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«Les critiques envers BAM sont injustes et excessives»

«Les critiques envers BAM sont injustes et excessives»

 Le Plan de relance économique sera calibré à l’aune des ambitions du pays et à la taille de ses moyens.

 Larabi Jaïdi, économiste et Senior Fellow au Policy Center for the New South, livre une analyse exhaustive sur la politique monétaire menée par la Banque centrale pendant cette période de crise.

 

Propos recueillis par M. Diao

 

Finances News Hebdo : A l’état actuel de l’économie nationale où la plupart des secteurs sont sinistrés, selon vous, le Plan de relance tant attendu doit-il être forcément massif afin de permettre le prompt redémarrage de la machine économique ?

Larabi Jaïdi : Avec l’épidémie de Covid-19 et le nombre d’entreprises en état d’arrêt d’activité partiel ou global que nous comptons malheureusement dans notre pays, le Maroc est entré dans une crise à la fois sanitaire, économique et sociale. Le fonds de solidarité a mis en place une série de mesures pour financer des mesures d’urgence. Un plan de relance est en préparation. Quel profil et quelle ampleur aura-t-il ? Le Comité de veille économique affûte ses armes en concertation avec les professionnels. Il faut leur faire confiance, ce sont des hommes – ou femmes- de terrain et de la décision, qui disposent des informations nécessaires pour établir l’état des lieux et proposer des scenaris au pouvoir politique. Le Plan sera calibré à l’aune de nos ambitions et à la taille de nos moyens. Nous savons qu’à l’étranger, nombreux sont les pays qui ont programmé des plans massifs. Mais à chaque contexte sa spécificité. Le Plan de relance national sera profilé en fonction de notre situation exante crise, de l’effet du choc causé à nos secteurs d’activité et nos entreprises, de scenaris alternatifs de relance, d’études d’impact des ressources affectées et de l’évaluation des moyens que nous pouvons mobiliser dans un horizon proche. Nos marges de manœuvre ne sont pas insignifiantes, mais elles sont limitées. Il n’y a pas de doute que le Comité de veille économique (CVE) cherche à booster l’économie pour sauver le maximum d’entreprises et d’emplois en agissant sur plusieurs claviers : prêts de garantie d’Etat avec des délais de remboursement appropriés, reconduction et renforcement du soutien aux entreprises mises en difficulté, aides au chômage partiel, commande publique, fonds dédiés, garanties aux prêts à court et moyen termes..

Le scenario le plus plus ambitieux, et surtout le plus efficace, est celui qui parviendra de matcher les besoins exprimés par les professionnels avec les prévisions du solde budgétaire de l’Etat, de la dette publique, des recettes des administrations publiques, des invariants des dépenses publiques (masse salariale, continuité des dépenses de fonctionnement essentielles...). C’est moins l’effet volume que l’effet qualitatif qui est important. Certes, cette crise pose la question de comment rebondir, créer des emplois et de la croissance, mais elle sera aussi un révélateur de nos capacités à gérer efficacement des ressources rares en une période inédite, c’est-à-dire à faire le bon dosage, l’arbitrage efficient dans l’affectation des aides. C’est notre défi de demain car, selon les premières évaluations des impacts de la crise découlant des enquêtes du HCP et de la CGEM, l’ardoise sera lourde. La demande en aides et en soutien sera élevée. Il n’y a qu’à consulter le Plan présenté par la CGEM dans sa double dimension transversale et sectorielle, à court terme et à moyen terme, pour avoir une idée des besoins en ressources pour une relance soutenue. Un peu partout dans le monde, les Plans de relance ont présenté des points communs : préservation du financement des entreprises par la fourniture de liquidités via les Banques centrales et par des garanties de crédit aux entreprises par les États. Ils ont divergé à propos des ménages et des salaires. Les Plans de relance qui semblent donner de meilleurs résultats sont ceux qui accordent une importance au soutien à l’emploi, à la compensation des pertes de revenus salariaux et non salariaux, à l’indemnisation du chômage, au renforcement de la cohésion sociale. Un plan qui couvre les dimensions économique et sociale de la crise. En ce sens, il serait souhaitable de consulter les syndicats sur cette question pour que le Plan de relance soit le plus consensuel possible. C’est une condition de sa réussite.

