Dans son discours au Parlement, le Souverain a exposé une vision claire : celle d’un Maroc où le progrès économique doit rimer avec justice sociale, équité territoriale et culture du résultat. Une vision qui fait écho aux revendications de la jeunesse marocaine.
Vendredi 10 octobre 2025, le Roi Mohammed VI, accompagné du Prince héritier Moulay El Hassan et du Prince Moulay Rachid, a présidé l’ouverture de la première session de la cinquième année législative de la onzième législature. Un moment solennel, inscrit dans la tradition constitutionnelle du Royaume, mais qui, cette année, prend une dimension particulière. Car derrière la symbolique institutionnelle de ce discours au Parlement, c’est une adresse directe à la Nation que le Souverain a voulu délivrer, dans un contexte social tendu marqué par les manifestations de la jeunesse «GenZ 212». Laquelle, depuis plus de deux semaines, se fait entendre sur les réseaux sociaux et dans les rues, cherchant sa place dans le Maroc de demain et mettant à nu un malaise social profond : chômage élevé, inégalités territoriales criantes et sentiment d’injustice.
Face à cela, le Roi n’a pas cherché à éluder. Bien au contraire. Sans nommer explicitement la contestation, il y répond par une exhortation à la synergie entre politiques publiques et justice sociale. «Il ne devrait y avoir ni antinomie ni rivalité entre les grands projets nationaux et les programmes sociaux, tant que le but recherché est de développer le pays et d’améliorer les conditions de vie des citoyens, où qu’ils soient», a-t-il affirmé. Tout est dit.
Si les mégaprojets (autoroutes, ports, zones industrielles, lignes à grande vitesse, aéroports..) s’inscrivent dans un processus de modernisation du pays, il faut pour autant veiller à la cohérence entre développement économique et équité sociale. Comme l’a dit le Roi, «le diptyque "justice sociale et lutte contre les inégalités territoriales" est loin d’être un slogan creux ou une priorité conjoncturelle dont l’importance pourrait décliner au gré des circonstances. Nous le considérons plutôt comme une orientation stratégique qui requiert l’engagement de tous les acteurs, ainsi qu’un enjeu crucial qui doit imprégner les différentes politiques de développement».
Cette assertion constitue une inflexion majeure. Elle confirme que la question sociale et territoriale reste au centre du projet monarchique et qu’elle n’est pas une simple variable d’ajustement politique. La justice spatiale, évoquée à plusieurs reprises, renvoie à l’impératif de réduire les écarts de développement entre régions, entre zones côtières dynamiques et territoires enclavés, ou encore entre métropoles modernes et provinces marginalisées.
Pour dire que le Maroc ne sera jugé ni sur la hauteur de ses tours ni sur la longueur de ses rails, mais sur la capacité de ses institutions à donner à chaque jeune marocain une chance réelle de réussir. Le Roi ne dit pas autre chose. «Nous nous attachons aussi à ce que les fruits de la croissance profitent à tous, à ce que les enfants du Maroc uni jouissent à égalité des droits politiques, économiques et sociaux et de bien d’autres», insiste-t-il.
La jeunesse comme miroir du développement local
«Le niveau du développement local est le vrai miroir du progrès du Maroc émergent et solidaire, dont nous nous employons tous à consolider le statut», a martelé le Souverain. Une assertion qui fait écho aux attentes d’une jeunesse marocaine qui refuse les discours creux et réclame du concret, et qui sait que le Maroc émergent ne se fera pas sans eux.
D’où le rappel à l’ordre adressé par le Souverain autant à la classe politique qu’à l’Administration, en mettant notamment l’accent sur la «culture du résultat». «La transformation majeure que nous entendons opérer requiert un changement significatif des mentalités et des méthodes de travail, ainsi qu’un véritable enracinement de la culture du résultat», a-t-il souligné.
Traduction : moins de papotages et de démagogie, et plus d’efficacité. Moins de promesses électorales pompeuses et plus d’impact visible. Car la jeunesse, qui s’informe en temps réel et qui débat sans filtre, ne supporte plus la lenteur bureaucratique ni les jeux de posture.
Par ailleurs, le discours du Roi, s’il reste fidèle à la ligne d’un Maroc «solidaire et équitable», introduit aussi une idée moderne : celle d’une justice territoriale à l’ère du numérique. Le Souverain en appelle à «la collecte de données de terrain précises» et à «l’utilisation des technologies numériques» pour mieux piloter les politiques publiques.
Dans un Maroc où les hashtags se propagent plus vite que les réformes et où la jeunesse est souvent désabusée par le manque de réactivité et d’efficacité des institutions, ce virage stratégique rejoint, en creux, les revendications de la GenZ 212. Il traduit en effet la volonté royale de réconcilier la gouvernance et la génération digitale, en misant sur la data, la transparence et la participation citoyenne.
Au-delà des symboles, ce discours royal est un appel au sursaut collectif. «Nous attendons de vous tous, au gouvernement comme au Parlement, en tant que majorité et au sein de l’opposition, que vous mobilisiez toutes les énergies et toutes les potentialités et que vous fassiez prévaloir les intérêts supérieurs de la Nation et des citoyens», a déclaré le Roi.
Le message est clair : les institutions ne peuvent plus fonctionner en vase clos et les élus doivent mettre de côté les querelles partisanes pour être au service de la collectivité. Ce que le président de la Chambre des représentants, Rachid Talbi El Alami, a résumé comme la nécessité de «consolider l’esprit de responsabilité partagée pour conforter l’élan de développement global et durable que connaît le Royaume». Cette responsabilité collective est au cœur du discours royal et trouve une résonance particulière dans le contexte actuel, où la fracture entre la jeunesse et la classe politique s’élargit.
La balle est donc désormais dans le camp des responsables politiques et institutionnels. A eux de passer des slogans à l’action pour répondre aux aspirations légitimes des citoyens. Et c’est tout le sens du message royal : rappeler que le développement n’a de valeur que s’il se mesure au bien-être de ceux qu’il prétend servir.
F. Ouriaghli