Par Y. Seddik
Contraintes par les normes réglementaires, en l’occurrence IFRS 9, les banques marocaines ont dû massivement provisionner en 2020. L’application de cette norme ayant un effet procyclique (conçue aussi pour être prospective : Forward Looking), le secteur est alors structurellement impacté par les hauts et bas des cycles économiques. Le cycle actuel n’étant clairement pas favorable, la charge de risque du secteur s’est envolée vers des proportions jamais atteintes. Ceci, alors même que la Banque centrale a assoupli les règles prudentielles, notamment en autorisant de surseoir au provisionnement des crédits qui ont fait l’objet d’un moratoire de paiement par les banques.
Révélateur des préjudices économiques que pourrait provoquer a posteriori la pandémie, le coût du risque (CR) enregistre une augmentation de 243%, se fixant à 5,5 milliards de DH chez Attijariwafa bank. Ce montant est de 6,1 milliards de DH, en progression de 139% pour la Banque Centrale Populaire. Chez CIH Bank, le coût du risque en consolidé s'établit à près de 1 milliard de DH, affichant la progression la plus rapide d’une année à l’autre à 298,8%.
Le taux du coût du risque est de 1,51% contre 0,45% une année auparavant. Les autres banques cotées ne font pas mieux : le CR progresse de 124,7% et pèse pour 722 MDH sur les comptes de Crédit du Maroc, alors que BMCI fait état d’un CR de 901 MDH, en augmentation de 104,7%. La détérioration soudaine de la conjoncture économique ainsi que l’augmentation attendue des taux de défaut (voir encadré) ont ainsi imposé des provisionnements élevés sur l’année.
Pour mémoire, l’agence S&P prévoyait en décembre dernier «que la politique de provisionnement s'allège au deuxième semestre 2020 et 2021, atténuant de fait la pression sur la rentabilité. En face, la qualité des actifs (prêts : ndlr) pourrait se détériorer considérablement à mesure que le processus de report d'échéance de crédits arrive à terme». Une situation qui pourrait conduire les banques à resserrer les conditions de financement et à se concentrer sur les prêts existants.
Les mécanismes de garantie pèsent
La mise en place fin mars des prêts garantis par l’Etat a conduit les banques à octroyer de nouveaux crédits dont elles doivent supporter le risque financier de l’exposition non garantie, qui se situe entre 5 et 20% selon les produits proposés par la CCG. Toutefois, cette forte hausse des crédits accordés aux entreprises ne correspond pas à une reprise économique, mais sert à financer les pertes liées à la crise, surtout pour le produit Damane Oxygène. Dès lors, même si les banques disposent d’une garantie de l’État pour la majorité de ces nouvelles expositions, leur risque est très élevé sur la partie résiduelle. D’autant plus qu’elles n’ont théoriquement pas l’autorisation de prendre des garanties ou des sûretés sur cette exposition. Notons qu’à elle seule, Attijariwafa bank a débloqué 22,6 milliards de DH dans ces crédits garantis en 2020.
Une profitabilité rongée
Face à une crise sans précédent, les banques marocaines ont préféré opter pour une politique de provisionnement anticipatif et prudent, au risque de saper (momentanément) leur rentabilité, comme elles l’ont toutes indiqué dans leur communication financière. En effet, les banques ont fortement augmenté leurs provisions pour risque de crédit cette année.
Des charges de risque (en plus des dons au Fonds Covid) qui ont consommé en moyenne 63% de leur résultat opérationnel, niveau bien au-dessus des moyennes historiques (25% en 2019). Les deux mastodontes du secteur, Attijariwafa bank et BCP, affichent des bénéfices en baisse de 48,1% et 59% respectivement à 3 milliards de DH et 1,2 milliard de DH. L’effet croisé de l’augmentation soudaine des risques avec la baisse de la marge d’exploitation a fait pression sur le résultat net de CIH Bank (-81,1%), BMCI (-76%) et CDM (-62,6%).