 

F.N.H. : Selon vous, quels sont les secteurs prioritaires à privilégier dans le cadre du Plan de relance économique ?

L. J. : L'épidémie du Covid-19 affecte de manière significative les secteurs et les entreprises du fait de la rupture des chaînes d'approvisionnement, d'annulations de commandes et de contrats de la part des clients liés notamment aux difficultés à organiser la continuité de la production en raison de l'impact de l'épidémie. La flotte aérienne clouée au sol, des usines industrielles à l'arrêt ou encore des hôtels et restaurants fermés jusqu'à nouvel ordre. Tous les secteurs d'activité ont été durement touchés par l'épidémie de coronavirus, faisant vaciller l'économie nationale. L’enquête du HCP a tracé le paysage : 89% des entreprises de l'hébergement et de la restauration en arrêt, 76% dans les industries textiles et du cuir, 73% dans les industries métalliques et mécaniques, 60% dans le secteur de la construction. A la lecture des données révélées par l’enquête du HCP, un certain nombre d’observations s’impose. Il ne faut pas que les mois à venir soient perdus pour l’écosystème dynamique du tourisme national, lequel couvre toute une série d’activités telles que les voyages, les transports, l’hébergement, l’alimentation, les activités de loisirs ainsi que la ulture. Pour nombre de régions et de villes, le tourisme est un élément essentiel du tissu économique et social d’emplois et de revenus pratiquement indispensables, souvent concentrés dans des régions dépourvues d’autres pôles d’emploi et ayant recours à des travailleurs peu qualifiés. Le secteur des transports s’attend à être confronté à une crise durable, le secteur aérien, en particulier, traverse une crise inédite dans son histoire, menaçant la survie de la RAM, et pourrait mettre beaucoup de temps à se relever. Au-delà des actions et mesures de court-terme, il faudra bâtir une stratégie de long-terme pour sauver durablement le pavillon national. Le secteur du transport de voyageurs est paralysé par la crise et il est à craindre que de nombreuses entreprises mettent la clé sous la porte si de nouvelles aides ne sont pas apportées. Face à la perspective d’une crise durable dans les transports, il y a un besoin d’un volet «transport» ambitieux dans le plan de relance. Les branches de l’activité industrielle sont aussi fortement touchées. Plombé par l’effet de la sécheresse et par la chute de la consommation due aux fermetures des cafés et restaurants, l’agro-industrie réclame des aides pour soutenir diverses activités. La filière de la pêche demande l'activation d'un dispositif de soutien à l'arrêt temporaire des navires pour aider les armements à passer le cap. Le textile doit retrouver les commandes perdues ou suspendues p ar les donneurs d’ordre, sachant que la saison d’été est déjà compromise. Dans les métiers mondiaux, la situation de l’automobile n’est pas celle de l’aéronautique, même si les écosystèmes ont résisté jusqu’à présent au choc de la crise. L’aéronautique mondiale est gravement secouée par l’immobilisation de la flotte aérienne et les chutes des commandes. L’automobile cherche un rebond, mais les constructeurs (Renault et Peugeot) sont dans des états de santé différents. La relance de la construction et du BTP peut avoir un effet plus immédiat sur l’emploi. Les aides financières, les produits mobilisés dans le cadre du programme d’urgence ont été reprofilés pour relancer l'activité des secteurs les plus en difficulté. Le Comité de veille économique met au point un plan de relance intégré et cohérent de l'économie nationale qui s'appuierait sur des plans de relance sectoriels. Je suppose que la répartition des ressources ne se fera pas de manière forfaitaire. Les formats et le contenu des plans sectoriels seront vraisemblablement modulés en fonction des spécificités de chaque secteur, taillés en tenant compte des capacités de démarrage. Les aides financières devraient être conditionnées et indexées à des objectifs pour éviter un saupoudrage à l’aveugle. Les ressources affectées aux secteurs dépendront vraisemblablement de la configuration du tissu des entreprises, de la capacité des grandes entreprises à jouer un rôle de locomotive des PME et TPE et de la consolidation de la sous-traitance.

