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Financement de l’économie: «La politique monétaire est restée globalement prisonnière de ses outils conventionnels»

Financement de l’économie: «La politique monétaire est restée globalement prisonnière de ses outils conventionnels»

Les nouvelles mesures de Bank Al-Maghrib s’inscrivent dans l’objectif d’atténuer l’impact de la pandémie de la Covid-19 et de donner un nouveau souffle au financement de l’économie nationale.

Yasser Tamsamani, docteur en économie de l’Université Paris 1 PanthéonSorbonne, qui estime que la baisse du taux directeur aura très peu de chances d’agir sur le volume des crédits distribués, nous livre son analyse sur les décisions prises par la Banque centrale.

 

Propos recueillis par la rédaction

 

 

Finances News Hebdo : Face à l’ampleur des effets de la crise Covid-19 sur l’économie marocaine, Bank Al-Maghrib a fait preuve de réactivité et a déployé une armada de mesures, dont celle consistant à baisser d’une manière successive son taux directeur. Comment jugez-vous ces décisions ?

Yasser Tamsamani : Tout d’abord, il faudrait rappeler que la nature expansionniste de ces nouvelles mesures monétaires est conforme aux recommandations de la littérature économique qui fait autorité aujourd’hui en la matière, et qui attribue aux politiques économiques un rôle contracyclique. Dans ce cadre d’analyse particulier, la question qui se pose est celle de la capacité de telle ou telle mesure à permettre à l’économie nationale de remonter la pente ? De même, si on suppose, par hérésie, que la politique économique aurait comme finalité d’agir également sur la tendance de sorte à ce que le bien-être social d’après Covid-19 soit «meilleur» que celui d’avant, ces nouvelles mesures monétaires permettent-elles d’atteindre cet objectif ? En recourant au canal de la baisse du taux directeur pour dynamiser l’économie, la Banq ue centrale est en train d’enfoncer une porte qui est déjà ouverte. La politique de baisse du taux directeur a été poursuivie depuis plusieurs années sans qu’il y ait un réel effet sur l’investissement.

La raison en est que : 1/ Les taux débiteurs au Maroc sont connus par leur rigidité à la baisse, ce qui entrave la transmission de la politique monétaire expansionniste et rend ce canal au moins partiellement inopérant.

2/ La structure oligopolistique du système bancaire marocain fait que l’ajustement entre l’offre et la demande des liquidités se fait par les quantités et non par les prix (taux d’intérêt en l’occurrence). Ces quantités étant déterminées par les banques sur la base de leurs propres stratégies internes (bénéfices, parts de marché, etc.), la baisse du taux directeur aura alors très peu de chances d’agir sur le volume des crédits distribués.

3/ L’investissement au Maroc étant plus sensible aux perspectives économiques et à l’accès aux financements qu’aux coûts de l’emprunt, les banques, même si elles jouent le jeu de la baisse des taux, l’activité peinerait à décoller.

4/ Le financement d’une partie de la dette du Trésor par les banques leur garantit un placement sûr, qui ne les incite pas à accompagner le développement économique du pays, étant par définition risqué et dont l’issue est incertaine, et à réagir à une politique monétaire expansionniste. Ce dernier point ne concerne pas uniquement l’outil du taux directeur, mais il explique en partie l’efficacité limitée que peut avoir l’ensemble des instruments conventionnels de la politique monétaire. Pour toutes ces raisons, la baisse du taux directeur ne va pas produire les effets qu’on lui a attribués consistant à aider à redresser de la situation conjoncturelle, et encore moins d’agir en profondeur sur la structure de l’économie et le bien-être social.

 

F.N.H. : Qu’en est-il des autres mesures prises par la Banque centrale concernant la libération intégrale du compte des réserves et d’allègement des règles macro-prudentielles ?

Y. T. : Le deuxième canal mobilisé par la Banque centrale pour faire face à la crise actuelle, à savoir la baisse du taux des réserves obligatoires, apporte certes une bouffée d’oxygène sur le marché monétaire de l’ordre 10 milliards de dirhams. Rapportés à un encours de crédits qui s’élève à plus de 900 milliards de DH et à supposer que la totalité de ces 10 milliards sera destinée au financement de l’économie, autant dire qu’il s’agit d’une goutte d’eau douce dans l’océan. Par ailleurs, avec les mesures d’allégement des règles prudentielles et les programmes de refinancement ciblé et conditionné des banques, la politique monétaire emprunte cette fois-ci une nouvelle voie plus prometteuse pour assurer la transmission de ses actions à l’économie réelle. 

Et encore, l’efficacité de ces dispositifs reste tributaire, au bout de la chaîne, du bon vouloir des banques à traduire, d’une part, le desserrement des ratios prudentiels par un allégement des conditions d’accès aux crédits, notamment aux investisseurs dans les secteurs d’avenir et donc risqués (Industrie, R&D, nouvelles technologies, etc.), et d’autre part, de s’impliquer sérieusement dans les différents programmes de financement des entreprises, bien que ces programmes restent encore limités à une certaine catégorie d’entreprises et couvrent ainsi des champs d’activité restreints.

 

F.N.H. : Quelle est votre appréciation globale sur toute cette armada de mesures déployées par Bank Al Maghrib ?

Y. T. : Globalement, la situation dans laquelle se trouve l’économie marocaine est inédite et les prévisions de croissance sont de plus en plus pessimistes, au fur et à mesure que les informations récentes sont prises en compte. En effet, les dernières prévisions en date sont celles justement de Bank Al- Maghrib, qui tablent sur une contraction de la production en 2020 de l’ordre 5,2% contre 4% estimée par la Banque mondiale au mois de mai et 3,7% du FMI datant d’un mois auparavant. Le bon sens veut que face à une crise exceptionnelle, l’orientation donnée aux politiques économiques soit aussi exceptionnelle et sorte des sentiers battus. Or, la politique monétaire est restée globalement prisonnière de ses outils conventionnels.

 

F.N.H. : Que peut faire de plus Bank Al-Maghrib qu’elle n’a déjà fait ?

Y. T. : La question n’est pas celle des instruments à disposition de la Banque centrale mobilisables en cas de crise économique. Celle-ci, comme celle relative à ses statuts sont, à mon avis, secondaires. La question principale est liée à l’organisation de la structure du financement du développement économique du pays et dans le cadre duquel s’inscrivent les actions de la Banque centrale. Pour illustrer ceci, on peut imaginer un monde parallèle où deux nouveaux modes de financement de l’économie voient le jour. D’une part, la création d’une banque publique d’investissement dotée d’une ligne privilégiée de refinancement auprès de la Banque centrale, avec une logique différente de sélection de projets à financer et, d’autre part, l’émission de bons du Trésor de très long terme (de 20 à 25 ans) dont les recettes seraient exclusivement destinées au financement des services publics à faible contenu en importations (éducation, santé, logement social locatif) et négociables sur le marché avec une garantie de rachat par la Banque centrale en dernier ressort. Dans ce nouveau monde, la marge d’action de la Banque centrale se trouve élargie et l’incitation des banques à prendre des risques sera accrue…Il s’agit là certes d’un financement monétaire de l’effort public, mais indirect et encadré, permettant d’éviter le recours fortement risqué, à plusieurs niveaux et arbitraire, à ce qu’a été désigné grossièrement par la «planche à billets».

 

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