Par Abdelhak Najib Écrivain-journaliste
Maintenant que les Talibans ont pris le pouvoir et se sont installés dans le pays, avec une vision à long terme, maintenant que les attentas occupent les devants de la scène, maintenant que les morts et les blessés se chiffrent par dizaines au lendemain du départ des grandes puissances, maintenant que Joe Biden, le Président des USA promet des représailles et de faire payer cher les auteurs des attaques causant la mort des soldats américains, quelles sont les configurations qu’impliquent cette mainmise des talibans sur l’Afghanistan ? Et quelles projections pouvons-nous faire dans l’avenir d’une nation qui n’a connu que la guerre vivant au rythme des conflits armés à répétition, entre tribus rivales et guerres larvées avec l’ex URSS et l’armée américaine, pendant plus de 40 ans, sans interruption ?
Quand nous mettons tous les éléments d’analyse en perspective, nous réalisons, sans l’ombre d’une hésitation, que le chaos fait partie de l’Histoire des Afghans. D’un Royaume, il passe par l’Émirat, par le Califat, par la république communiste, par des gouvernements de coalitions sans bases d’entente inscrite dans la durée. Le tout sous le sceau du spectre de la guerre civile qui alimente les seigneurs de guerre, qui s’enrichissent en jouant aux mercenaires, grâce au trafic de drogues où l’opium sert d’économie souterrains. Sans oublier le très juteux commerce illicite d’émeraude, source principale d’inimitiés séculaires entre zones tribales pachtoune, hazaras, tadjike, ouzbeks, judéo-afghane et d’autres minorités qui évoluent dans le sillage des grandes familles comme vassaux dont le poids en cas d’alliance pour trouver la clef à la constitution d’un gouvernement s’avère conséquent.
Dans toute cette mosaïque, aucun régime ne peut tenir sans une main de fer capable de jouer aux équilibristes pour maintenir un semblant d’unité nationale sujette à caution. En ce sens que la majorité doit, coûte que coûte, être assurée par une tribu sunnite et majoritaire, soit les Pachtounes, soit les Hazaras, avec le concours des autres sous-groupes qui monnayent à la dure leur soutien à une partie ou à l’autre. C’est pour cette raison que l’équation afghane semble inextricable et accouche constamment de nouvelles confusions qui rendent les projections dans le futur aléatoires. Aujourd’hui, après l’invasion presque intégrale du territoire afghan par les forces talibanes, rien ne garantit la stabilité dans ce pays, à plus forte raison à cause de la majorité pachtoune au sein de la commanderie talibane. Ce qui pose un véritable problème de gestion des régions, où il est impératif que le commandant en chef soit issu de la tribu dont il assure la gouvernance.
A ceci s’ajoutent les dissensions grandissantes au sein des différents clans talibans qui ne s’entendent pas encore sur quelle régime mettre sur pied : est-ce un Califat avec la charia en guise des lois et des règles ou un Émirat, avec un conseil de consultation, qui n’aboutit jamais qu’aux crises et aux bras de fer interminables finissant dans des bains de sang. Ce qu’il faut aussi retenir dans le nouveau chapitre afghan qui est en passe de s’écrire par une autre forme d’approche politique, nourrie aux ratages du passé et profitant de la faiblesse de certaines tribus qui ont été laminées par les forces occidentales durant la dernière guerre de 20 ans, c’est que l’unique langage en vigueur reste la violence dans toutes ses manifestations. Autrement dit, les Talibans veulent aujourd’hui faire de Kaboul, la capitale d’une nation islamique, sunnite obligatoirement, fondée sur une gestion politique et économique pragmatique adossée à des contrats licites ou illicites passés et actés avec la Chine, l’Inde, la Russie et les Etats Unis d’Amérique pour l’exploitation des terres rares très demandés par la technologie mondiale. Ce qui assure aux Talibans une manne financière qui les dispense de recourir au terrorisme et aux rapts et autres kidnappings pour remplir les caisses de l’Émirat.
Nous sommes là face à une vision toute nouvelle qui a surpris les Occidentaux qui ont pensé que l’arrivée des Talibans, encore une fois, aux commandes allait se dérouler selon les mêmes termes comme au temps d’Oussama Ben Laden et du Mollah Omar. Non, loin de là. La donne a changé et les chefs talibans se sont adaptés aux exigences de la Realpolitik telle qu’elle doit être négociée avec les grandes puissances, selon certains termes, pour garder un semblant d’entente repoussant le conflit et les bras de fer. Nous l’avons bien vérifié, encore une fois, l’Occident fait preuve d’une grande naïveté et immaturité pensant que Talibans riment avec Al Qaïda ou Daech. Au contraire, aujourd’hui les Talibans veulent faire du négoce. Ils veulent vendre des matières premières. Ils veulent s’enrichir. Ils veulent installer dans la durée un état nation viable, avec des accords politiques et économiques ouverts avec les partenaires qui le souhaitent.
Dans cette optique, les chefs talibans assurent la communauté internationale qu’il n’y aura pas de représailles, pas plus qu’aucune vengeance ne sera tolérée. Les dirigeants de Kaboul affirment qu’ils veulent instaurer une autre manière de gouverner, dans la paix et la stabilité, mais selon leurs lois et leurs idéologies religieuses et politiques appelant leurs partenaires potentiels à respecter leurs traditions et leur différence. Dans la même ligne de conduite, les Talibans ont rassuré les Occidentaux et les Nations Unis que les femmes ne seront pas mal traitées, que les femmes ayant un travail vont continuer à l’exercer, que les écoles font ouvrir leurs portes, qu’aucune stigmatisation des femmes n’est envisagée, toujours dans le respect des droits humains et en parfaite adéquation et concordance avec les us et coutumes du pays. Toutes ses promesses sont bien belles, mais l’Histoire de ce pays et surtout des Talibans nous a appris qu’en termes de rapports aux femmes, les dérives et les travers sont à prendre au sérieux.
Tout comme il faut être réaliste et penser, à juste raison, que la loi du Talion fera, tôt ou tard, son entrée en jeu sur la scène des équilibres politiques et tribaux dans tout le pays. Car, à moins d’un miracle, ni les Talibans ne sont capables de conceptualiser un état moderne et rationnel, ni les Occidentaux ne peuvent laisser les tribus s’arranger entre elles, à la recherche d’un équilibre des forces, sans intervenir ni manipuler une partie contre l’autre. C’est là tout le pari pour l’Afghanistan de demain : se construire dans la durée, en paix, sans ingérence étrangère.