La croissance des crédits n’est que de 1,5% à fin octobre.
La Banque centrale devrait-elle revoir son taux directeur pour relancer la machine ?
Nous assisterons vraisemblablement à une panne sèche sur les crédits bancaires cette année. Un scénario identique à celui de 2017, avec notamment des prévisions de la Banque centrale, même ajustées à deux reprises, difficilement atteignables. Bank Al-Maghrib (BAM) tablait en effet sur une croissance de 5% pour le financement du secteur non financier, avant d’être réduite à 4,5% en mars, puis à 4% en septembre. Le GPBM (Groupement professionnel des banques au Maroc), de son côté, prévoyait une progression de l’ordre de 6,6% pour 2018.
Or, dans la dernière livraison des statistiques monétaires, celle d’octobre, seul un petit 1,5% de croissance y figure. Trop faible pour soutenir l’activité économique. Sur toute l’année, la production des prêts bancaires a évolué à un rythme de sénateur, alternant des petites hausses ne dépassant pas les 3%. Faut-il chercher du côté de l’offre ou de la demande pour expliquer ce tassement? Des deux côtés, les facteurs explicatifs sont légions.
Les banques, comme nous l’expliquions il y a quelques mois dans nos colonnes, se défendent d'être frileuses. Pour elles, c’est clairement une question de demande. «Si la demande des entreprises pour le financement est atone, ce n’est pas le secteur bancaire qui va la créer», expliquait Mohamed El Kettani, PDG du Groupe Attijariwafa bank. Un argument appuyé par Ahmed Rahhou, PDG de CIH Bank, qui estime que «nous ne sommes pas dans une logique de verrouiller le robinet. Comme le dit souvent le gouverneur de la Banque centrale, le métier des banques, avant tout, c’est de distribuer des crédits. Elles n’ont aucun intérêt à fermer le robinet du financement, car c’est ce qui leur permet de créer du PNB (produit net bancaire)».
A ce titre, les profits dégagés de l’activité de crédit représentés par la marge d'intérêt (MNI) varient entre les banques cotées à fin septembre 2018. Deux d’entre elles affichent des soldes négatifs : il s’agit de BMCE (-150 MDH) et de BMCI (-41 MDH). En revanche, Attijariwafa bank, BCP, CIH et CDM ont amélioré leurs marges d’intermédiation de 1 Md de DH, 714 MDH, 77 MDH et 48 MDH, respectivement. Des chiffres dont la lecture sera plus affinée et plus significative avec les résultats annuels.
Exigences bâloises
Les premiers impacts de la nouvelle norme IFRS 9 sur les fonds propres des banques et leurs charges du risque sont connus, ces dernières ayant d’ailleurs la possibilité de les lisser sur cinq ans. Cependant, les banquiers de la place s’accordaient à dire qu’il n’y aura pas d’implications sur la distribution des prêts. Comme l’affirmait en mars Mohamed Benchaâboun, à l’époque PDG de BCP, «il n’y aura pas d'impact sur la distribution de crédit, car cette norme n'implique pas de ségrégation. Toutes les banques sont tenues de l'appliquer».
Les analystes, eux, voyaient une éventuelle hausse au niveau du coût de financement, comme conséquence directe de l'augmentation des exigences sur les provisions. Dit autrement, les banques, au cas où elles souhaiteraient conserver un niveau de rentabilité inchangé, devront réclamer un surcoût de rémunération aux débiteurs (selon le scoring) et restreindre les financements. Un rationnement dont pâtiraient les entreprises demandeuses de crédits.
Sinistralité & environnement des affaires
Un autre argument brandi par les banquiers est celui du taux de sinistralité, qui reste élevé au Maroc. D’après les dernières statistiques de Bank Al-Maghrib, le portefeuille global des créances à risque à fin octobre s’élève à 66,58 milliards de DH, en hausse de 3,8% comparativement à l’année dernière. «Dans les économies solides, dès que le taux des créances en souffrance dépasse les 2%, c’est le signal d’alarme. Les banques marocaines prennent des risques plus que la normale. Dans une économie comme la nôtre, nous devons être dans un taux entre 3 et 4%. Nous avons frôlé les 8%, il y a un an. C’est un grand signal d’alarme», expliquait récemment El Kettani.
Comme si cela ne suffisait pas, les bonnes intentions des banques de prêter se sont davantage réduites face à un malaise social qui a sévi sur certains secteurs stratégiques en début d’année, contaminant l’ensemble de l’économie et la confiance des opérateurs. D’ailleurs, la Banque centrale, elle même, avait expliqué que la campagne de boycott qui a visé certains secteurs «pourrait constituer une source non négligeable de pressions sur l’économie nationale», même si elle ne dispose pas de suffisamment de données, ni de recul, pour en évaluer l’impact.
Agir sur le taux directeur
Enfin, la Banque centrale, par la voix de son gouverneur, dit être préoccupée par le sujet et admet que la machine de production des crédits doit urgemment être relancée. Les conclusions (pistes de relance) de la réunion tripartite entre BAM, le patronat et le GPBM se font toujours attendre. Pour l’heure, la solution la plus appropriée, dans ce contexte d’urgence, serait que Bank Al-Maghrib fasse un geste sur son taux directeur d’ici la fin d’année, d’autant que l’inflation est maintenue à des niveaux relativement faibles et donc maîtrisables.
La dernière fois que la Banque centrale a activé le levier «taux» remonte à mars 2016, en le ramenant de 2,50% à 2,25%. L’effet de cette baisse a été bien ressenti. Cette même année, rappelons-le, s’était soldée par un taux de croissance de 1,2%, le plus faible des dix dernières années, au moment où le taux de croissance des crédits bancaires s’était, lui, élevé à 4,5%. Cela dit, les bonnes décisions ne mènent pas forcément à de bons résultats. La baisse du taux directeur encourage la progression du crédit, mais dans un système bancaire libéralisé, la Banque centrale ne peut contrôler directement cette croissance. ■
Les crédits à court terme retombent dans le rouge
L’embellie des crédits de trésorerie n’a pas fait long feu. Après un passage dans le vert en août puis en septembre, les crédits à court terme, qui financent le besoin en fonds de roulement des entreprises, sont retombés dans le rouge ce mois-ci (-0,2%). Ce résultat, explique BAM, traduit une accentuation de la baisse des facilités aux entreprises non financières privées de 0,1% à 2,4%. D’un mois à l’autre, la baisse est de 4,2%. Autrement dit, sur cette catégorie de financement, les banques ont distribué 7,34 milliards de DH de moins qu’en septembre. L’allongement des délais de paiement n’est pas étranger à cette situation. Cette décrue intervient également au moment où les taux débiteurs appliqués sur cette catégorie de prêts ressortent en hausse de 7 pbs au troisième trimestre, après une baisse de 14 pbs au deuxième trimestre.
Par Y. Seddik