• Une nouvelle dictature est en train d’apparaître, celle de l’homoconsumerus. • Les entreprises sont devenues les otages d’une nouvelle génération de clients, plus riche et mieux informée. Face à cette nouvelle donne, les grandes firmes essayent de se battre, en utilisant une nouvelle arme qui leur permet de voyager au centre de la tête du client • Le problème est sérieux et l’enjeu est de taille. Mieux comprendre le client que la concurrence, c’est anticiper ses besoins, les satisfaire et porter un coup mortel à celle-ci. Nokia en sait quelque chose par rapport à Apple • L’évolution est déjà en marche. Votre entreprise s’y est-elle préparée ?
Avant de développer le sujet, étudions les origines de la mutation :
La banalisation de l'innovation : des ruptures sans précédent, de l’ordre de la science-fiction il y a quelques années, sont devenues presque normales, voire même une exigence de la part des clients.
La révolution des réseaux de distribution : qu'il s'agisse de distribution physique ou virtuelle, la manière de faire parvenir les produits aux clients a considérablement gagné en célérité, faiblesse des coûts et qualité de l'expérience d'achat.
L'abondance de l'offre, caractéristique de la période de consommation de masse dans laquelle nous vivons. Le problème du client est l’abondance et non la rareté.
L'accès sans précédent à l'information grâce à deux facteurs qui font que, non seulement celle-ci est aisément disponible, mais que les clients en sont les utilisateurs et les producteurs. Il s’agit de la révolution du contenu (le web 2.0) et des moyens d'accès (tablettes, ordinateurs portables et smartphones) ;
Le décalage démographique entre les acheteurs d'aujourd'hui, les "web kids" nés au moment de l’apparition d’Internet, et les dirigeants d’hier, dont l’exploit en matière d’innovation technologique est de disposer d’un site web et d’un smartphone ;
La sophistication des clients, devenus plus riches (avec l'augmentation de leur pouvoir d'achat) et extrêmement difficiles à épater. Ils se sont transformés en dictateurs, exigeants, volatiles et, plus stressant, trop indécis et pénibles à convaincre.
Ce descendant de l’homoeconomicus s’appelle l’homoconsumerus.
Que faire ?
Face à cette évolution déroutante, certaines entreprises ont recouru à l'extrême, le neuromarketing. Cette nouvelle discipline consiste à appliquer les neurosciences cognitives à la compréhension du comportement du consommateur par l'étude des mécanismes cérébraux qui interviennent lors de l'achat d'un produit ou en réaction à une publicité.
Des entreprises aussi prestigieuses que Google, Coca-Cola ou la chaîne de télévision américaine CBS, l'ont déjà essayé pour comprendre les motivations et les freins d'achat et tenter de les influencer. Au delà du débat sur l'aspect moral d'une telle démarche, son efficacité même est sujette à polémique.
Le recours à des méthodes aussi radicales révèle un malaise patent au sein des Directions Marketing qui n'arrivent plus à justifier à leurs Directions Générales pourquoi, avec tous les budgets dont elles disposent, elles n'arrivent plus à comprendre leurs Clients.
La réponse à cette question est paradoxalement assez simple. Les entreprises ne comprennent plus leurs clients parce qu'elles ne les écoutent ni bien ni assez !
Quand je dis les écouter, je ne parle pas uniquement des études de marchés effectuées avant le lancement d'un nouveau produit, des enquêtes de satisfaction ou encore des panels consommateurs. Tenter de comprendre l’homoconsumerus suppose la mise en place de processus industriels, systématiques et permanents, au sein de l’entreprise, de collecte, de traitement et d'exploitation de l'information sur les clients, en général, et les siens en particulier. Il s’agit d'une démarche systématique, alimentant la brique la plus fondamentale du système de pilotage de l'entreprise.
Pour instaurer un tel système, il faut passer par trois étapes :
Collecte de l’information pertinente sur le client. Et là toutes les ressources sont bonnes : les rapports des commerciaux, les réunions avec les distributeurs, les restitutions des centres de relations clients, les études de marchés, les panels consommateurs, la presse spécialisée et les faiseurs d'opinion publique.
Une mention spéciale doit être accordée aux blogs, au site web de l'entreprise et à ses pages dans les réseaux sociaux (les siennes, celles des concurrents, des fournisseurs, des distributeurs,...).
Il faut également exploiter systématiquement les chiffres détaillés de vente qui montrent ce que les clients disent mais que l'entreprise n'entend pas.
Exploitation qui doit se faire en utilisant les bons outils (CRM, Data mining, Big Data,...). Ceux-ci ont, fort heureusement, atteint un niveau de maturité qui leur permet de répondre aux besoins les plus pointus. Une attention particulière doit être accordée à la qualité des données en entrée et à la pertinence des indicateurs de mesure (voir www.financenews.press.ma, article «Systèmes décisionnels : tout ça pour ça» ?).
Diffusion de cette connaissance au sein de l'entreprise pour en orienter l'action. Celle-ci doit prendre en considération les destinataires et leurs besoins, les moyens appropriés de diffusion et les décisions à prendre (il ne faut pas que cette connaissance se transforme en rapports que personne ne lit).
Les managers ont un rôle fondamental à jouer dans cette transition, en dirigeant son implémentation et en veillant à ce que leurs équipes développent leur écoute du client et la traduise en actions pour son bénéfice.
Dans le film "Ce que veulent les femmes" de Nancy Meyers (2000), Nick Marshall, le publicitaire misogyne, parvient à entendre les pensées des femmes suite à un accident. Il s'aperçoit avec horreur que l'image que celles-ci avaient réellement de lui n’était pas du tout celles qu’il croyait. Avec le temps, il réussit à tourner ce don, horrible pour lui au début, en sa faveur et il découvre à la fin qu'il n'a pas besoin de lire les pensées des femmes pour savoir ce qu'elles veulent, il lui suffit de bien écouter. Si seulement les entreprises faisaient de même avec leurs clients.
Nabil Adel*
* Nabil Adel est cadre dirigeant d’assurances depuis 1997.
Il est consultant auprès de plusieurs institutions financières nationales et internationales (Opérations de haut de bilan, Fusion-Acquisition et valorisation), de fonds d’investissement (Due diligence, évaluation et business plans) et de grandes entreprises (Stratégie et Organisation).
Il est également professeur d’économie, de stratégie et de finance d’entreprise depuis 2002.