Abdeladim Lhafi, haut-commissaire aux Eaux et forêts et à la Lutte contre la désertification, insiste sur l’enjeu de mettre en place une approche forestière globale, économique, territoriale et écologique pour relever les défis majeurs des prochaines décennies.
Finances News Hebdo : La Méditerranée est l’une des régions les plus vulnérables aux changements climatiques. Quelles en sont les conséquences sur les forêts ?
Abdeladim Lhafi : Tout d’abord, l’espace méditerranéen est très particulier sur le plan structurel, notamment en liaison avec les précipitations. En période de soudure, entre mai et octobre, il ne pleut pas, ce qui engendre des fragilités aux feux de forêt.
Parallèlement à cette défaillance structurelle, il y a le changement climatique qui ne fait qu’augmenter ce risque, puisque selon les études du GIEC*, la région connaitra d’ici la fin du siècle une diminution du volume des précipitations de l’ordre de 15 à 20%. Ce changement cause également un dérèglement des saisons ainsi que l’augmentation des températures, ce qui n’est pas sans conséquence sur cette richesse naturelle. D’autant plus que dans la plupart des pays, l’espace forestier est un espace ouvert grevé de droit d’usage comme c’est le cas au Maroc. Donc, l’association de tous ces éléments fait que les défis des forêts méditerranéennes vont être encore plus importants dans les prochaines décennies. D’où la nécessité de mettre en place des projets d’adaptation pour faire face aux risques imminents qui menacent la région. Le Plan de lutte contre les incendies au Maroc est l’un des meilleurs exemples en matière d’adaptation. Ce plan a permis, ces dix dernières années, de réduire de pratiquement 75% les incendies de forêt, grâce à une gestion des risques sur la base d’une prospective et à des plans opérationnels.
F.N.H. : Dans quelles mesures les forêts peuvent-elles contribuer à atténuer les effets de ce fléau sur cette région où les risques sont de plus en plus élevés ?
A. L. : Pour que la forêt puisse jouer ce rôle, il faut la préserver et la conserver par des solutions adaptées à chaque risque et à chaque région. Premièrement, en reboisant massivement les forêts avec des espèces adaptées à la région ainsi qu’aux conditions édapho-climatiques. Cela réduira les conséquences de l’érosion des terres qui provoquent l’envasement des barrages, et par conséquent, la diminution de leurs niveaux de stockage. C’est la raison pour laquelle au Maroc, nous sommes passés d’un reboisement de 15.000 à 50.000 hectares/an et nous comptons accélérer le rythme et l’intensité de reboisement. Deuxièmement, en mettant en place un système d’économie sociale avancé pour faire face aux pressions anthropozoïques (hommes et cheptels). En d’autres termes, constituer des coopératives et des associations pastorales pour avoir un interlocuteur, fixer la limite de la charge pastorale, faire des contrats avec les populations afin qu’elles puissent avoir un revenu et diminuer ainsi la pression sur les ressources naturelles… Troisième élément, c’est la solidarité spatiale. Il faut que toute la population d’une région puisse profiter, d’une manière ou d’une autre, de ses ressources. A titre d’exemple, investir une partie des recettes des eaux d’irrigation dans le développement des montages (infrastructures, équipements, chauffage…). Malheureusement, sur cet aspect d’approche territoriale et de solidarité spatiale, le Maroc accuse encore du retard. C’est en réunissant tous ces aspects que nous pourrons avoir une approche forestière globale, économique, territoriale et écologique.
F.N.H. : Relever ces défis n’est pas uniquement une priorité nationale, mais également régionale. Comment se décline la coopération méditerranéenne pour préserver le poumon de cette zone fragile ?
A. L. : Cette coopération consiste à partager les expériences des uns et des autres dans différents domaines et faire profiter à tous les pays de la région des plans de gestion des risques (incendies, bassins versants, etc.) les plus performants. Ceci nous permet de mutualiser nos efforts et de réagir de façon ordonnée à des risques qui sont les mêmes.
La Semaine forestière méditerranéenne est d’ailleurs un espace de débat qui a commencé à donner des résultats tangibles. Pour ne citer que la dernière initiative de la Turquie, présidente de «Silva Mediterranea», qui a décidé de financer les études de 100.000 hectares/an sur les 5 prochaines années au niveau de la Méditerranée pour mieux appréhender les risques. Cette initiative peut également contribuer à financer des projets d’adaptation. ■
Propos recueillis par Lamiae Boumahrou