Près de 4.000 kilomètres de câbles HDVC reliant les énergies vertes du Maroc aux foyers britanniques. Un rêve d’interconnexion de portée mondiale qui vacille à l’annonce du retrait de Londres du Projet Xlinks. Quelles retombées et quelle reconfiguration envisagées pour le Maroc ? Détails.
Par Désy M.
Le retrait définitif du gouvernement britannique dans le projet d'interconnexion électrique Maroc-Royaume-Uni de Xlinks en juin 2025 marque un tournant significatif dans l'histoire de la coopération énergétique euromarocaine.
Présenté comme l’un des projets les plus ambitieux au monde en matière d’interconnexion énergétique, mêlant 3.800 km de câbles sous- marins HVDC (High Voltage Direct Current), ce projet titanesque, estimé à 25 milliards de livres sterling, devait acheminer 3,6 GW d’électricité verte depuis la région de Guelmim-Oued Noun jusqu’au sud de l’Angleterre. Ce projet aux multiples avantages pour les deux pays représentait une prouesse technique inégalée dans le domaine des interconnexions électriques. Il s'appuyait sur une installation de 11,5 GW comprenant des parcs solaires et éoliens sur une superficie de 1.500 km².
«Cette infrastructure devait fonctionner 19 heures par jour en moyenne, exploitant l'avantage géographique exceptionnel du Maroc avec ses 10 heures d'ensoleillement quotidien même en hiver», souligne Mohamed Boiti, expert en énergie. Et d’ajouter que «cette approche innovante promettait une production d'électricité zéro carbone avec un rendement énergétique trois fois supérieur à celui du Royaume-Uni».
En effet, cela aurait été une révolution dans l'approvisionnement énergétique britannique. Avec une capacité de fournir 8% des besoins électriques nationaux et d'alimenter plus de 7 millions de foyers, il promettait une réduction de 10% des émissions de carbone du pays. Et du côté marocain, Xlinks s'inscrivait parfaitement dans la stratégie énergétique nationale 2030-2050, visant à porter la part des énergies renouvelables à 52% du mix énergétique national. Ce projet devait consolider la position du Maroc comme hub énergétique régional, valorisant son potentiel solaire et éolien exceptionnel, tout en générant des revenus d'exportation substantiels.
Quel impact pour le Maroc ?
Cependant, la décision de Londres de ne pas accorder de contrat de différence (CfD) pour le projet Xlinks a mis fin à l’un des plus grands rêves d’exportation énergétique marocaine. Pour Rabat, ce retrait dépasse le simple échec commercial. Elle remet en cause tout un pan de la stratégie énergétique nationale, centrée sur la valorisation des ressources renouvelables dans le cadre de la vision 2030-2050.
«Ce projet devait positionner le Maroc comme leader africain de la transition énergétique, capable de vendre son excédent à l’Europe», précise Boiti. Comme cause de ce retrait, Londres évoque des vulnérabilités sécuritaires, notamment des risques de sabotage du câble et l’instabilité de la région traversée. De plus, le secrétaire d'État à la Sécurité énergétique et à la Neutralité carbone, Ed Miliband, a justifié le rejet par la priorité accordée au développement des capacités renouvelables domestiques, privilégiant une approche «homegrown» de la production énergétique. En toile de fond, se dessine aussi la pression des lobbies domestiques britanniques, en faveur du nucléaire et de l’éolien offshore. Selon l’expert Mohamed Boiti, le projet devait générer des revenus d'exportation substantiels pour le Maroc, contribuant à l'équilibre de sa balance commerciale.
«Ces revenus perdus représentent un manque à gagner significatif pour le financement de la transition énergétique nationale», explique-t-il. De plus, il alerte sur un effet domino sur les investissements, pouvant entraîner une remise en question de la part des investisseurs internationaux sur la viabilité économique des grands projets d'exportation énergétique marocains. L’échec du projet engendre aussi un manque à gagner immédiat pour l’économie marocaine. Non seulement les recettes d’exportation espérées s’évaporent, mais l’écosystème industriel national subit un coup d’arrêt. «Les entreprises marocaines qui devaient participer au projet perdent une opportunité de développement et de montée en compétences, affectant potentiellement la compétitivité de l'écosystème industriel national», analyse Mohamed Boiti.
Vers une reconfiguration stratégique
Toutefois, si le retrait de garantie d’achat du Royaume-Uni pour le projet Xlinks marque un revers, elle n’est pas une fin en soi. Selon l’expert, le Maroc doit désormais tourner le regard vers d’autres partenaires. L’Allemagne, la France et l’Espagne ont manifesté un intérêt persistant pour les capacités solaires du Royaume. Lisbonne aussi reste enthousiaste. «L’interconnexion avec le Maroc est fondamentale pour la sécurité énergétique de l’Europe», déclarait récemment le Premier ministre portugais, Antonio Costa.
L’abandon britannique n’efface en rien la valeur technologique et géopolitique du projet Xlinks, qui pourrait intéresser d’autres marchés européens ou africains en quête d’énergie propre et stable. Des pistes sont déjà à l’étude, assure Xlinks, qui explore des partenariats alternatifs pour rentabiliser les travaux préparatoires déjà entamés au Maroc.
Pour Mohamed Boiti, cet épisode appelle à tirer les leçons d’une dépendance excessive à un seul mégaprojet : «il faut aller vers une diversification des partenariats et renforcer notre résilience interne. Miser uniquement sur des projets gigantesques comme Xlinks est une stratégie à haut risque dans un monde géopolitiquement instable» A noter que la coopération énergétique entre Rabat et Londres ne s’arrête pas pour autant. D’autres canaux restent ouverts, notamment dans l’hydrogène vert et l’innovation technologique.