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Selin Özyurt : «La promotion des femmes dans les études scientifiques est capitale pour leur émancipation»

Selin Özyurt : «La promotion des femmes dans les études scientifiques est capitale pour leur émancipation»

Selin Özyurt, économiste senior responsable des études économiques sur la France et le continent africain, nous livre dans cet entretien les détails de son parcours et ce qui l’a poussé à faire le choix de se spécialiser dans le domaine de la finance et l’économie. Elle nous explique aussi les prochains défis à relever pour les futurs étudiants voulant se spécialiser dans les domaines précités.  

 

 

Propos recueillis par Badr.C

 

Finances News Hebdo : Tout d’abord, en quoi consiste votre poste actuel ?  

Selin Özyurt: Chez Euler Hermes-Allianz Research, j’occupe actuellement le poste d’économiste senior responsable des études économiques sur la France et le continent africain. Dans ce cadre, je conduis le suivi économique de mes régions et je prépare les scénarios prospectifs et les prévisions macroéconomiques. Je suis également chargée de la notation des risques pays de mes régions. Outre le risque secteur, la notation du risque pays est un élément déterminant de la tarification des produits d’assurance que nous proposons. Finalement, je produis des études sur diverses questions économiques qui sont publiées sur notre site Internet (www.allianz.com/en/economic_research.html).

 

F.N.H : Qu’est-ce qui vous a motivé à faire carrière dans le domaine de la veille économique et de la finance ?

S.Ö : Dans les années 1990, je vivais à Istanbul et j’étais au collège. Cette période était particulièrement tumultueuse car l’économie turque était marquée par des taux de croissance extrêmement volatils, une inflation élevée et un endettement public difficilement maîtrisable. Ainsi pendant mon adolescence, l’économie était devenue un sujet de grand intérêt (dans le cadre de multiples arrangements avec le FMI), représentant à la fois beaucoup d’espoir et de déceptions pour les Turcs. Je me souviens bien d’avoir décidé d’étudier l’économie et la finance pour arriver à comprendre ces enjeux-là. Finalement, la grande crise économique et monétaire turque de 2000/2001 est survenue alors que je venais juste de commencer mes études universitaires en économie. 

Une autre problématique qui me fascinait, était le développement économique : je voulais comprendre pourquoi certaines économies étaient pauvres depuis toujours et ce qu’il fallait faire pour qu’elles prospèrent. D’ailleurs, pour ma thèse de doctorat, j’ai choisi comme sujet le développement économique de la Chine par une stratégie basée sur les exportations et les investissements étrangers, l’un des rares succès économiques de l’époque contemporaine. 

 

F.N.H : Le fait que ce soit un métier où il y a une prédominance masculine n’a-t-il pas posé pour vous des difficultés ?

 S.Ö : Personnellement, je n’ai pas rencontré de grandes difficultés liées à la prédominance masculine durant mes études et dans mes différentes fonctions. En revanche, je suis fortement persuadée que la sous-représentation des femmes, non seulement dans les domaines de l’économie et de la finance mais aussi dans les autres domaines scientifiques, posent de graves problèmes à notre société. La promotion des femmes et également des minorités sociales dans les études scientifiques est capitale pour permettre leur émancipation et leur donner plus de liberté dans leurs choix de carrière. Mais les gains ne s’arrêteront pas au niveau des individus. Avoir plus de diversité dans les postes de responsabilité apporterait sans doute une plus grande richesse de points de vue et réduirait le risque d’une pensée unique. Je ne peux m’empêcher de me demander à quoi ressemblerait notre monde d’aujourd’hui s’il intégrait davantage de diversité (femmes, minorités, etc.) dans de nombreux domaines-clés comme l’économie, la finance, la défense, l’environnement ou le spatial. La liste des domaines qui bénéficieraient d’une plus grande diversité est très longue. Les études scientifiques conduisent à des métiers de demain à forte valeur ajoutée, tels que la finance, la technologie, le digital, l'intelligence artificielle et la recherche fondamentale. Ainsi, pour mieux construire notre destin commun, il ne faudrait laisser personne à l’écart de ces domaines, car ce sont ces métiers qui vont modeler le monde de demain. 


 

F.N.H : Dans le détail, quel a été votre parcours ?

S.Ö : Mon parcours s’est dessiné au fur et mesure, en fonction des coïncidences et des affinités que j’ai pu développer. Après avoir terminé le lycée à Istanbul, je suis arrivée en France à Montpellier pour commencer mes études universitaires. Par la suite, j’ai continué par un Master d’économie internationale à l’Université de Paris Dauphine. A la fin de mon Master, j’ai obtenu une allocation de recherche pour poursuivre mes études doctorales à Paris Dauphine et en parallèle, j’ai commencé mon activité d’enseignement universitaire. Après ma thèse, tandis que je me lançais vers un parcours académique classique, j’ai obtenu une bourse post-doctorale du Prof. Robert Solow (récipiendaire du Prix Nobel d’économie). J’ai ainsi rejoint la BCE temporairement pour mon projet de recherche post-doctoral.

La crise de la dette de la zone Euro est arrivée pendant ce temps-là. Finalement, j’ai rejoint la BCE par le Graduate Program et j’ai travaillé dans différents départements (Politiques internationales, Conjoncture économique - desk France, Balance de paiements, Recherche, Statistiques et stabilité financière). Fin 2017, je suis retournée en France pour prendre un poste d’économiste risque pays à l’Agence française de développement (AFD). Conduire des missions économiques dans différents pays du monde pour la notation de leurs risques a été une expérience très enrichissante. Enfin, début 2020, j’ai eu la chance d’intégrer Euler-Hermes-Allianz Research dans mon poste actuel d’économiste senior, responsable des études économiques sur la France et l’Afrique. 

 

F.N.H : Vous êtes aussi professeur, que dites-vous aujourd’hui à vos étudiants et stagiaires qui souhaitent évoluer dans le domaine de l’économie et de la finance ? Et comment les encouragez-vous ?

 S.Ö : Notre métier se transforme et se réinvente à une vitesse stupéfiante par le big data, le machine learning, l’intelligence artificielle et la puissance de calcul toujours plus grande des ordinateurs. Pour ceux et celles qui veulent faire partie de ce changement, il est à mon avis essentiel de renforcer au maximum ses compétences techniques. Par la suite, après avoir acquis de bonnes bases théoriques et techniques, garder un esprit curieux et développer de bonnes intuitions fera également une grande différence. Un des aspects fascinants de notre profession est sa multidisciplinarité. Je suis persuadée que s’intéresser à d’autres domaines en dehors de l’économie et de la finance, nous permet de mettre nos sujets d’étude en perspective et ne pas perdre de vue l’essentiel. Parfois, les lois de la physique, de la biologie ou des différents domaines d’ingénierie peuvent venir à notre aide pour apporter des réponses pertinentes aux problèmes économiques. 

 

 

 

 

 

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