 

F.N.H. : Bank Al-Maghrib a souvent été critiquée sur sa politique monétaire. Cette dernière favoriserait la maîtrise de l’inflation au détriment de la croissance et de l’emploi. Selon vous, la politique monétaire menée actuellement est- elle de nature à permettre au Maroc de sortir rapidement de cette crise de l’offre et de la demande ?

L. J. : Elle n’est pas la seule institution à être interpellée. D’autres banques et non des moindres, dont la Banque centrale européenne (BCE), ont essuyé des foudres de guerre. Est particulièrement visée leur faible efficacité macroéconomique. Les critiques sont injustes et excessives, elles ont peut-être à la mesure des espoirs placés dans la Banque centrale pour régler, à elle seule, les dommages de la crise. Ces controverses, à l’origine circonscrites à quelques cercles d’experts et d’économistes, sont aujourd’hui relayées par des élus, des responsables politiques. En instillant le doute sur le bien-fondé et les finalités de la stratégie de BAM, elles risquent d’affaiblir la crédibilité de la Banque centrale et son indépendance. En fait, aux côtés des pouvoirs publics, Bank Al-Maghrib est pleinement mobilisée dans cette bataille économique. En réaction à la crise sanitaire, elle a pris des décisions fortes et rapides pour soutenir le financement de l’économie. En soutenant la liquidité des banques, elle soutient leurs clients, c’est-à-dire tous ceux qui ont besoin d’obtenir des crédits auprès des banques : les ménages et les entreprises, notamment les PME et les TPE, qui peuvent avoir des besoins urgents de trésorerie à combler. Dans le cadre de ses missions, BAM, soutient le bon financement des entreprises et les ménages fragiles. Elle agit d’abord dans le cadre de la médiation du crédit : ce dispositif public vient en aide à toute entreprise qui rencontre des difficultés avec un ou plusieurs établissements financiers (banques, crédit bailleurs, sociétés d’affacturage, assureurs-crédit, etc.). Elle surveille également les délais de paiement interentreprises, une règle indispensable à la survie de certaines entreprises. BAM en tant que garante de la stabilité du système financier, veille à la solidité du secteur bancaire, qui est essentielle au financement de nombreuses entreprises, surtout les plus petites. Dans ce cadre, certaines exigences règlementaires pesant sur les banques ont été relâchées, afin que celles-ci optimisent leurs capacités à financer les entreprises. En tant que gardienne de la monnaie, elle assure le bon fonctionnement des paiements en période de crise. Des dispositions ont été prises pour qu’il ne résulte aucune conséquence de cette situation inédite pour les Marocains dans l’accès aux espèces, en veillant à l’alimentation des points de distribution d’espèces sur tout le territoire. Aujourd’hui, toutes les Banques centrales essaient de faire la même chose : maîtriser l'inflation, soutenir l'activité et assurer la stabilité financière, même s'il y a des contraintes institutionnelles différentes. Bank Al-Maghrib, comme toutes les Banques centrales, a un mandat de stabilité des prix. Elle agit sur la liquidité bancaire, sur le taux de refinancement. Le champ du recours au financement non conventionnel est limité. Elle s’assure que les mécanismes de transmission fonctionnent. Elle prête une attention particulière aux doléances des PME et TPE. Mais il y a une dimension dans les relations banques-entreprises qui relève des parties prenantes directement concernées. Le système bancaire est certainement appelé à revoir ses techniques de financement, à diversifier ses produits, à décentraliser ses décisions, à prendre plus de risques notamment dans le financement de l’industrie et des PME.

 

F.N.H. : Que pensez-vous de la suggestion de plusieurs économistes qui estiment qu’il serait salvateur pour l’économie nationale d’arriver à un taux d’inflation oscillant entre 4 et 5%?

