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Festival: Il était une fois… le Street Art (Part I)

Il était une fois… le Street Art (Part I)

Plus d'un demi-siècle après sa découverte aux Etats-Unis, quarante ans après son épanouissement en Europe, Rabat le célèbre jusqu’au 26 septembre à l’occasion de Jidar-Rabat Street-Art Festival.

 

Par R. K. Houdaïfa

 

Rabie El Addouni, né en 1983 à Meknès, a été le premier à éclater formes et couleurs sur des routes nationales, murs de soutènement des voies ferrées, sous des ponts... Il s’exprimait pleinement par un lettrage latin en 3D allié à la calligraphie arabe, qui appelle l’hyperréalisme figuratif.

Dès 2008, Rabie fut le premier représentant de l’art urbain marocain à bénéficier d’une exposition individuelle à l’ambassade de Croatie, à Rabat, et ses réalisations se présentaient comme une invitation à un voyage; une œuvre claire, lumineuse, riche, inépuisable. Il a également participé en 2012 à une importante exposition collective à la Casa Africa, à Las Palmas. Cette véritable légende, à la culture cosmopolite, est décédée dans un accident de voiture, en 2013.

La brèche étant ouverte, d’autres noms se mettent sur les rangs, égayant de leur nouveau savoir-faire murs, façades ou poste transformateur électrique. Parmi eux, Morran Ben Lahcen, alias Morran BLC. Représenté par la prestigieuse Bloch Gallery, il ne se consacre, maintenant, qu’à ses recherches - poussées - en art contemporain et préfère tirer un voile plutôt qu’en décliner davantage sur cette partie de sa vie. Rebel Spirit – Mohamed El Bellaoui, dans le civil – fait également figure d’ancien. Avant qu’il ne les mette dans ses emblématiques BD, sagement intitulées Les Casablancais, ses personnages à l’illustration pop étaient d’abord brossés sur les murs de sa coriace métropole.

Mais quand la vague se retirera, elle emportera beaucoup de gloires fragiles. Seuls quelques-uns ont pu surnager. Majid Elbahar, aka Majic Joe, en est un autre vétéran. En s’intéressant à la NBA, il plongea dans la culture black américaine, et découvrit par la circonstance la culture hip-hop. En autodidacte et n’ayant jamais passé par le graff, il fait chanter son art dans un registre muraliste figuratif. Aussi, qui parmi nous n’a jamais vu ou lu «Trick 54», cette inscription qui sans cesse se répète aux quatre coins des villes, plantée partout à Casablanca, Tanger, Marrakech...?

Son dispensateur est l’un des géniaux et discrets Marocains à s’inscrire, pleinement, dans la tradition occidentale du graff protestataire. Ses graffitis minimalistes sont portés par une écriture à l’esthétique élaborée, sans toutefois se soucier de la performance graphique. Apposant son blaze, discrètement et mystérieusement, dans les lieux et aux moments les plus impossibles, cet habitant de Mohammedia fait acte à la fois artistique et de rébellion contre l’ordre établi…

Du tag au Street art, en passant par le graffiti

De timide, et disons-le mot, frileux, à sa naissance, le mouvement ne cessera de s’amplifier. Partout au Maroc poussaient les tagueurs, graffeurs, pochoiristes et autres adeptes de la bombe aérosol comme primevères au printemps, au point de devenir innombrables au sens plein du terme. Ils envahissaient sans peur ni reproche, couleurs à la main, esplanades, allées des jardins publics, passages des immeubles et souterrains, au mépris des forces de l’ordre qui veillaient à les en chasser.

C’est dire qu’il y avait des Street artistes, mais il n’y avait pas encore un art urbain assumant sa destinée et imposant ses lignes de démarcation. Fallait-il attendre 2013 pour que la sauce Street prenne réellement ? Le salut viendra de l’EAC-L’Boulvart (Education artistique et culturelle), une association de valeurs avant-gardistes ayant vocation à montrer ce qui se fait de mieux en matière de musiques actuelles et de la culture urbaine au Maroc. Avec elle, le genre connaît réellement son essor en fomentant, à Casablanca, Sbagha Bagha, donnée la première fois sous forme d’une session Street Art en marge de la quatorzième édition de L’Boulevard festival. Le coup d’essai fut un coup de maître. Dès lors, on se serre les coudes, on multiplie les fresques, enjolivant de fond en comble l’espace public. C’est ainsi que Rabat a été demanderesse d’un festival similaire, d’autant plus que la ville souhaitait être vivifiée, car mal lotie en performances artistiques urbaines. Ce qui fut fait, en 2015, avec la complicité de la Fondation nationale des musées, dans le cadre du programme «Rabat ville lumière, Capitale marocaine de la culture».

Le festival réussit haut la main son baptême de feu. Il enchaîna succès sur succès, à telle enseigne qu’il s’est hissé au rang des rendez-vous incontournables du genre à l’échelle mondiale. A chaque nouvelle saison, son lot de gigantisme. Pendant dix jours, une kyrielle de Street artistes, d’ici et d’ailleurs, viennent dépister les intenses vibrations de la ville ainsi que de ses habitants pour les enfermer dans le temps sur le support mural. Depuis son baptême de feu, la capitale cosmopolite a accueilli pas moins de quatre-vingt artistes; ce qui a permis la transformation d’une soixantaine de façades savamment dispersées dans la ville. On y retrouve de très belles peintures murales monumentales, à l’esthétique très maitrisée, et qui sont pour la plupart figuratives, si ce n’est pas question d’abstraction.

«On n’est plus devant un tag underground – une bombe et un mur», nous fait savoir un amateur. On se retrouve devant des œuvres qui irradient la grâce. Heureux rbatis qui ont à se mettre sous la dent un morceau de choix, la sixième édition de Jidar-Rabat Street Art Festival (ex- Jidar, toiles de rue). Ajournée l’année dernière, aujourd’hui offerte, elle est revenue transformer, jusqu’au 26 septembre, la capitale pour son salut et notre bonheur, en ce qui en intensifie le plaisir, musée à ciel ouvert. A suivre !!

 

 

 

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