«Le pronostic vital de l’OMC n’est pas engagé» (J. Kerdoudi)

«Le pronostic vital de l’OMC n’est pas engagé» (J. Kerdoudi)

 

L’OMC traverse une crise du fait du retour du protectionnisme prôné par le président Donald Trump. Les accords bilatéraux de plus en plus nombreux se font au détriment du multilatéralisme. Retour avec Jawad Kerdoudi, président de l’Institut marocain des relations internationales (IMRI), sur les dates-phares de cette organisation, dont le maintien en vie s’avère de plus en plus ardu.

 

 

 

Finances News Hebdo : Les espoirs nés en 1994 de l’Organisation mondiale du commerce se sont soldés à maintes reprises par des échecs, et finalement n’ont pu atteindre les espoirs escomptés. Pourquoi à votre avis ?

 

Jawad Kerdoudi : Il faut rappeler que l’OMC est une organisation qui regroupe 164 membres, et qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1995 suite aux Accords de Marrakech.

La principale difficulté est due à l’antagonisme entre les pays développés et les pays en développement du fait des intérêts opposés. Les pays développés militent pour une libéralisation la plus extensive qui soit du marché mondial. Par contre, les pays en développement sont réticents à une libéralisation totale afin de défendre leur industrie naissante et surtout leur agriculture.

 

 

F.N.H. : Justement, l’échec des négociations de Doha du fait de l’opposition entre les pays développés et ceux en voie de développement est un exemple édifiant. Une réalité qui s’est traduite par une multitude de litiges devant le tribunal arbitral des litiges du commerce international. Quel bilan pouvons-nous brosser aujourd’hui ?

 

J. K. : En effet, le cycle ambitieux de Doha a été lancé par l’OMC en 2001 incluant le commerce et les services, ainsi que l’accès aux médicaments pour les pays les plus pauvres. Ce cycle a échoué du fait de l’opposition entre les pays développés et ceux en développement. Ces derniers ont exigé la fin des subventions agricoles octroyées par les pays développés à leurs producteurs, et ont refusé de réduire les droits de douane pour les produits industriels.

 

 

F.N.H. : Lors de la Conférence ministérielle qui s’est tenue il y a quelques jours à Buenos Aires, le représentant américain du Commerce a déclaré que l’OMC est en train de perdre son objectif essentiel et que des pays en développement obtiennent des passe-droits. Jusqu’à quel degré pouvons-nous croire à la véracité de ses propos ?

 

J. K. : Depuis quelques années, un vent de protectionnisme s’est levé en Occident suite à la crise économique mondiale de 2008-2009. Ceci a été accentué par le Brexit (sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne) et, surtout, l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis.

Ce dernier attaque l’OMC, qui d’après lui, favorise les délocalisations des entreprises américaines notamment au Mexique, qui font perdre des emplois aux Etats-Unis. Le Représentant américain à la Conférence ministérielle de Buenos Aires (Argentine) reproche également à l’OMC de favoriser les pays en développement, en leur donnant des délais supplémentaires pour appliquer les règles de l’OMC.

En fait, les Etats-Unis visent les pays asiatiques, et notamment la Chine qui a profité de l’OMC pour conquérir une grande partie du marché mondial pour les produits manufacturés.

 

 

F.N.H. : Quelles sont les annonces phares en faveur du commerce international qui ont été faites lors de cette 11ème Conférence ministérielle de l’OMC ?

 

J. K. : Peu d’annonces concrètes ont été faites à l’issue de la 11ème Conférence ministérielle de l’OMC à Buenos Aires du fait de l’opposition de certains membres, notamment les Etats-Unis.

Il y a un recul de la question des stocks alimentaires auxquels tient beaucoup l’Inde, et peu d’avancées sur le e-commerce et la pêche illégale. L’objectif de cette Conférence a surtout été le maintien en vie de l’OMC, grâce à l’action de la France qui la soutient, et l’Argentine qui signale le rôle de l’OMC en faveur de la paix, dans la mesure où elle permet la baisse des tensions lorsque de graves litiges commerciaux opposent les Etats membres.

 

 

F.N.H. : Pour la première fois dans l’histoire de l’OMC, les pays membres et les observateurs ont approuvé une initiative collective destinée à accroître la participation des femmes au commerce. Quelle appréciation en faites-vous pour un continent comme l’Afrique ?

 

J. K. : Je ne peux qu’apprécier favorablement l’initiative de l’OMC d’accroître la participation des femmes au commerce. Dans les pays en voie de développement, notamment en Afrique, les femmes jouent un rôle très important sur le plan économique tant au niveau de l’agriculture que du commerce. Il faut prendre des mesures concrètes pour les encourager.  Plus globalement, il est nécessaire de parvenir à la parité hommes/ femmes dans tous les secteurs économiques. C’est un gage d’égalité et d’efficacité.

 

 

F.N.H. : Quelles sont les perspectives de l’OMC sous le règne du président américain Donald Trump qui, comme susmentionné, constitue une vraie menace pour l’organisation ?

 

J. K. : Il est vrai que l’OMC traverse une crise actuellement du fait du retour du protectionnisme prôné par le Président Donald Trump. D’ailleurs, les accords commerciaux bilatéraux sont de plus en plus nombreux, soit entre 2 pays, soit entre 2 communautés économiques régionales. C’est ainsi que l’Accord commercial Union européenne/Mercosur est annoncé pour signature en mars 2018. Ces accords bilatéraux se font au détriment du multilatéralisme.

Cependant, je ne pense pas que le pronostic vital de l’OMC est engagé, car la communauté internationale a besoin de cette organisation. Il faut cependant que ses dirigeants soient plus imaginatifs pour proposer des solutions permettant sa pérennité. ■

 

 


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Propos recueillis par S. Es-siari

 

 

 

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