- La data est considérée comme un actif stratégique pour la banque.
- Son utilisation comporte plusieurs risques et enjeux réglementaires.
Aucune autre entreprise que la banque ne détient autant de données sur ses clients : salaire, niveau des dépenses, épargne, commerces favoris, paiements par cartes, retraits d’argent aux distributeurs...
Bref, les banques savent tout, ou presque, de leurs clients. Une «mine d'or» qu'il convient plus que jamais d'exploiter, à l’heure où la concurrence dans le secteur fait rage.
Mais voilà qui pose immédiatement la question de la protection des données personnelles, un sujet auquel l’opinion est de plus en plus sensible. Pour Issam El Alaoui, responsable Big data au sein de CIH Bank, «le Big data est fondamentalement neutre, mais l'usage qui en est fait doit être moral, respectueux de la vie privée du client et doit lui permettre d'accéder plus simplement à des produits et services dont il pourrait avoir besoin au moment idoine».
Parallèlement, cette technologie nouvelle implique un autre risque : le vol de données personnelles, par ce qu'on appelle communément les cybercriminels.
D’ailleurs, face à la montée des cyberattaques, Bank Al-Maghrib a édicté une directive (n°3/W/16) fixant les règles minimales à observer par les établissements de crédit pour réaliser les tests d’intrusion de leurs systèmes d’information.
Ces tests ont pour objet d’analyser l’état de sécurité du système d’information des établissements bancaires et d’évaluer leur capacité à faire face de manière adéquate à des attaques ciblant leurs systèmes.
Datalab : Pour transformer la donnée en informations
Comparées aux banques américaines, britanniques ou encore européennes, les banques marocaines commencent timidement leurs expériences Big data.
Parmi les nombreux obstacles à l’exploitation de ces masses de données, se pose la question de l’organisation pour en tirer le meilleur usage. El Alaoui nous explique qu’au sein de sa banque, l’utilisation du Big data «suppose d'avoir une vraie gestion de la qualité de la donnée, des responsabilités clairement définies pour les différents périmètres fonctionnels et bien évidemment un organisme dédié à sa valorisation et sa promotion en interne : le Datalab». Et de conclure
: «Le but étant de transformer la donnée en informations puis en savoir et de la réinjecter dans la banque sous diverses formes».
Il est indéniable qu'aujourd'hui le Big data est devenu un impératif commercial. Les dépenses mondiales dans ce marché devraient avoisiner les 130 milliards de dollars cette année. Les banques y voient ainsi une opportunité de trouver de nouveaux leviers de compétitivité pour améliorer leur relation client. ■
Entretien avec Issam El Alaoui, responsable Big data au sein de CIH Bank
Finances News Hebdo : Quels sont les principaux risques auxquels sont confrontées les organisations dans leur transformation digitale ?
Issam El Alaoui : La transformation digitale s'accompagne naturellement d'une explosion des volumes de données liés aux usages des clients. Travailler cette donnée en est l'un des fondements. L'analyser et en tirer les bons enseignements est pour moi l’une des clés d'une transformation digitale qui s'adapte au client, et non pas l'inverse. Un des risques est d'imposer au client des outils et services inadaptés, difficiles d'accès, voire parfois obscurs.
Lorsque vous entamez une transformation, il faut savoir mettre en place des mécanismes de mesure du feedback client afin de détecter rapidement un écart par rapport à ce qui était attendu. Le Big data est ici un outil de pilotage précieux pour réagir au comportement du client qui est par définition complexe et multiforme.
Une deuxième erreur consiste à séparer le digital de la donnée, voire à considérer que la donnée n'est qu'un simple sous-produit de l'utilisation du digital, comme un déchet qu'il faut simplement archiver et oublier.
Or, la plupart, sinon tous les géants du web, ont bâti des businessmodels tout autant sur le service que sur la donnée générée, en cherchant des débouchés à l'information que génèrent leurs clients.
Au Maroc, l'explosion du digital ouvre également ce genre d'opportunités, et l'oublier c'est probablement passer à côté de votre futur cœur de métier.
F.N.H. : Il est clair que la data est un actif stratégique pour la banque. Son exploitation suppose une stratégie de gestion efficiente pour qu’elle soit utilisable et accessible. Comment procédez- vous, au niveau de CIH Bank, pour la gestion de la donnée ?
I. E. A. : La donnée est mise au cœur de nos préoccupations, des systèmes transactionnels jusqu'aux dashboards et indicateurs clients. Nous la considérons effectivement aujourd'hui comme un actif stratégique auquel il faut donner une attention particulière.
Cela suppose d'avoir une vraie gestion de la qualité de la donnée, des responsabilités clairement définies pour les différents périmètres fonctionnels, et bien évidemment un organisme dédié à sa valorisation et sa promotion en interne : le Datalab.
D'un point de vue purement technologique, nous avons mis en place un ensemble d'outils qui permettent de rapprocher le monde de l'informatique et le monde du métier en promouvant le plus possible l'open data interne, dans la limite de la confidentialité et de la sensibilité de la donnée. Les algorithmes de l'apprentissage statistique permettent alors d'enrichir et de purifier la donnée pour lui donner une teinte plus proche de l'opérationnel.
Le but étant de transformer la donnée en information, puis en savoir, et de la réinjecter dans la banque sous diverses formes.
Au niveau organisationnel, avoir le réflexe data, c'est chercher tout de suite des chiffres qui vous permettent d'appuyer une décision, d'orienter une réflexion. Au-delà des outils, le plus important est de faire prendre conscience à nos collaborateurs que la banque est plus efficiente lorsque la donnée n'est plus considérée comme le sous-produit d'une activité bancaire, mais comme un moyen de piloter et cibler finement les actions entreprises ou à entreprendre.
F.N.H. : Le Big data apporte de nombreux bénéfices aux banques, mais son utilisation comporte des enjeux juridiques importants. Comment faites-vous face au défi réglementaire ?
I. E. A. : Le Big data est avant tout un ensemble d'outils qui permettent d'explorer la donnée sous des angles qui étaient jusque-là difficiles d'accès, tant techniquement que statistiquement.
Pouvoir extraire une information condensée et riche en enseignements d'un gros volume de données hétérogènes est aujourd'hui un avantage compétitif, mais aussi une responsabilité. Comme tous les outils, le Big data est fondamentalement neutre, mais l'usage qui en est fait doit être moral, respectueux de la vie privée du client et doit lui permettre d'accéder plus simplement à des produits et services dont il pourrait avoir besoin au moment idoine.
Réglementairement, nous sommes soumis au secret bancaire qui est une protection absolue de la donnée du client. En termes d'utilisation, la donnée client est utilisée afin d'améliorer nos services et produits, et donc, in fine, servir le client de manière plus intelligente et moins invasive.
Le Big data décuple les possibilités d'analyse de données, mais cette puissance doit toujours être régulée par une déontologie stricte et éclairée. ■
par Y. Seddik