L. J. : Du fait de cette pandémie qui paralyse une partie de l’activité économique, les recettes fiscales (basées sur les revenus et sur la vente de biens et services) vont plonger. Demander aux États de diminuer leurs dépenses serait absurde, alors que juguler la pandémie et répondre à la crise économique exigent des dépenses publiques accrues. L’accroissement de la ponction fiscale paraît aussi difficile. Pour couvrir l’inévitable déséquilibre entre recettes et dépenses publiques et refaire démarrer la machine économique, soit les États doivent s’endetter, soit ils doivent d’une façon ou d’une autre activer la planche à billets. C’est-à-dire qu’ils doivent revendiquer un déficit budgétaire non équilibré par un endettement.

On évoque souvent le cas du gouvernement britannique qui a fait tomber un tabou, le mois dernier, en recourant au financement monétaire pour financer les mesures extraordinaires de soutien à l'économie prises dans le contexte de la pandémie du Covid-19. Applaudi par certains, condamné par d’autres, ce mécanisme limite le recours au marché obligataire et permet d'avoir les ressources, tout en rassurant le contribuable sur le fait qu'il n'aura pas trop à supporter le fardeau du remboursement à l'avenir. Cette disposition de création monétaire n'est pas inédite. Elle avait été utilisée pendant la crise financière de 2008. Elle va souvent de pair avec une augmentation incontrôlée des dépenses publiques et de l'hyperinflation. Il faut néanmoins rappeler que le gouverneur de la Banque d’Angleterre l'avait formellement écartée, expliquant que le recours au financement monétaire porterait atteinte à la crédibilité de la lutte contre l'inflation. L’institution a finalement décidé d'augmenter son bilan à travers des rachats d'actifs, sans quoi l'économie britannique risquait de s'affaiblir davantage, et qu’elle ne pouvait pas atteindre son objectif d'inflation de 2%. En ce sens, le banquier central craignait plus la déflation que l'hyperinflation. Il convient aussi de mettre en perspective la taille de cette ligne de crédit au gouvernement par rapport à la taille totale de l'économie ou du bilan. Elle est minuscule et l'argent mis à disposition est un prêt dont le gouvernement a promis qu'il sera remboursé aussi vite que possible avant la fin de l'année.

Un objectif de stabilité des prix peut donner lieu à divers types de spécifications. De même, le calibrage de la cible d’inflation à 2% est aujourd’hui discuté par certains (Blanchard) préconisant de la relever, d’autres de l’abaisser (Larosière), d’autres encore de la maintenir. Au-delà de ces débats académiques, ici comme ailleurs, les stratégies des Banques centrales font l’objet de vives controverses. Il faut lire ces controverses en tenant compte des situations spécifiques. Bank Al-Maghrib est en particulier critiquée pour avoir, en conformité avec sa cible de 2% d’inflation, conduit depuis quelques années une politique ultra-accommodante qu’elle s’emploie à justifier. En instillant le doute sur le bien-fondé et les finalités de la stratégie de BAM, ces critiques risquent d’affaiblir sa crédibilité et son indépendance. Une voie probablement plus utile pour désamorcer la polémique serait de clarifier la politique d’objectifs et ses incidences économiques et financières à court et à long terme. BAM devrait pouvoir dialoguer en toute transparence avec un large éventail de parties prenantes. De toute manière, qu’on le veuille ou non, il serait difficile d’échapper aujourd’hui à des pressions inflationnistes dues aux déséquilibres de marché pour certaines productions mises à l’arrêt pendant le confinement. Une inflation peut être bénéfique si elle demeure modérée. Le risque est d’être dans une situation de déflation, c’est-à-dire une diminution drastique des revenus due à un chômage de masse et une réduction des activités des indépendants, avec des conséquences sociales inimaginables. Entre déflation et inflation, s’il faut choisir le juste milieu et intégrer dans toute prévision ou objectif, l’effet de l’inflation sur le pouvoir d’achat, le taux de change, les équilibres extérieurs....

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