Dans cet entretien, Amine Diouri, directeur études & communication chez Inforisk, nous livre un diagnostic détaillé sur la situation des délais de paiement et les solutions pour y faire face.
Selon lui, il est temps de sévir contre les mauvais payeurs.
Finances News Hebdo : Quels sont les messages importants que vous retenez de votre dernière étude sur les délais de paiement ?
Amine Diouri : Premier message fort, les délais clients des TPE se maintiennent en 2017 à des niveaux excessivement élevés avec 264 jours (8,8 mois). Comment maintenir une trésorerie à flot avec de tels chiffres ?
Si vous mettez en corrélation les délais de paiement avec l’évolution des encours de crédit de trésorerie, qui eux évoluent à la baisse, vous comprenez parfaitement l’asphyxie de trésorerie des TPE, qui les amène bien souvent à la faillite.
Autre chiffre important : pour les grandes entreprises (GE), l’écart entre délais clients et fournisseurs ne cesse d’augmenter. En 2017, les délais clients GE étaient de 98 jours contre 128 pour les délais fournisseurs, soit un solde négatif de -30 jours (contre +46 jours pour les TPE). En clair, les GE paient plus tardivement leurs fournisseurs alors que dans le même temps, elles reçoivent plus rapidement le paiement de leurs clients !
Ce solde pour les GE n’étaient que de -22 jours en 2016 et démontre que cette catégorie d’entreprises s’est constituée en 2017 un matelas supplémentaire de trésorerie alors qu’en parallèle les TPME souffrent ! Conséquence logique de tout cela, le crédit interentreprises continue de croître plus rapidement que le PIB et les encours bancaires servis aux sociétés non financières, pour atteindre 423 milliards de dirhams en 2017, soit l’équivalent de 37% du PIB.
Dernier élément, l’écart s’est fortement creusé en 2017 entre délais de paiement publics (58 jours en moyenne pour les marchés publics) et privés (264 jours subis par les TPE).
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F.N.H. : Comment peut-on sortir de cette dégradation continue ?
A. D. : Par un mix de sanctions et de communication. L’un ne va pas sans l’autre. Manier le bâton uniquement ne créera qu’un climat anxiogène auprès des entreprises. De l’autre côté, la communication seule n’aura aucun impact sur la diminution des retards de paiement, puisque les entreprises ne risqueront rien.
La solution médiane serait à la fois la sanction, à travers la publication des arrêtés d’application de la loi 49-15, fixant le taux de pénalité applicable en cas de non respect du cadre légal. Il faudrait associer cette mesure au principe du «Name and Shame», véritable mur de la honte, affichant publiquement sur le site du ministère français de l’Economie, les entreprises publiques ou privées ne respectant pas la loi.
Le Name and Shame doit être couplé à de amendes fortes adressées aux entreprises récalcitrantes par un organe public indépendant (à l’instar de la Direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCRF) en France).
Dans l’Hexagone, la DGCRF adresse des amendes pouvant aller jusqu’à 2 millions d’euros à de grandes entreprises. Reste ensuite à communiquer et sensibiliser les entreprises sur les bonnes pratiques
commerciales, car il est important de le rappeler, de nombreux litiges (et donc des retards de paiement) interviennent à cause de documents contractuels incomplets (conditions générales de vente, factures etc.).
Par ailleurs, les bonnes pratiques consistent aussi à mettre en place un process de Credit Management pour la sélection des clients, process centré autour du système d’information de l’entreprise.
F.N.H. : Quelles sont vos perspectives pour l’année prochaine, surtout avec toutes «les mesures» qui ont été annoncées (Observatoire des délais de paiement, plateforme Ajal pour les EEP…) pour faire face à cette problématique ?
A. D. : Mes perspectives sont très mesurées voire pessimistes pour les délais de paiement privés. Les éléments que vous citez dans votre question, reflètent les efforts entrepris par l’Etat pour contenir les délais de paiement publics uniquement. De par les montants atteints pour l’encours interentreprises privé, le véritable enjeu pour 2019 se situe là.
Or, de ce côté, les choses avancent lentement : les arrêtés de la loi 49-15 (taux de pénalités de retard, délais dérogatoires) ne sont toujours pas publiés. Par ailleurs, on ne voit pas comment les petites entreprises pourraient «renverser la table» face aux grandes entreprises en matière de délais de paiement. Celles-ci ont trop à perdre en mettant la pression sur les GE. C’est pour cela qu’en France, la DGCRF se charge de punir directement, par des amendes fortes, les entreprises qui ne respectent pas les délais de paiement légaux. ■
Propos recueillis par Y. Seddik