Réforme fiscale des OPCC : le private equity redoute un coup de frein

Réforme fiscale des OPCC : le private equity redoute un coup de frein

Le projet de Loi de Finances pour 2026 introduit une disposition destinée à modifier le régime fiscal des OPCC. Dans le secteur du capital-investissement, cette modification suscite des inquiétudes, tant sur l’attractivité de l’investissement que sur la pérennité du modèle de financement des PME. Explications.

 

Par Y. Seddik

Jusqu’à présent, les OPCC bénéficiaient d’un principe de neutralité fiscale. Ces fonds ne payaient pas d’impôt sur leurs gains; la taxation intervenait uniquement entre les mains des investisseurs, lorsqu’ils percevaient leurs revenus. Cette transparence visait à éviter la double imposition et à encourager l’investissement dans les entreprises marocaines. Or, selon le gouvernement, cette mécanique n’était pas toujours équitable.

Dans certains cas, les fonds réalisaient des plus-values non imposables, puis les redistribuaient à leurs porteurs de parts sous forme de dividendes exonérés. Un schéma jugé contraire à l’esprit de la neutralité fiscale, puisqu’il permettait à certains revenus d’échapper complètement à l’impôt. La nouveauté réside dans la manière d’imposer les revenus distribués.

Le projet de Loi de Finances 2026 entend donc corriger cette distorsion. Désormais, les revenus distribués par un OPCC seront imposés selon leur nature réelle : dividendes, intérêts ou plus-values. Autrement dit, l’investisseur sera taxé comme s’il avait investi directement dans les actifs détenus par le fonds. Pour le ministère des Finances, cette clarification permettra de garantir l’équité fiscale et d’aligner le Maroc sur les standards internationaux en matière de transparence. Sur le papier, la neutralité fiscale des OPCC est maintenue. Mais dans la pratique, la réforme pourrait modifier l’équilibre économique du secteur.

Les inquiétudes du secteur du private equity

Dans les faits, la réforme suscite des craintes au sein du secteur du capital-investissement. Les professionnels redoutent une complexité accrue dans la gestion comptable et fiscale des fonds, qui devront désormais distinguer précisément la nature de chaque revenu. Certains craignent également un alourdissement de la fiscalité pour les investisseurs, notamment étrangers, ce qui pourrait nuire à l’attractivité du Maroc comme place d’investissement. «Le risque, c’est de casser la dynamique du financement des PME marocaines au moment où le marché du private equity commençait à prendre son envol», nous confie un gestionnaire de fonds. Un autre acteur du secteur abonde dans le même sens.

«Nous comprenons la logique de transparence recherchée par l’État, mais le moment est délicat. Le secteur du capital-investissement cherche encore à retrouver un rythme de croissance durable. Une réforme fiscale, même justifiée sur le fond, peut créer un choc de confiance si elle n’est pas accompagnée de règles claires et stables», souligne le directeur d’une société de gestion basée à Casablanca.

Ces préoccupations reflètent en effet la crainte d’un effet domino : une fiscalité plus lourde, une attractivité en baisse et, à terme, une contraction des flux de capitaux (étrangers aussi) vers les entreprises non cotées. Du côté du ministère des Finances, la philosophie du texte est claire : il ne s’agit pas de pénaliser les fonds d’investissement, mais d’assurer un traitement équitable de tous les revenus.

«Chaque produit doit être imposé pour ce qu’il est, et non selon la forme juridique qu’il prend à la sortie du fonds», précise-t-on. Cette mesure s’inscrit d’ailleurs dans le cadre plus large de la loicadre 69-19, qui vise à refonder le système fiscal marocain sur les principes d’équité, de clarté et de transparence. Le gouvernement veut ainsi mettre fin à certaines pratiques d’optimisation jugées trop favorables et renforcer la cohérence de la fiscalité des revenus de capitaux mobiliers.

Pistes d’impact et enjeux à suivre

 En effet, les effets de la réforme dépendront largement de son application concrète et du cadre transitoire qui l’accompagnera. Pour les investisseurs, le changement pourrait modifier la visibilité sur les rendements nets. Les gains issus des participations dans les OPCC seront désormais imposés selon leur nature réelle, ce qui pourrait «réduire relativement la rentabilité après impôt et compliquer la planification fiscale des porteurs de parts».

Les sociétés de gestion, elles, devront adapter leurs procédures internes. Il leur faudra distinguer plus finement les revenus selon qu’ils proviennent de dividendes, d’intérêts ou de plus-values, et ajuster leur communication vis-à-vis des investisseurs. Plusieurs professionnels anticipent aussi un possible ralentissement des levées de fonds, le temps que le marché intègre les nouvelles règles. Les entreprises financées par ces véhicules pourraient également ressentir l’effet indirect de la réforme.

«Si les OPCC deviennent moins attractifs pour les investisseurs, le flux de capitaux vers les PME et les ETI non cotées pourrait se contracter, ce qui limitera leur accès au financement en fonds propres, un levier pourtant important pour leur croissance», souligne le gestionnaire. Enfin, un point essentiel reste à clarifier : le calendrier et les modalités d’entrée en vigueur. Fautil s’attendre à un régime transitoire?

Les fonds déjà existants seront-ils concernés au même titre que les nouveaux ? Ces précisions seront déterminantes pour évaluer l’impact réel de la réforme et la confiance du marché. Aux yeux du ministère, la révision du régime fiscal des OPCC se veut une mise en conformité avec les meilleures pratiques internationales. Mais dans un écosystème encore fragile, où le capital-investissement joue un rôle essentiel dans le financement des entreprises de croissance, le pari du gouvernement peut être risqué. 

 

 

 

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