Affaire Samanah Country Club : Une sombre affaire de tripatouillage des comptes

Affaire Samanah Country Club : Une sombre affaire de tripatouillage des comptes

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Le rapport de l’expert judiciaire désigné par le tribunal met en cause les opinions des commissaires aux comptes.

L’expert est formel sur ce point : les comptes de Marprom au 31 décembre 2010 sont bourrés d’irrégularités et ne reflètent pas la situation réelle de la société. A vrai dire, à cette date, elle affichait une situation nette négative de 297 MDH.

Marprom, qui a violé les termes de la convention d’investissement signée avec l’Etat marocain en 2006, était en situation de cessation de paiement depuis 2009.

 

 

L'affaire Samanah Country Club n’a pas fini de livrer tous ses secrets. Comme nous l’avions déjà annoncé dans ces colonnes, ce projet immobilier d’envergure est terni par une sombre affaire d’escroquerie et de tripatouillage de comptes dans laquelle seraient impliqués les initiateurs du projet, notamment le Groupe Alain Crenn et ses associés, Richard Hennessy et Gilles Hennessy (www.financenews.press.ma). Procès-verbaux antidatés, rapports d’audit contradictoires, comptes falsifiés… : un véritable maquis financier qui fait que décrypter cette affaire, sans risque de se tromper, n’est pas simple. Il faut forcément être rompu aux rouages de la finance pour comprendre, un tant soit peu, le montage qui a permis la cession de la société Marprom (chargée de réaliser le projet Samanah) aux nouveaux repreneurs de cette affaire. Raison pour laquelle d’ailleurs, suite à la plainte déposée par ces derniers à Marrakech et à Paris, et afin de démêler les ficelles de cet imbroglio financier, un expert judiciaire a été désigné par le tribunal de Marrakech. Et son rapport de diagnostic financier et juridique de la société Marprom SA au 31 décembre 2010, dont Finances News Hebdo a pu se procurer une copie, révèle des faits ubuesques. 

 

Des manquements notoires

Il ressort du rapport de l’expert qu’il existe des états financiers en deux versions. Ainsi, les comptes de la société aux 31/12/2010, tels qu’arrêtés par le Conseil d’administration du 20 mai 2011 et approuvés par l’Assemblée générale du 29 juin, dégagent des capitaux propres de 61,4 MDH, dont une perte de 13 MDH, et un total bilan de 1.694 MDH. Mais une première version des comptes 2010 fait état de capitaux propres de 21 MDH, dont une perte de 11 MDH et un total bilan de 1.653 MDH. Et c’est cette version initiale des états financiers qui a fait l’objet de la déclaration fiscale au titre de l’exercice 2010. «Nous ne disposons pas de déclaration fiscale rectificative», note le rapport qui soulève par ailleurs une série d’observations...  cocasses. 

Ainsi, en l’absence de la matérialisation de la convocation de l’AG, l’expert ne peut se prononcer sur sa date effective. De même, le CA du 20 mai 2011 et l’AGO du 29 juin 2011 évoquent la démission du commissaire aux comptes KPMG. «Nous n’avons pas pu disposer de la lettre de démission afin de l’analyser au regard des dispositions prévues par la loi sur les sociétés anonymes (article 179 bis) et aux règles professionnelles en la matière», précise l’expert. Il faut savoir, à ce titre, que le commissaire aux comptes ne peut démissionner pour se soustraire à ses obligations légales relatives notamment à la procédure d'alerte, la révélation de faits délictueux au procureur de la République, la déclaration de sommes ou d'opérations soupçonnées d'être d'origine illicite  et à l'émission de son opinion sur les comptes.

Il ne peut non plus démissionner dans des conditions génératrices de préjudice pour la personne ou l'entité concernée : il doit pouvoir justifier qu'il a procédé à l'analyse de la situation.

Plus troublant encore, contrairement aux dispositions des normes professionnelles en la matière, les commissaires aux comptes ont établi deux rapports d’opinion séparés. En effet, souligne l’expert, il y a d’abord «KPMG, avec une incapacité de se prononcer (formulation non-conforme) datée du 5 juillet». Les comptes audités par KPMG laissent apparaître des capitaux propres et assimilés de 20,5 MDH, dont une perte de 10,7 MDH : «il s’agit en fait de la première version des états financiers», indique le rapport d’expert. Il y a ensuite, le «Cabinet DEK, avec une certification sans réserves datée du 1er juin 2011». Les capitaux propres et assimilés dégagés par les comptes audités par DEK sont de 61,4 MDH, dont une perte de 13,2 MDH : «C’est la deuxième version des états financiers», souligne l’expert qui précise qu’«il semble que le rapport de DEK est antidaté». 

En outre, l’AGO a omis de mentionner que la situation nette de la société est inférieure au quart du capital social, tel qu’exigé par l’article 357 de la loi relative aux sociétés anonymes.

 

Des comptes loin de la réalité

C’est la conclusion à laquelle a abouti l’expert judiciaire qui estime que les comptes de la société Marprom au 31 décembre 2010 «ne traduisent pas une image fidèle et sincère de la situation de la société à cette même date». Il juge également que les opinions des commissaires aux comptes qui, pour l’un (DEK) certifie sans réserves et, pour l’autre (KPMG), ne se prononce pas, «ne sont pas fondées, eu égard à l’importance significative des réserves évoquées et aux autres faits non mentionnés dans leurs rapports». 

