Au début du mois, Kristallina Georgieva, Directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), avait prévenu : les perspectives de croissance au niveau mondial s’assombrissent. Cela se confirme, avec la publication par le FMI de nouvelles perspectives de croissance, en deçà ce qui était attendu auparavant.
Au mois de janvier, on espérait une croissance mondiale de +4,4% pour cette année, au mois d’avril, cette prévision fut revue à la baisse à +3,6%. Encore une fois la prévision est dégradée, cette fois-ci à +3,2%. Même son de cloche pour l’année prochaine : nous sommes passés de +3,8% au mois d’avril à +2,9% cette fois-ci. Il s’agit là du scénario central. Dans le scénario pessimiste, la croissance mondiale baisserait davantage à seulement +2,6% en 2022 et +2% en 2023; le fonds rappelle «que la croissance mondiale est tombée» en dessous de 2% à seulement 5 reprises depuis les années 70», c’est dire la gravité que requiert la situation.
Derrière ces prévisions, un paquet de facteurs négatifs, dont certains se sont déjà réalisés, et d’autres qui commencent à peine à se faire sentir. Concernant les poids que l’on ressent déjà, se trouve le choc sur les prix des matières premières - aussi bien énergétiques qu’agricoles - ressenti à travers le monde après le déclenchement du conflit entre la Russie et l’Ukraine. Le FMI évoque «une crise mondiale du coût de la vie qui ne fait qu’empirer». Partout l’inflation atteint des sommets, le FMI a revu à la hausse ses prévisions d’inflation en les augmentant de +1% à 8,3% pour 2022 et 5,7% pour 2023; l’inflation devrait atteindre un pic au troisième trimestre 2022 avant de commencer à diminuer graduellement à partir du quatrième trimestre. Cette forte inflation pénalise le pouvoir d’achat, et provoque un mécontentement social (la Banque mondiale estime que 71 millions de personnes sont sur le point de basculer vers l’extrême pauvreté en raison de cette situation).
Le deuxième lot de mauvaises nouvelles vient du resserrement porté par les principales Banques centrales. Aux Etats-Unis, en Europe, en Angleterre, et dans plusieurs pays émergents tels que l’Afrique du Sud ou le Brésil. Les Banques centrales des économies avancées espèrent deux miracles : lutter contre l’inflation en augmentant leurs taux directeurs, et augmenter leurs taux de façon très graduelle de sorte à ne pas freiner la dynamique sur le marché du travail et ralentir la demande. Malheureusement, aucun de ces deux miracles ne se produira. Le problème de l’inflation est qu’elle est importée (et due à un choc au niveau de l’offre); la hausse des taux n’y fera pas grand-chose. Elle la baissera de façon modérée mais à quel prix ? Celui d’un ralentissement certain de la demande, pour ne pas dire de récession, même si plusieurs économistes commencent à évoquer très sérieusement le sujet.
Les Banques centrales des économies émergentes sont dans une autre configuration. Leurs économies sont impactées par la remontée brutale du Dollar suite au resserrement monétaire de la FED. Elles visent à freiner les fuites de capitaux attirés par des rendements obligataires américains de plus en plus attractifs, et par là même, à défendre leur taux de change. En effet, la dégringolade des monnaies locales face au Dollar se transforme en une source supplémentaire d’inflation importée pour les économies émergentes. Comme si la hausse du blé et du carburant n’était pas suffisante…Ces pays prennent des mesures préventives pour ne pas être les victimes d’une crise de la dette lors de ce cycle de resserrement. Dans leur arsenal, des interventions pour gommer les anomalies sur le marché des changes, et au pire, des mesures de contrôle des capitaux. Plusieurs économies émergentes semblent fragiles en raison de deux facteurs : d’une part, les niveaux d’endettement élevés, et d’autre part, le coût de la dette qui devient important (on estime à présent que les taux ont dépassé les 10% pour près d’un tiers des dettes souveraines émergentes, des niveaux très élevés).
Un autre facteur négatif que le FMI a pris en considération dans ses prévisions, tient à un resserrement des livraisons de gaz russe aux Européens. Cette semaine, la Russie vient d’annoncer de nouvelles coupes de ses livraisons via Nord Sream 1 en citant «des problèmes d’entretien des turbines». Elle a décidé de baisser ses livraisons de -50% par rapport au niveau actuel; le pipeline ne livre plus qu’à hauteur de 20% de sa capacité réelle. Immédiatement, les prix du gaz naturel ont bondi de +20% pour atteindre un pic sur les cinq derniers mois; ils sont à présent cinq fois supérieur sur une année glissante, de quoi peser massivement sur la croissance. Et surtout, de quoi créer beaucoup de doutes à l’approche de l’hiver. La Commission européenne a enfin réussi à trouver un compromis européen sur le « Plan Energie» qui prévoit un rationnement de consommation, après que les premières versions aient été refusées par de nombreux pays. Au final, la commission prévoit une baisse de -15% de la consommation en cas de pénurie grave cet hiver. L’Europe annonce même «être désormais capable d’affronter une coupure totale des livraisons», en puisant dans ses réserves de stockage. Les experts énergétiques annoncent que si tel était le cas, une crise majeure se profilerait dès lors à l’horizon, pour l’hiver suivant en 2023.
La Chine traverse également une conjoncture difficile : la politique de zéro Covid se poursuit. Les exemples sont multiples : certains quartiers à Shanghai ont été reconfinés alors que la ville venait à peine d’être déconfinée; Macao vit son premier confinement depuis le début de la pandémie; à Wugang, une importante ville sidérurgique, 320.000 habitants ont été confinés pendant 3 jours après la découverte d’un seul cas positif… Au total, selon les estimations de la banque Nomura, 250 millions de personnes font actuellement l’objet de restrictions de déplacements.
La véritable question qui se pose à présent, est jusqu’à quand les Banques centrales poursuivront leur cycle de resserrement ? Les analystes de BNP Paribas par exemple, annoncent que les taux vont atteindre un maxima en janvier avant de commencer à baisser par la suite. Ce scénario va dans le sens de Banques centrales qui prendraient peur face au risque réel de récession début 2023, puis décideraient de renverser le resserrement (ou du moins de le temporiser).
L’économie marocaine a connu un fort rebond en 2021 avec une croissance réelle de +7,2%. Au mois d’avril, le FMI prévoyait une croissance de +1,1% pour cette année. La mise à jour des prévisions du FMI au mois de juillet n’a pas couvert l’ensemble des pays : les prévisions nationales n’ont pas encore été réactualisées; elles le seront en octobre. Entre-temps, si on prend en compte le fait que la prévision de croissance mondiale a été rabaissée de -0,4%, la croissance nationale va sans aucun doute passer en dessous de la barre des 1%. Bank Al-Maghrib a pris de l’avance en annonçant dès le mois de mars une croissance à +0,7%. Le rebond attendu pour 2023 est de +4,6% selon le FMI.
Par Omar Fassal