engageant moins de papier. Mais, en revanche, rien ne vaut la visite d'une galerie ou l’atelier d'un artiste. C'est comme le livre : j'ai besoin de sentir le papier et non pas lire derrière un écran.

 

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