En outre, l’expert judiciaire met en relief plusieurs aberrations qui soutiennent la thèse d’un tripatouillage des comptes. Surestimation de certains produits, défauts de provisionnement, valorisation fictive de certaines immobilisations, surestimation des stocks, non respect des principes comptables… sont, en effet, autant de faits démontrés par le rapport. Des faits qui ont des implications juridiques, d’autant qu’il y a non respect de la convention d’investissement signée avec le gouvernement marocain en date du 3 mars 2006, en particulier les dispositions relatives aux engagements de Marprom. A ce titre, révèle le rapport, outre le non-respect des dispositions légales attachées aux conventions réglementées, «l’assemblée générale extraordinaire du 8 juin 2009 a décidé la réduction du capital de la société de 150 à 100 millions de dirhams, bien que la convention d’investissement précise dans son article 3 que le capital de la société doit être de 150 millions de dirhams».

L’irrégularité et la non sincérité des comptes sont d’ailleurs les motifs invoqués par le CDVM, dans son courrier du 24 novembre 2010, pour justifier son refus de valider le dossier d’information relatif à l’émission par Marprom de billets de trésorerie. A juste titre d’ailleurs, d’autant que les ajustements faits par l’expert aboutissent à «une situation nette négative de 297 MDH». Autrement dit, «la situation nette de la société Marprom au 31 décembre 2010 est surestimée d’au moins 349 MDH». Cela, en plus d’autres ajustements qui ne peuvent être évalués.

 

Cessation de paiement

En raison justement de tous ces ajustements, «les états de synthèse devraient faire apparaître des pertes cumulées supérieures aux trois quarts du capital social (situation nette négative)», conclut l’expert. Ce qui rend incertaine la continuité de l’exploitation, d’autant plus que plusieurs facteurs accréditant cette thèse sont apparus en 2010 et avant : retards conséquents de livraison, litiges, désistements, et inscriptions sur le titre de propriété du terrain compromettant toute finalisation des opérations de vente; difficultés de trésorerie; difficultés d’accès au financement; incapacité de terminer les travaux de la tranche 1; non respect des clauses de la convention d’investissement.

A cela, s’ajoute la cessation de paiement avec notamment un passif qui dépasse l’actif de la société au 31 décembre 2010. La situation de la société selon les données comptables, avec prise en compte des ajustements chiffrés et dans la perspective de continuité d’exploitation, montre que «Marprom était en situation de cessation de paiement depuis 2009».

C’est clair, nous sommes en face d’un scandale grossier qui est loin d’avoir livré toutes ses vérités. Et, pour sûr, certains intervenants dans ce projet risquent d’y laisser des plumes. Si ce n’est déjà fait. En tout cas, nous suivons les développements de cette affaire de près.  

 

D. W. & H. A.  

 
 

Quelques observations faites par l’expert judiciaire sur les comptes arrêtés au 31/12/2010

- Les droits de jeu attachés au golf sont comptabilisés sans prendre en compte la date effective de la vente des villas, impliquant ainsi une surestimation des produits de 24,6 MDH. En effet, l’interprétation des clauses contenues dans le bulletin de réservation de droit de jeu permet de conclure que le produit d’exploitation n’est certain qu’à la livraison de la villa.

- La société est en litige ou pré litige avec plusieurs fournisseurs. Les risques attachés à cette situation ne peuvent être estimés au 31 décembre 2010.

- Les titres de participation détenus par la société dans la Samanah Hôtels ne sont pas provisionnés pour un montant de 49 MDH. Il en est de même des comptes courants de Marprom dans les livres de « Samanah Hôtels » d’une valeur de 6 MDH. En l’absence de prévisions propres à la filiale Samanah Hôtels, la valeur des titres de participation de cette société dans les comptes de Marprom ne peut être appréciée.

- Les comptes de stocks enregistrent des composantes ou des charges devant être immobilisées pour une valeur estimée à 36 MDH. 

- Les stocks enregistrent des charges liées à des villas déstockées pour une valeur de 22 MDH. 

- Les redressements des stocks arrêtés au 31 décembre 2012 et remontant à 2010 et antérieurs sont estimés à 25 MDH. 

- Les stocks incorporent les charges commerciales (charges marketing et commissions des apporteurs), ainsi que les charges administratives pour respectivement 144 MDH et 78 MDH, ce qui est contraire aux dispositions comptables relatives à la valorisation des stocks. Les stocks et la situation nette sont ainsi surestimés pour autant…

- Les comptes d’états débiteurs enregistrent un crédit de TVA pour un montant de 47,7 MDH. Aucune procédure n’a été engagée pour la demande de remboursement de cette TVA. L’impact d’une telle situation et les risques de perte du crédit de TVA ne peuvent être estimés.

- Le compte de régularisation passif enregistre un solde non justifié pour 62 MDH relatif à la reprise du transfert effectué en 2007 par MARPROM à Samanah Hôtels d’une partie des coûts du terrain, des études de viabilisation du terrain et d’autres frais. L’opération, telle qu’elle a été comptabilisée en 2007, ne respecte pas les principes comptables…

 

 

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