Les Etats-Unis et leurs alliés européens, pacifiques et asiatiques, ont déployé un arsenal imposant de mesures économiques contre la Russie. On ne compte plus le nombre de grandes multinationales qui annoncent leurs retraits du pays : Apple, Visa, Mastercard, American Express, Nike, Puma, PwC, KPMG, Ernst & Young, Deloitte, Accenture, Ikea, Ford, General Motors, Toyota, Volkswagen, Nissan, Boeing, Airbus, Alstom, Twitter, Netflix, Disney, Spotify, Airbnb, Intel, Microsoft, IBM, Amazon, BP, Exxon, Shell, General Electric, Moody’s, H&M, Starbucks, McDonalds (de façon temporaire), Coca-Cola, UPS, FedEx… la liste concerne tous les secteurs. Certaines entreprises qui fournissent des biens de première nécessité, annoncent se maintenir en Russie pour ne pas abandonner leurs clients, mais tout en évitant de nouveaux investissements dans le pays : il s’agit de Danone, Procter & Gamble, et Unilever.
Jusqu’où le bloc occidental est-il prêt à aller pour sanctionner la Russie ? Et surtout, pour décourager tout autre pays de suivre ses traces, et de remettre en cause l’ordre établi après la Seconde Guerre mondiale ? Un cap vient d’être franchi. Toutes les sanctions qui avaient été imposées depuis le début du conflit, avaient épargné le secteur énergétique pour une raison simple : les Européens en sont fortement dépendants. Lorsque la décision a été prise de débrancher les banques russes du système de paiement international SWIFT, la mesure n’a concerné que sept banques, afin d’épargner les banques utilisées par les Européens pour payer leurs factures énergétiques auprès des fournisseurs russes.
Aujourd’hui, les Américains - suivis des Britanniques et des Canadiens - ont décidé d’aller plus loin en imposant un embargo sur le pétrole russe, qui ne sera plus le bienvenu dans les ports américains. Les Etats-Unis peuvent se permettre une telle mesure : ils consomment 20 millions de barils par jour, et importent 8,5 millions par jour, dont 8% en provenance de la Russie. Cela est notable, mais pas impossible à dépasser. Les principaux fournisseurs des importations américaines sont le Canada, suivi par le Mexique, la Russie, l’Arabie Saoudite, et la Colombie. Toutefois, cette décision aura un coût économique réel sur la poche des Américains qui n’ont jamais payé leur plein à la pompe aussi cher. Le Président Biden a justifié cela en responsabilisant les Américains, et en appelant à leur solidarité pour justifier cet effort.
Les Européens n’ont pas pu suivre les Américains sur cette mesure, car ils sont beaucoup plus dépendants de l’approvisionnement russe : la Lituanie importe 83% de son pétrole de la Russie, la Finlande 80%, la Slovaquie 74%, la Pologne 58%, la Hongrie 43%, l’Estonie 34%, la Grèce et l’Allemagne 30%, les Pays-Bas et la Belgique 23%, la Turquie et la République Tchèque 21%. Difficile pour les Européens, de trouver des fournisseurs de remplacement rapidement, à la fin de l’hiver.
Le prix du baril a augmenté de +55% depuis le début de l’année, et de +80% sur une année glissante, pour se fixer à 122 dollars (au 09 mars 2022). En Intraday, il a franchi la barre des 139 dollars. Le prix se rapproche, mais n’a pas encore atteint le pic de 147 dollars enregistré en 2008. Pour comparer les prix sur de longues durées, il est important de s’intéresser aux prix réels – c’est-à-dire corrigés de l’effet de l’inflation qui fait naturellement grimper les prix au fur et à mesure que la monnaie perd de sa valeur. La dernière fois que le pétrole a été aussi cher – en termes réels – remonte au deuxième choc pétrolier de 1979, lorsque la révolution islamique en Iran a perturbé l’approvisionnement mondial. Le prix pourrait s’affoler davantage, si d’autres pays suivent le pas des Américains et annoncent un embargo sur le pétrole russe, mais cela ne semble pas réaliste vu la forte dépendance des Européens.
Les Etats-Unis multiplient les manœuvres pour trouver un supplément de production qui leur permettrait de respecter le délai annoncé de 45 jours avant l’application effective de l’embargo. Le gouvernement fédéral met la pression aux producteurs de schiste américains pour qu’ils augmentent leur production, parfaitement rentable à ce niveau de cours. Les producteurs de schiste expliquent qu’ils sont contraints par des covenants financiers stricts, qui leur imposent une forte discipline en matière d’investissement par leurs financiers. Les autorités américaines vont logiquement négocier avec les grands établissements financiers dans les jours qui viennent pour desserrer la vis. Ces mêmes producteurs tempèrent néanmoins en annonçant que tout supplément de production, ne devrait pas atteindre le marché avant un an. Les Etats-Unis pourraient solliciter davantage l’Arabie Saoudite. Il s’agit en effet, du principal pays de l’OPEP qui dispose d’une grande capacité de production immédiate en réserve.
Et comme le malheur des uns fait le bonheur des autres : les autorités américaines qui avaient imposé un blocus sur le pétrole du Venezuela sous Trump trois ans auparavant, ont entamé des discussions pour lever cet embargo. Une détente diplomatique est déjà perceptible entre les deux pays. L’Iran pourrait également en bénéficier, même si la négociation s’annonce plus longue, car elle devrait englober le dossier du nucléaire. Toujours dans la même idée : la sortie des entreprises occidentales de la Russie, laisse le champ libre aux entreprises chinoises, qui pourraient en profiter pour renforcer solidement les liens économiques entre les deux pays.
Les prévisions de croissance mondiale du FMI ont déjà été revues à la baisse au mois de janvier en passant de +4.9% à +4.4% pour 2022. Nul doute que ce chiffre va baisser lors de la prochaine actualisation début avril, en perdant entre 0.5% et 1.0%. Malins sont ceux qui profitent du contexte actuel, pour accélérer leur transition énergétique.
Par Omar Fassal, 09/03/2022