Au-delà de ses conséquences économiques, le confinement a des impacts psychologiques importants sur la collectivité.
Le Dr. Rezrazi El Mostafa, Senior Fellow a Policy Center for the New South, professeur de gestion de crises et de catastrophes au Japon et au Maroc, docteur en psychologie clinique et pathologique, université Mohammed V, et Ph.D. en affaires internationales et gestions des crises, Université de Tokyo, nous en dit plus.
Propos recueillis par D. William
Finances News : Le 20 mai prochain, les Marocains connaitront deux mois de confinement strict. Est-ce, selon vous, un choix pertinent, au regard de ses répercussions économiques et sociales sur les citoyens ?
Rezrazi El Mostafa : La décision de mise en confinement s'est heurtée à des contraintes sanitaires impérieuses, d'abord en raison de la gravité du virus, puis après l’annonce par l'Organisation mondiale de la santé que la propagation épidémiologique rapide correspondait à une pandémie mortelle.
Le deuxième aspect est que la décision d'imposer l’état d’urgence sanitaire est venue comme un mécanisme proactif, dans le but de limiter la propagation du virus et pour ne pas perdre le contrôle.
Je suis convaincu que la décision est intervenue aussi après discussion de toutes les autres voies possibles. Le Maroc a fait le choix de mettre la santé publique des citoyens en tête des priorités. Je ne pense pas, par ailleurs, que la décision de ne pas imposer le confinement aurait évité une crise économique, car notre communauté à l'étranger, qui effectue d'importants transferts chaque année, souffre des conséquences de la pandémie dans les pays d’accueil. Notre tourisme est conditionné par la mobilité humaine étrangère paralysée.
Et puis, la nature d’une économie de service devrait être revue. Comme la crise durera plus longtemps que prévu, n'est-il pas rationnel d'orienter notre économie de services vers de nouveaux secteurs adaptés aux nouvelles mutations que le monde post Covid-19 connaitra ? Car le coût de la relance, avec une économie conditionnée, pourrait être le même si on opte pour une expansion et une diversification des domaines de la production économique nationale.
F. N. H. : Quels sont, globalement, les plus grands dangers du confinement ?
R. E. M. : Le confinement est une situation anormale. Il créera donc naturellement des déséquilibres divers chez les individus, comme chez les communautés.
Sur le plan social et humain, le confinement a déjà commencé à générer plusieurs problèmes et difficultés, liés à des changements de la position et/ou du rôle social et économique. D'autres problèmes sont liés à la gestion de l'espace et des proximités familiales…
F. N. H. : Au regard de votre expérience, quelles sont les personnes qui sont les plus susceptibles de craquer ? Et comment cela peut-il se manifester ?
R. E. M. : Ces répercussions se manifestent à différents degrés et se différencient principalement chez quatre catégories sociales et professionnelles :
- Les personnes ordinaires, avec notamment les angoisses, les peurs et la souffrance dues au sevrage des habitudes quotidiennes qui provoque un tableau clinique conventionnel lié à la séparation, à l’addiction, et à l’adaptation;
- les personnes ayant des antécédents de troubles psychologiques ou mentaux;
- les personnes qui manifesteraient de nouveaux troubles du comportement, sensationnels ou émotionnels;
- les professionnels œuvrant dans le domaine de la santé et des services de sécurité rapportent des inquiétudes et des craintes en lien avec le contexte de pandémie. Il s’agit d’inquiétudes liées aux capacités physiques et mentales, ou avec la santé des proches et au risque de contagion, des craintes de contracter la maladie et/ou de mourir, des craintes de manquer d’équipement de protection. Et puis, il y a la crainte de ne pouvoir répondre aux attentes professionnelles.
Les cas consultés démontrent généralement une variété de malaises et de détresses, mais les symptômes généralement manifestés sont : fatigue et stress, aggravation des problèmes préexistants de santé physique ou mentale, augmentation de l’usage de psychotropes, sentiment d’impuissance, souffrance morale et détresse psychologique liées aux dilemmes professionnels pour ceux qui continuent de travailler pendant le confinement, perturbations du sommeil, de la concentration et de l’appétit, anxiété et dépression, et puis aussi des formes mutées de l’état de stress post-traumatique.
