Editorial de The Economist, Octobre 3-9, 2020, traduit de l’anglais par Lahcen Haddad
Les deux candidats à la présidentielle se sont affrontés cette semaine lors du
premier débat avant le vote de l'Amérique le 3 novembre. Le président Donald Trump a décidé d'en faire une bagarre, en lançant même une attaque sur la validité du processus électoral lui-même. Joe Biden a passé la soirée à piquer M. Trump pour avoir mis le pays à genoux. Et le président est allé pour ce qu'il espérait être le coup de grâce, accusant son adversaire d’être un homme faible qui succomberait aux plans de la gauche, notamment les desseins de celle-ci d’étendre considérablement le gouvernement et paralyser les entreprises.
La peur d'un tel virage à gauche sous M. Biden circule parmi certains chefs d'entreprise américains. Cependant, l'accusation est largement hors de propos. M. Biden a rejeté les idées utopiques de la gauche. Ses propositions fiscales et de dépenses sont raisonnables. Elles n'impliquent qu'un État légèrement plus grand et tentent de faire face aux véritables problèmes auxquels l'Amérique est confrontée, y compris les infrastructures de mauvaise qualité, le changement climatique et les problèmes des PMEs. En fait, le défaut des plans de M. Biden est qu’au niveau de certains domaines il ne va pas assez loin.
Lorsque M. Trump a pris le pouvoir en 2017, il espérait libérer le esprits agressifs et créateurs de l'entreprise en offrant aux patrons une ligne directe à la Maison Blanche et en réduisant les formalités administratives et les taxes.
Avant covid-19, des aspects de ce plan fonctionnaient, aidés par une politique souple de la Réserve fédérale. La confiance des petites entreprises était à un niveau positif jamais vu depuis 30 ans ; les indicateurs de la bourse étaient tout le temps au vert ; et les salaires du quartile le plus pauvre des travailleurs augmentaient de 4,7% par an, le rythme le plus rapide depuis 2008. Les électeurs classent l'économie comme une priorité et, n’était-ce pour le virus, ces records auraient peut-être suffi à le réélire.
Pourtant, en partie à cause de la pandémie, les échecs de M. Trump sont également devenus plus prononcés. Les problèmes à long terme se sont aggravés, notamment une infrastructure en ruine et un filet de sécurité sociale non-viable. Le dynamisme sous-jacent des affaires demeure faible. L'investissement est modéré et moins d'entreprises ont été créées même si les grosses ont gagné du poids. Le style chaotique de M. Trump, faisant honte publiquement aux entreprises et ses attaques contre l'état de droit sont des taxes supplémentaires sur la croissance. La déréglementation s'est transformée en un feu de joie insoucieux des règles. La confrontation avec la Chine a donné peu de concessions, tout en déstabilisant le système commercial mondial.
En tant que 46ème président, M. Biden trouverait des solutions à certains de ces problèmes simplement en étant un administrateur compétent qui croit aux institutions, tient compte des conseils et se soucie des résultats. Ces qualités seront nécessaires en 2021, car il est fort probable que 5 millions de personnes soient confrontées au chômage de longue durée et que de nombreuses petites entreprises soient poussées à la faillite. La priorité économique de M. Biden serait d’adopter un énorme projet de loi de «reprise», d’une valeur peut-être de 2 à 3 mille milliards de dollars, selon si le plan de relance discuté ces jours-ci passe au Congrès avant les élections. L’arsenal devrait inclure de l’argent à court terme, le renforcement de l'assurance-chômage et une aide aux états et gouvernements locaux, confrontés à des trous budgétaires énormes.
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M. Biden accorderait également des subventions ou des prêts aux petites entreprises qui n'ont pas reçu autant d'aide que les grandes entreprises. Il apaiserait les tensions avec la Chine, calmant ainsi les marchés. Et si un vaccin est trouvé, son approche coopérative plutôt que transactionnelle des relations internationales rendrait la distribution mondiale de ce vaccin plus facile et permettrait aux frontières de rouvrir et au commerce international de récupérer plus rapidement.
Le projet de loi de relance viserait également à « reconstruire en mieux » en se concentrant sur certains problèmes chroniques de l'Amérique qui ont également été des priorités de M. Biden pendant de nombreuses années.
Il tient à créer un boom des infrastructures géantes et respectueuses du climat pour corriger des décennies de sous-investissement : l’âge moyen d’un pont aux USA est de 43 ans. La R&D publique est passé de 1,5% du PIB en 1960 à 0,7% aujourd'hui, alors que la Chine pose un sérieux défi à la science américaine.
