Le Trésorier général du Royaume n'est pas tendre avec les politiques fiscales menées par les différents gouvernements
Les dernières lois fiscales ont introduit des mesures conjoncturelles à effets très limités sur les finances publiques.
La multiplicité des acteurs concernés par l’impôt fait pression sur une catégorie de citoyens.
Le Trésorier général du Royaume, Noureddine Bensouda, a résolument maille à partir avec le gouvernement au sujet des politiques fiscales. L’ancien Directeur des impôts pointe notamment le manque de continuité d’un Exécutif à l’autre, et le changement fréquent des lois en matière fiscale. C’est du moins ce qu’il a exprimé lors d’une conférence organisée par la Chambre française de commerce et d’industrie (CFCIM), autour des finances publiques.
«La politique fiscale au Maroc manque de continuité», a-t-il déploré. «C’est une politique où les lois changent beaucoup. Chaque année, on rajoute et on retire des dispositions fiscales, ce qui crée énormément de déséquilibres et affecte, in fine, le citoyen. En Allemagne, par exemple, quelle que soit la majorité, les lois fiscales changent peu ou jamais», a-t-il souligné. L’une des raisons de cette stabilité, explique-t-il, c’est d’abord la part importante des impôts directs dans les recettes fiscales (Contrairement au Maroc, où la TVA, impôt indirect par excellence, constitue la première source de recettes fiscales ndlr). Par conséquent, aucun parti politique crédible ne demanderait une augmentation des impôts. Ensuite, c’est un pays où les normes d’origine législatives sont soumises à un impératif d’efficacité.
Il a par ailleurs insisté sur l’intérêt de maintenir les grands choix en termes de politiques publiques et d’éviter la fréquence de changements de cap. Et s’il le faut, «le changement doit être réfléchi et équilibré».
Effet d’éviction sur les recettes
Les dernières lois fiscales ont introduit des mesures conjoncturelles à effets très limités sur les finances publiques, regrette-t-il. Il a cité, entre autres mesures, les changements concernant l’IS, la hausse du taux de l’IR sur les profits fonciers, le retour de la contribution sociale de solidarité, le réaménagement du barème de la vignette automobile… En gros, ces actions portaient, soit sur la création de nouveaux impôts et taxes, soit sur l'augmentation des taux de ceux déjà existants. Elles étaient censées aboutir à une hausse des recettes fiscales. Ce qui ne fut pas le cas.
De plus, ces mesures fiscales «concurrencent» le rendement des grands impôts et taxes tels que l’IS, l’IR et la TVA, qui constituent pourtant l'essentiel des recettes ordinaires de l'Etat, fait-il savoir. Elles exercent par ricochet un effet d'éviction fiscale, polluent l'environnement des affaires et surtout rendent complexe un système fiscal supposé être simple.
Désinvolture dans la dépense
Même son de cloche pour la conduite de la dépense publique qui, selon lui, est réalisée à travers une multitude de supports budgétaires, notamment le budget général, les comptes spéciaux du Trésor, les SEGMA, les budgets locaux... «Chaque gestionnaire veut disposer de ressources financières d’appoint aux dotations budgétaires qui lui sont allouées, sans pour autant qu’il y ait une garantie quant à l’efficacité des dépenses qu’il réalise et des politiques publiques qu’il mène», affirme Bensouda.
Il indique que la multiplicité des acteurs concernés par l’impôt (Etat, collectivités locales, entreprises publiques) et des natures de prélèvements (impôts, taxes, redevances, droits, cotisations) fait que la pression fiscale devient, parfois, lourde pour une catégorie de citoyens et leur propension à épargner devient quasi inexistante.
Le contrôle par le citoyen
Car oui, le citoyen semble être le grand oublié des finances publiques. Pourtant, comme le rappelle le Trésorier du Royaume, «le droit des finances publiques est par essence citoyen».
Le citoyen est d’abord un contribuable, un usager et enfin un bénéficiaire des biens et services publics financés par toute la collectivité. Il en découle que «le citoyen doit être au centre des finances publiques, qui sont elles-mêmes à son service».
Si le citoyen consent à l’impôt et autorise les dépenses, il a le droit d’en contrôler l’usage qui en a été fait, ce qui est crucial pour le bon fonctionnement d’une démocratie. Les citoyens doivent demander à leurs élus de rendre des comptes. Dit autrement, de justifier leurs programmes de manière factuelle en utilisant des «informations fiables, sincères, régulières, et dans un langage et dans des formats que le citoyen peut comprendre et apprécier».
Il y a donc urgence à mieux organiser les finances publiques en hiérarchisant et en priorisant les programmes et projets d’investissement, en fonction de l’impact réel sur le vécu quotidien du citoyen, et en imposant de la cohérence et de la synchronisation dans l’action publique.
«Le citoyen ne doit pas subir les conséquences de l’émiettement du système fiscal, tout en étant livré à une compétition entre acteurs du secteur public où chacun opère des prélèvements obligatoires sans une vision globale et cohérente», assure-t-il.
Au contraire, l’objectif final est d’assurer une justice sociale à travers une justice en matière des finances publiques, et éviter ce qui se passe dans certains pays, tels que les Etats-Unis, où le dernier mot revient au marché. Voilà qui est dit. ■
Y. Seddik