Mais la gestion de ces déséquilibres dépend de la capacité des individus à trouver des réponses à leurs questions et à créer un mode de vie qui leur permette de s'adapter à la nouvelle situation. Elle dépend aussi de leur capacité à activer les énergies positives et à redéployer ces énergies vers des activités professionnelles, sportives ou artistiques positives, dans le respect total des procédures et des bonnes conduites du confinement sanitaire.
Reste à dire que dans une situation comme celle-ci, il y aura d’autres défis auxquels nous serons confrontés au cours de la période post-crise, notamment le problème de la gestion de l’épuisement /le Burn out, puis de la gestion de la paix sociale.
Je pense que la Cellule de gestion de cette crise devrait travailler à l'élaboration de stratégies pour faire face à ces deux problèmes à moyen terme, car leurs coûts sont élevés. Et la résolution de ces problèmes ne pourra être ni technique, ni immédiate.
F. N. H. : Certaines personnes se réfugient dans le télétravail. Est-ce une échappatoire viable à long terme ?
R. E. M. : Le télétravail est une technique qui s’est imposée suite à cette crise pour continuer à assurer un niveau minimum de vie professionnelle et de gestion des affaires publiques.
Il est vrai qu'au niveau de la santé mentale, il a des répercussions négatives qui peuvent apparaître sur ses utilisateurs sous forme d’addiction, d’épuisement/ Burn Out, de maladie psychosomatique, etc.
Mais je suis personnellement préoccupé par une question qui est à la fois existentielle et stratégique. Métaphoriquement, Covid-19 se représente comme un agent accélérateur ou catalyseur d’un certain nombre de projets qui étaient au frigo, dont l’accélération d’un mode de vie universelle basé sur le numérique, la promotion du travail virtuel, la mise en œuvre d’un mode de sécurité et du contrôle de l’espace public basé sur le modèle de Smart City/ Ville intelligente, l'utilisation de la robotique et de l’intelligence artificielle à grande échelle. Peut-être que Covid-19 s’en ira une fois que nous serons habitués à ce mode de vie…
F. N. H. : Les Marocains ont un mois à tenir encore. Quels conseils leur donneriez-vous pour bien gérer cette situation, surtout avec le mois de Ramadan ?
R. E. M. : Les parents devraient imaginer d’autres formes de cohabitation avec les conditions du confinement afin d’interagir avec les membres de la famille, de manière à la fois tolérante et positive.
Il faut admettre tout d’abord le fait que si nous sommes confinés, c’est pour nous protéger, protéger les autres et sortir vite de la crise.
Il faut aussi recadrer le calendrier biologique de nos corps, le calendrier social de nos interactions sociales et puis le calendrier professionnel de nos obligations.
Car le corps avait son rythme de sommeil, de marche, d’effort etc. Aujourd’hui, on devrait maintenir une partie de ce rythme et inventer d’autres activités adaptées au confinement pour remplir les parties défaillantes de ce rythme.
Sur le plan social, on n’a pas l’habitude de tolérer les murs de chez nous 24/24, non plus de rester à proximité de nos proches sans rien faire. C’est un effort à faire :il faut donc positiver cette proximité, mais de manière moins artificielle.
Par exemple, plusieurs hommes confinés qui restent chez eux deviennent plus exigeants et même agressifs envers leurs épouses, mais ils oublient que leur présence à la maison tout le temps est déjà un acte envahissant l’espace féminin. C'est un réapprentissage de la vie en commun.
Le Ramadan vient cette année avec un autre goût; un mois de religiosité, mais avec une pratique de culte à l’individuel, sans prières Tarawih, ni visites de famille. Mais cela pourrait être aussi l'occasion pour pratiquer une sorte de méditation soufie, de tester la sincérité de notre foi en allant au Créateur sans hypocrisie /Riyaa. Un moment junaydien, qu’on n'a pas eu peut-être assez le temps de pratiquer.