Le Maroc se dote d’un nouveau cadre législatif encadrant le droit de grève. Lundi dernier, la Chambre des conseillers a adopté, à la majorité, le projet de loi organique n° 97.15 fixant les conditions et modalités d’exercice du droit de grève.
Adopté définitivement par la Chambre des représentants, mercredi 5 février, le texte a fait l’objet d’une mosaïque d’amendements durant son circuit législatif : pas moins de 247 propositions ont été débattues, discutées, parfois arrachées au forceps. Sur ce point, on ne pourra pas reprocher au gouvernement d’avoir manqué d’ouverture. Mais entre les concessions et les restrictions, ce qui en ressort est un texte dont les contours restent flous pour certains, et dont les zones grises ne manqueront pas d’alimenter de futurs bras de fer. D’ailleurs, le projet de loi a certes passé l’épreuve du vote, mais semble avoir parallèlement exacerbé les tensions.
L’Union marocaine du travail (UMT), outrée par la version finale du texte, a quitté l’hémicycle en guise de protestation. De même, plusieurs centrales syndicales ont annoncé une grève générale les 5 et 6 février, dénonçant une atteinte «grave et sans précédent» au droit constitutionnel de grève.
Des réactions qui résument, à elles seules, le climat délétère qui entoure cette réforme. Laquelle est censée garantir un équilibre entre les impératifs économiques et les droits des travailleurs, mais est perçue comme un corset trop serré pour les syndicats. Ces derniers dénoncent un texte liberticide, restrictif et une tentative à peine voilée de bâillonner la contestation sociale sous couvert de régulation.
Autre angle mort dénoncé par les centrales syndicales : la précarité du marché du travail, où le secteur informel échappe à toute réglementation et où les salariés les plus vulnérables, ceux qui auraient le plus besoin de protection, risquent d’être les laissés-pour-compte de cette réforme. Du côté du gouvernement, c’est cependant un autre son de cloche. Les promoteurs du texte le présentent comme un jalon essentiel dans l’édification d’un Etat de droit, garantissant à la fois la liberté d’entreprendre et celle de revendiquer. Dans les couloirs du Parlement, la majorité salue ainsi «un cadre légal équilibré qui renforcera la confiance des investisseurs et dynamisera l’économie nationale».
D’où les propos rassurant du ministre de l’Insertion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétences, Younes Sekkouri, qui affirme que cette loi garantit un équilibre entre la continuité du service public, la liberté d’entreprendre et le droit de grève, en conformité avec la Constitution. Il y voit même un instrument de pacification du climat social et de modernisation du dialogue entre employeurs et salariés. Mais l’argument du gouvernement, selon lequel cette loi ne vise qu’à encadrer le droit et non à le restreindre, n’a manifestement pas convaincu.
Ce plaidoyer a du mal à se frayer un chemin dans un paysage syndical qui y voit davantage une mise au pas qu’un progrès démocratique. Et cette réaction hérissée des syndicats laisse entrevoir un nouveau front de contestations sociales. Le gouvernement pourra-t-il alors apaiser les tensions ? Sachant qu’une réforme qui ne convainc pas ceux qu’elle concerne directement, est vouée à une mise en œuvre difficile. Pour ne pas dire chaotique.
Par F.Z Ouriaghli