M. Biden inverserait cela aussi avec plus de R&D en énergie renouvelable et en technologie. Il supprimerait les dures restrictions de M. Trump en matière d'immigration, qui sont une menace pour la compétitivité du pays. Il veut également élever le niveau de vie de la classe moyenne et faciliter la mobilité sociale. Cela signifie plus des dépenses dans les domaines de l’éducation, de la santé et du logement, et un salaire minimum de 15 $ par heure, aidant ainsi 17 millions de travailleurs qui gagnent moins aujourd'hui.
Ce n’est guère l’agenda d’un socialiste. M. Biden a ignoré les fantasmes panglossiens de la gauche, dont Medicare For All, l’interdiction de l'énergie nucléaire et des emplois garantis pour tous. Ses plans sont de taille et de portée modérées, s'ajoutant à une augmentation annuelle de dépenses publiques de 3% du PIB, en supposant qu'elles pourraient toutes passer l’examen du Sénat. Cela n’a rien à avoir avec les 16 à 23% proposées par Elizabeth Warren et Bernie Sanders. Il augmenterait les impôts pour payer environ la moitié des dépenses approuvées, avec des prélèvements plus élevés sur les entreprises et les riches. Même si tout son plan fiscal est adopté, ce qui est peu probable, des études suggèrent que les bénéfices des entreprises après l’IS peuvent baisser de 12% et le revenu des hauts salariés de 14% . Si vous êtes riche c’est un manque à gagner, mais pas une catastrophe.
Le vrai risque de Bidenomics est que son pragmatisme le conduise à être insuffisamment audacieux. Parfois, il ne parvient pas à résoudre ses objectifs contradictoires. Par exemple, il soutient à juste titre les échelles
pour la mobilité sociale ainsi qu'un meilleur filet de sécurité pour les travailleurs qui perdent leur emploi; ses plans vont du logement plus abordable aux universités publiques gratuites. Mais équipé de ces tampons de sécurité, il devrait être prêt à accueillir des destructions plus créatives afin d'élever les normes de vie à long terme. Au contraire, M. Biden est prêt à protéger les entreprises et il n’a pas grand-chose à dire sur le renforcement de la concurrence, y compris la valorisation des monopoles à technologie ouverte. Les entreprises en place et les initiés exploitent souvent des réglementations complexes comme une barrière à l'entrée. Ses plans sont enveloppés de paperasse et de bureaucratie.
Renforcer les alliances commerciales
La politique climatique de M. Biden représente un réel progrès. Mettre en place les réseaux d'énergie verte et les réseaux de charge a du sens car le secteur privé pourrait être réticent. Mais, encore une fois, son effet sera émoussé par la règle selon laquelle 40% des dépenses doivent favoriser les communautés défavorisées et par des avantages pour les fournisseurs nationaux : une recette pour l'inefficacité. Son plan de réduction des émissions implique des objectifs, mais évite une taxe sur le carbone qui exploiterait la force des marchés des capitaux pour réaffecter les ressources. C'est une opportunité manquée. Le mois dernier, la Business Roundtable, représentant les entreprises américaines, a déclaré qu'elle soutenait la tarification du carbone.
Ce manque d'audace reflète également le manque d'une stratégie
en bonne et due forme. M. Biden a un record en tant que promoteur du libre-échange entre les nations, mais il ne supprimera pas les tarifs rapidement et son plan se livre à du protectionnisme petit en insistant, par exemple, pour que les marchandises soient expédiées sur des navires américains. Cela compliquerait la tâche ardue qui l'attend : créer un nouveau cadre pour régir la relation économique avec la Chine, ce qui implique de persuader les alliés des Etats Unis de s’inscrire dans la mêle approche même s'ils flirtent avec le protectionnisme.
C'est la même chose avec la politique budgétaire. À son crédit, M. Biden veut payer une partie de ses dépenses - une nouveauté de nos jours. Néanmoins, d'ici 2050, la dette publique est en passe d'atteindre près de 200% du PIB. Il y a peu de raisons de s'inquiéter maintenant, alors que les taux d'intérêt sont proches de zéro et la Fed rachète la dette publique. Mais l'Amérique gagnerait davantage si le prochain président relèverait ce défi à long terme. Cela signifierait commencer à construire un consensus plus dur sur les dépenses sociales galopantes et sur la nécessité de mettre en place une assiette fiscale durable.
M. Biden doit encore gagner en novembre, son ambiguïté est donc compréhensible. Mais il y a un risque qu'il suppose que la victoire et un retour à la croissance et à la compétence suffiront à mettre les Etats Unis sur le bon chemin. S'il veut renouveler l'économie américaine et s'assurer qu'il mène le monde riche pour les décennies à venir, il devra être plus audacieux que cela. Au seuil du pouvoir, il doit être plus impitoyable au sujet de ses priorités et plus profond et novateur dans sa vision